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Liu Xiaobo, premier Prix Nobel chinois

En accordant le prix Nobel de la paix au dissident chinois Liu Xiaobo, le comité norvégien a, sans surprise, déclenché la colère de Pékin. D’autant plus forte que l’écrivain est le premier Chinois à obtenir cette reconnaissance internationale. Emprisonné depuis décembre 2009 pour avoir lancé la « Charte 08 », sur le modèle de la Charte 77 qui a contribué au succès des dissidents en Tchécoslovaquie, Liu Xiaobo avait déjà connu la prison aux lendemains des évènements de la Place Tiananmen en 1989.

par Martine Bulard, 12 octobre 2010

Si la Charte elle-même n’a pas recueilli un assentiment unanime parmi les intellectuels chinois les plus critiques à l’égard du régime — en raison notamment de ses références prégnantes aux systèmes occidentaux —, l’emprisonnement de Liu Xiaobo a provoqué des vagues bien au-delà des rangs habituels des protestataires. En début d’année, quatre anciens dirigeants du Parti communiste, dont l’ex-patron de l’agence de presse Chine nouvelle, ont écrit une « lettre ouverte aux dirigeants du parti et du gouvernement » pour dénoncer cet embastillement contraire aux principes de la Constitution et pour réclamer la liberté de l’écrivain, ainsi que de sa femme Liu Xia, toujours assignée à résidence (lire « La “Bande des quatre”, version Chine moderne », 28 janvier 2010). Une déclaration suffisamment rare pour être significative du débat qui agite une partie des élites du pays.

Fin septembre, le philosophe Xu Youyu, connu pour ses prises de position sans concession, rendait publique une lettre envoyée au comité du prix Nobel pour le « presser d’attribuer le prix à Liu Xiaobo » : « Quand les autorités chinoises violent la Constitution, quand elles piétinent leur propre légalité, il faut qu’une voix extérieure, celle de la communauté internationale, les rappelle à la réalité. » (lire « Donnez le prix Nobel de la paix à Liu Xiaobo », Rue 89, 25 septembre 2010). C’est en effet au nom même de la légalité chinoise que la plupart des opposants se battent, et que les mouvements sociaux se développent.

Le gouvernement, lui, joue la carte du silence. Le commun des Chinois ignore toujours la distinction reçue par Liu Xiaobo. L’accès à l’appartement de Lu Xia est interdit et les quelques manifestants ont été arrêtés. A l’extérieur, le pouvoir tempête, rédige des déclarations intempestives contre ces « interventions dans les affaires intérieures chinoises ». Fermez le ban. Pourra-t-il en rester là ?

Fort habilement, Jin Zhong, le directeur de Kaifang magazine, s’adresse directement aux membres du Parti communiste. Cette attribution, représente, selon lui, « une occasion en or pour ceux qui, au sein du Parti communiste, souhaitent apporter leur contribution à la transformation historique vers un système démocratique. (…). Les conditions objectives de la réforme sont mûres. La mise en place d’un nouveau système ne signifie pas une révolution violente et un chaos à l’échelle nationale. Le Parti communiste doit se débarrasser de sa vieille voiture, prendre un chemin nouveau et créer un nouvel espace. » Medal Contention », South China Morning Post, 12 octobre 2010.)

Cette adresse montre que, au sein même du Parti communiste, des voix s’élèvent en faveur d’une ouverture plus grande et surtout d’un recul de l’arbitraire. Il n’est pas sûr que les pressions extérieures facilitent leur tâche ; elles peuvent au contraire favoriser un repli nationaliste dont usent abondamment les plus conservateurs. Certains font déjà remarquer que l’attribution du prix Nobel arrive comme par hasard en pleine querelle monétaire et commerciale avec Washington.

De leur côté, des dissidents chinois en exil aux Etats-Unis ont mis en cause le choix du comité Nobel, Liu Xiaobo apparaissant à leurs yeux « trop modéré ». Ainsi Wei Jingsheng, considéré en Occident comme le père de la dissidence chinoise à l’extérieur, estime-t-il que « renforcer les réformateurs modérés encourage les gens à coopérer avec le gouvernement, contribuant à stabiliser la situation politique en Chine et à retarder le moment où le peuple va renverser la dictature » (AFP, 11 octobre).

Tous égaux dans la censure

La censure qui touche une partie des opposants a même frappé le numéro deux du régime, le premier ministre Wen Jiabao. Interrogé le 3 octobre par Fareed Zakaria, commentateur vedette de la chaîne américaine CNN, sur la censure touchant Internet et les blogueurs, M. Wen assure : « Je crois que la liberté d’expression est indispensable partout. Que ce soit dans un pays en train de se développer, ou dans un pays développé. Du reste, la liberté d’expression figure dans notre Constitution. Vous ne savez pas tout sur ce point : en Chine, il y a environ 400 millions d’utilisateurs d’Internet et 800 millions d’abonnés dans le secteur de la téléphonie mobile. Ils peuvent accéder au Web pour exprimer leurs opinions, même les plus critiques. Moi, je me connecte assez souvent et je lis des commentaires très critiques à l’égard du travail du gouvernement, même s’il y en a aussi qui le félicitent. (…) Je dis souvent que la question n’est pas seulement la liberté d’expression ; on devrait surtout créer des bonnes conditions pour critiquer le travail du gouvernement. C’est seulement dans un contexte de supervision et pouvoir critique du peuple que le gouvernement se trouve dans la possibilité d’améliorer son travail et que les fonctionnaires peuvent réellement “servir le peuple” ». Et de conclure : « Le peuple chinois et moi avons la conviction que la Chine continuera à se développer et que les espoirs de démocratie et de liberté du peuple sont irrésistibles. »

Or, dans la presse chinoise, ces commentaires iconoclastes ont été effacés. « Le premier ministre s’est fait “harmoniser” », titre Aujourd’hui la Chine, qui reprend ainsi l’expression courante pour désigner le caviardage officiel. Seuls les blogs ont repris et commenté les propos… sans censure.

Est-ce à dire que le pouvoir central serait divisé, entre le président Hu Jintao, plus orthodoxe, et son premier ministre Wen, plutôt libéral ? Ou assiste-t-on à un jeu de rôles, celui du méchant étant dévolu à M. Hu, tandis que le gentil Wen serait chargé de peaufiner le discours attendu par l’étranger pour calmer les tensions ? Les deux hypothèses ne sont pas forcément contradictoires. En tout cas, pour l’heure, il est impossible de répondre.

De toute façon, la « démocratie » version Wen ne signifie pas le droit de vote, la fin du parti unique, le pluralisme politique, et l’absence de contrôle étatique sur les médias. Elle vise plutôt à une démocratisation interne au Parti communiste passant par la reconnaissance des « courants » ainsi que par des formes de délibérations publiques associant la population. Cela s’appelle la « voie chinoise ».

Martine Bulard

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