On ne sera pas trop étonné que l’Assemblée, lors de sa 58ème session du 15 au 17 juin derniers, à Paris, ait mis en garde l’ensemble des milieux européens par la voix de son président, le britannique Robert Walter. Cette dissolution, a-t-il affirmé dans son discours d’ouverture, « risque de priver les parlements des pays de l’UE du seul outil interparlementaire éprouvé dont ils disposent pour le suivi de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) ». Le parlementaire britannique du Groupe fédéré conseille « d’agir pour éviter un affaiblissement des pouvoirs de contrôle des parlements nationaux sur la PSDC ».
Une prise de position tout de même intéressante, car ce sont justement… les Britanniques – en l’occurrence l’ancien gouvernement travailliste – qui ont eu la peau de cette institution, obtenant de haute lutte qu’elle cesse ses activités au plus tard à la fin du mois de juin 2011. Il y a peu de chances pour que la nouvelle équipe en charge des affaires à Londres déclare un amour immodéré à ce « machin » européen, encore plus mystérieux et dispendieux que les autres. La politique du gouvernement du Royaume uni a toujours été de s’efforcer de brider au maximum toute autonomie européenne en matière de sécurité, par fidélité organique avec le cousin américain. Cette attitude contraste d’ailleurs avec l’activisme développé, au sein de l’AESD, par les parlementaires britanniques de tous bords …
Débuts décevants
En attendant de savoir à quelle sauce elle sera mangée, l’AESD continue de faire ce qu’elle sait faire : cette redoutable machine à produire des réunions, des rapports, des déclarations… a examiné durant sa session des 15-17 juin la bagatelle de dix-huit textes, dont on va trouver l’essentiel ici :
• la stagnation guette la politique de sécurité et de défense de l’Union européenne, à moins que « des mesures courageuses » ne soient prises, estime Robert Walter, le président de l’AESD, dans un rapport général. L’UE est « certes un acteur de la politique internationale, mais loin d’être stratégique ». Les débuts de « la nouvelle phase cruciale » de l’application du Traité de Lisbonne sont « assez décevants ». Des composantes clés de ce nouvel environnement structurel, destinées à renforcer la politique étrangère, de sécurité et de défense soit font encore défaut, soit ont du mal à trouver leurs marques, ou, comme la coopération structurée permanente, connaissent déjà de grandes difficultés. D’autres éléments structurels ont été mis en place, mais n’ont pas encore été utilisés (les groupements tactiques), ou ont épuisé leurs possibilités (dispositif de Berlin plus) ou sont loin d’avoir pleinement développé leur potentiel (Agence européenne de défense). La création du Service européen pour l’action extérieure (SEAE), qui devrait être opérationnel d’ici le 1er décembre prochain, ne signifie nullement que l’Europe soit dotée actuellement d’une politique étrangère commune », regrette le président de l’Assemblée parlementaire.
• la capacité de l’UE de « répondre aux crises » est réelle, « même si les opinions publiques pensent encore souvent qu’elle ne l’est pas », assure Mme Claude-France Arnould, directeur général adjoint en charge de la gestion des crises et de la planification (CMDP) de l’Union, au nom de Mme Catherine ASHTON, Haute Représentante de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Elle cite l’exemple de la Géorgie, où « seule l’UE a pu agir » pour répondre à l’urgence de la situation lors de la crise avec la Russie en août 2009 (mission de surveillance, déployée dans un délai record ), et de l’opération Atalante destinée à lutter contre la piraterie dans le Golfe d’Aden, une des « meilleures illustrations de la mise en œuvre des approches globale et régionale développant les synergies civilo-militaires » de l’UE pour la gestion des crises » (arrestation de pirates, formation de soldats somaliens).
• L’UE doit instaurer une coopération structurée permanente « à la carte » en matière de défense. Pour l’heure, selon le rapport présenté à l’AESD par Lord Dundee (Royaume uni), les dispositions du traité de Lisbonne sont « trop vagues et pour la plupart trop subjectives », rendant impossible la définition de critères objectifs. Il explique que les Etats membres ont deux préoccupations essentielles en matière de coopération de défense : d’une part, l’adéquation à leurs besoins nationaux de production d’armement ; d’autre part, les écarts de taille et de puissance entre les différents Etats. « Si l’on cherche à éviter de creuser un fossé entre deux catégories d’Etats membres, on fera en sorte que tous puissent y participer. Mais cela implique de définir des critères si peu exigeants que l’utilité de la CSP pourrait alors être mise en doute ». D’où l’idée d’une approche à la carte, offrant la possibilité pour les Etats membres volontaires d’instaurer des coopérations soit dans le domaine opérationnel, sous l’autorité du directeur général de l’état-major de l’UE, soit dans le domaine des capacités et des équipements, sous celle du directeur de l’Agence européenne de défense (AED).
