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La base de Dakar ferme, pas la « Françafrique »

Ce mercredi 9 juin, à Dakar, une cérémonie – que les Français ont voulue discrète et même « symbolique » en n’y envoyant qu’un Vice-Amiral, et que les Sénégalais auraient souhaitée plus solennelle – a marqué la restitution formelle au Sénégal des emprises qui avaient été concédées à l’armée française en vertu d’un accord de défense conclu en 1974. La fermeture de la base française de Dakar, après celle d’Abidjan l’an dernier, se veut une illustration de la « rupture » qui aurait été mise en œuvre par le régime du président Sarkozy dans les relations franco-africaines. Mais elle a des motifs également plus terre-à-terre…

par Philippe Leymarie, 9 juin 2010

L’annonce de cette fermeture avait été faite par le président français en février, à Libreville (Gabon), une implantation destinée à rester la seule base sur la façade atlantique du continent. Le président sénégalais, Abdoulaye Wade, avait tenté de la transformer en un « coup » politique national, en prévenant, à la veille de la fête nationale, que « le Sénégal va reprendre solennellement toutes ses bases militaires antérieurement détenues pas la France à partir de ce jour, 4 avril, à 0 heure ».

Le président sénégalais avait promis déjà en mai 2008 que son pays « ne serait pas le dernier pays à maintenir une base (militaire) française en Afrique » - « Il ne peut pas y avoir d’agressions extérieures, j’ai beau réfléchir, je ne vois pas qui peut agresser le Sénégal », avait-il souligné. Et « les accords de protection du chef de l’Etat ou de gouvernement, personnellement, je n’en ai pas besoin. Si cela existe, il faut les supprimer. Je suis suffisamment protégé par mon armée », avait-il conclu, laissant entendre au passage que ce n’était pas le cas de tous ses collègues chefs d’Etat.

Outre cet aspect politique, le Sénégal, membre de la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), grand fournisseur de forces de paix pour le compte de l’ONU ou de l’Union africaine, souhaite cultiver une image d’autonomie régionale et d’indépendance vis à vis de l’ancien colonisateur. En outre, il cherche à jouer un rôle quand sera enfin venue l’heure d’un élargissement du Conseil de sécurité des Nations unies.

Curiosité géopolitique

Les « Forces françaises du Cap vert » – dénomination officielle du contingent français au Sénégal – sont actuellement fortes de 1 200 hommes des trois armes. Paris souhaiterait maintenir à Dakar une présence militaire, pour gérer les « facilités » qui sont en cours de négociation avec les autorités sénégalaises : droits d’escale aérienne et maritime, transit, stockage, etc. « En accord avec le Sénégal, la France propose de conserver à Dakar un simple “pôle opérationnel de coopération à vocation régionale”, fort d’environ trois cents militaires », souligne un communiqué mardi soir du ministère français de la Défense.

L’état-major français souhaite en effet faire de Dakar une base logistique, pour le soutien aux forces africaines de paix de la région. Et s’inquiète, pour ce qui est de la période transitoire, du statut de ses soldats, leur départ effectif devant s’étaler sur un an : officiellement, pour les Sénégalais, il n’y a plus d’accord de défense, et il n’y en aura plus jamais. C’est donc le vide juridique…

L’armée sénégalaise souhaiterait récupérer les terrains ainsi libérés, qui étaient la propriété de l’Etat sénégalais. Mais le gouvernement de Dakar a conçu des projets pour la valorisation foncière d’une partie des quinze emprises actuellement occupées dans la capitale par l’armée française, notamment le prestigieux casernement de Bel Air.

Outre ces fermetures successives de bases, le dispositif militaire français en Afrique – une curiosité géopolitique, cinquante ans après les indépendances – devrait être profondément transformé : déflation des effectifs dits « prépositionnés », c’est-à-dire en garnison sur les bases (actuellement 8 000 hommes, qui passeraient à 5 000 maximum) ; révision des accords de défense, vidés de leurs clauses secrètes (sur l’appui aux régimes au pouvoir) ; reconversion d’une partie des installations, matériels et crédits en faveur de la formation des militaires africains, en liaison étroite avec l’Union européenne et l’Union africaine.

Beaux restes

Dans la pratique, la France n’a plus les moyens financiers et humains d’entretenir ce réseau de bases à l’échelle d’un continent ; et elle doit redéployer ses capacités après sa réintégration complète au sein de l’OTAN, notamment en direction de l’Afghanistan. En outre, plusieurs dirigeants africains (dont Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire) ont remis en cause ces accords de défense (devenus d’ailleurs lourds à porter pour l’ancienne puissance coloniale), ainsi qu’une présence militaire étrangère au continent de plus en plus mal supportée par les populations.

Sur un plan purement technique, en cas d’intervention d’urgence (évacuation de ressortissants, interposition, etc), les moyens aériens de projection – français ou européens – permettent dans une large mesure de se passer de bases à terre. L’A400 M d’Airbus Military, qui se fait cependant attendre, devrait y contribuer largement à partir de 2014 ou 2015…

« En application des choix arrêtés dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité, souligne le communiqué gouvernemental, le dispositif français prépositionné comprendra une base sur la façade occidentale de l’Afrique, au Gabon, une base sur sa façade orientale, à Djibouti, ainsi qu’un pôle opérationnel de coopération à vocation régionale, au Sénégal. Avec les forces stationnées à la Réunion, ils ont pour vocation d’appuyer la montée en puissance des brigades en attente des quatre organisations régionales africaines (CEDEAO, CEEAC, SADC et EASBRICOM) ».

Dans l’immédiat, la « Françafrique » militaire a encore quelques beaux restes, comme en témoignera le rendez-vous « familial » du 14 juillet prochain, à Paris, où les détachements d’armées d’une dizaine d’anciennes colonies devraient défiler sur les Champs Elysées, devant leurs présidents rassemblés pour l’occasion autour du « parrain » français.

Philippe Leymarie

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