Stratégies de « com »
• L’UE et l’OTAN doivent dynamiser leurs activités de relations publiques concernant l’Afghanistan, demande l’assemblée dans un rapport intitulé « L’Afghanistan : expliquer à l’opinion publique les raisons d’une guerre ». John Greenway (Royaume uni), le rapporteur, relève que « le soutien apporté par l’opinion publique à l’opération militaire la plus complexe et la plus délicate depuis peut-être deux générations ou plus » s’effrite, même s’il y a « des divergences d’opinion au sein des pays et entre eux ». On obtiendra sans doute « plus aisément le soutien de l’opinion publique en expliquant avec une plus grande honnêteté et une plus grande franchise pourquoi nous sommes là et ce que nous cherchons à faire ».
Il est dit notamment dans le rapport qu’il faut « donner davantage d’informations sur les progrès et les réalisations de la Force internationale d’assistance à la sécurité » (la FIAS, qui regroupe les forces de l’Alliance placées sous le commandement de l’OTAN) ; et « souligner les progrès dans la construction de meilleures relations avec la population afghane, la création d’institutions viables gérées par les Afghans et le rejet de la corruption et des trafics illicites ». Mais Oliver Heald (Royaume-Uni, Groupe fédéré) a mis en garde ses collègues : les stratégies de communication ne remportent pas les guerres …
• L’UE doit promouvoir les entreprises de défense sur le marché transatlantique, renforcer la base industrielle et technologique de défense européenne, et donner mandat à l’Agence européenne de défense (AED) d’identifier les secteurs où il est possible de développer la coopération avec les Etats-Unis, estime le rapport présenté par Axel Fischer (Allemagne, groupe PPE/DC). « La différence entre les Américains et les Européens est une différence de qualité mais aussi d’échelle ; il est donc difficile pour l’Europe de rattraper son retard », a-t-il expliqué.
Les propositions des Etats-Unis d’assouplir la réglementation ITAR (International Traffic in Arms Regulations) profiteraient davantage aux entreprises américaines qu’à leurs concurrentes. L’Europe a le choix entre acheter « sur étagère » aux Etats-Unis, option la moins coûteuse qui comporte une menace potentielle pour l’autonomie opérationnelle, ou se tourner vers les entreprises européennes. Mais l’UE a toujours « du mal à définir des besoins communs, en dépit d’une bonne connaissance de ses principales lacunes – interopérabilité, projection, mobilité », selon M. Fischer.
Prudence et vigilance
• Une feuille de route pour l’inclusion des Balkans occidentaux dans l’UE, propose Piero Fassino (Italie, Groupe socialiste) dans son rapport sur l’intégration progressive de ces pays : conclure d’ici un an les négociations avec la Croatie ; les entamer avec l’ex-République yougoslave de Macédoine ; reconnaître le statut de candidat à la Serbie, au Monténégro et à l’Albanie en engageant les procédures d’ouverture des négociations ; consolider l’unité étatique de la Bosnie-Herzégovine pour accélérer sa marche vers l’Europe. Même les situations les plus délicates – comme le renforcement de l’unité étatique en Bosnie-Herzégovine et les rapports entre la Serbie et le Kosovo – pourraient trouver une solution plus rapidement dans le cadre de l’intégration européenne, estime-t-il.
Cette déclaration adoptée par l’assemblée invite également les autorités de la Serbie et du Kosovo à reprendre les pourparlers bilatéraux et celles du Kosovo à garantir les droits de la minorité serbe ; elle encourage les trois communautés ethniques qui composent la Bosnie-Herzégovine à renforcer l’unité de l’Etat et invite la Grèce et l’ex-République yougoslave de Macédoine à accélérer les négociations afin de parvenir à un accord mutuellement acceptable sur la dénomination de cette dernière ; elle exhorte les forces politiques albanaises à dépasser les conflits actuels qui les opposent…
• Appel « à la prudence et à la vigilance » face à la question nucléaire iranienne. De retour de mission en Iran, Mme Josette Durrieu (France, Groupe socialiste) estime qu’il faut « prendre la juste mesure de la réalité nucléaire opérationnelle de la bombe iranienne ». Elle met en garde à la fois contre des sanctions trop sévères et des frappes militaires qui seraient contre-productives. Selon elle, l’Iran pourrait au mieux disposer à la fin 2010 « d’un seul engin nucléaire qui n’aurait fait l’objet d’aucun essai et dont l’adaptation à un missile balistique n’aurait pas été démontrée ». Un second engin serait seulement envisageable fin 2011 et un « ensemble cohérent de dissuasion aux environs de 2015 ».
Selon la Sénatrice française, « les sanctions pénalisent habituellement les populations, mais n’ébranlent pas les régimes ». Et parfois, « elles les renforcent », a-t-elle ajouté en estimant que « si le régime iranien tombe, il tombera de l’intérieur ». Mme Durrieu considère en outre qu’il peut être « difficile de dire que l’Iran n’a pas “de droits”, alors qu’Israël, l’Inde et le Pakistan disposent d’un arsenal nucléaire opérationnel ». A ses yeux, il faut persévérer dans la voie « d’un accord de paix global et d’une dénucléarisation complète de la région ».
Conflits gelés
• Le règlement du conflit israélo-palestinien est une priorité qui ne doit pas être liée aux visées nucléaires de l’Iran, estime l’assemblée après examen d’un rapport sur « L’Iran et le Moyen-Orient ». La recommandation, adoptée à l’unanimité, affirme qu’un règlement du conflit central israélo-palestinien ne doit pas être conditionné à la solution du problème nucléaire iranien, et qu’un Etat palestinien ne peut être créé sans lever le blocus de Gaza, mettre fin à la violence et geler les activités de colonisation d’Israël.
• les conflits gelés en Europe. Le rapport porte sur les relations entre la Russie et la Géorgie depuis leur guerre d’août 2008, les tensions à propos du conflit sur le Haut-Karabakh opposant l’Arménie à l’Azerbaïdjan et la Transnistrie. L’absence de perspective de règlement a « un effet déstabilisant sur l’ensemble de la région et met en question la capacité de l’UE à projeter efficacement sa politique étrangère ». L’Union européenne doit s’atteler de toute urgence cette question si elle veut éviter que des hostilités éclatent à nouveau.
- L’espace : un des éléments de la fragilité européenne. L’AESD a appelé l’UE à se montrer plus offensive et plus coopérative dans le domaine des satellites d’observation, qui constitue une de ses orientations stratégiques, M. Pozzo di Borgo (France, PPE/DC) ayant estimé que dans ce domaine, « la coopération s’avère très difficile car peu de pays européens montrent leur intérêt ».
Manques criants
- La lutte contre les débris spatiaux. L’Union européenne doit œuvrer à l’adoption d’une réglementation internationale, demande Edward O’Hara (Royaume-Uni, Groupe socialiste) dans un rapport où il rappelle que 150 000 objets d’une taille supérieure à 10 centimètres, 200 000 objets mesurant de 1 à 10 cm, et 135 millions d’objets mesurant moins de 1 centimètre circulent dans l’espace, notamment en orbite basse, au risque d’entrer en collision entre eux, ou avec des engins habités ou non.
• La coopération médicale entre les forces armées : elle doit être renforcée, préconise l’AESD, grâce à une meilleure coordination entre les forces armées européennes, afin de mieux répondre aux situations d’urgence et de réunir les compétences nécessaires sur les théâtres d’opération extérieures. « Les accidents, les maladies, les virus et les blessures sont le lot commun des civils et des militaires. Par conséquent, les spécialistes aptes à traiter ces cas médicaux peuvent être recrutés dans l’un ou l’autre secteur… », affirme un rapport qui préconise la mise sur pied d’une structure de dialogue entre les services médicaux des forces armées européennes, afin de mutualiser les réponses aux situations humanitaires d’urgence.
• Améliorer la disponibilité des hélicoptères militaires, notamment les engins de transport lourd, nécessaires à la projection des forces. « On constate depuis dix ans des lacunes quantitatives et qualitatives de cette capacité en Europe, ainsi qu’une réticence des Etats à partager leurs ressources héliportées nationales dans les opérations menées en coalition », relève Mme Claire Curtis-Thomas (Royaume-Uni, Groupe socialiste) qui précise que l’Agence européenne de défense a recensé 1 735 hélicoptères de 22 types différents au sein de l’UE, mais calculé que « seuls 6 à 7 % d’entre eux sont déployés dans les opérations extérieures », alors que les manques sont criants, par exemple en Afghanistan. L’Assemblée a recommandé en particulier de chercher à « améliorer le taux de disponibilité des hélicoptères de transport pour les opérations extérieures européennes ».
Grave erreur
L’Assemblée a bien sûr condamné la décision prise par les gouvernements de l’UEO de dissoudre l’institution avant même la mise sur pied d’un organe chargé d’assurer la relève du suivi interparlementaire des questions de sécurité et de défense par les parlements nationaux européens. Les décisions politiques liées à la fermeture doivent être prises par un comité de pilotage. Certains parlementaires demandent le vote d’un budget spécial pour 2011 assurant une transition en douçeur. Supprimer cette instance est « une grave erreur », font valoir d’autres, et l’organe qui la remplacera ne devra être ni un appendice ni une commission du Parlement européen. L’adhésion devra être ouverte à tous les pays non membres de l’UE faisant partie de l’Europe élargie, comme c’est le cas pour l’AESD.
Mike Hancock (Royaume-Uni, Groupe libéral) s’est consolé en affirmant que « la notification donnée à l’Assemblée pouvait fort bien être suivie par une supplique pour qu’elle revienne si on ne trouve rien de mieux ». Pour beaucoup, en tout cas, l’initiative de créer une structure de contrôle interparlementaire de la politique étrangère, de sécurité et de défense européenne commune doit revenir aux parlements nationaux, et non au parlement européen… qui risque de ne pas plus s’y intéresser demain qu’il ne le fait aujourd’hui !