Le pays de la « mégadiversité »
Le Brésil, puissance économique émergente, est devenu un des plus gros exportateurs mondiaux de matières premières agricoles et de produits issus de l’élevage. Depuis une vingtaine d’années, les niveaux de production sont extrêmement élevés. En même temps s’est également imposée la conscience de la valeur – économique, entre autres – du patrimoine naturel de ce pays aux dimensions continentales, surtout en ce qui concerne les biens communs « stratégiques » comme l’eau douce, la forêt et la biodiversité.
L’importance de la richesse socio-environnementale du Brésil est réputée : c’est le premier des pays « mégadivers » de la planète, qui comprend environ 10 à 20 % du biotope (1) mondial. Les écosystèmes y sont uniques : le Brésil regroupe 28 % des forêts primaires du globe, un tiers des forêts tropicales et plus de 20 % du flux superficiel d’eau douce. L’Amazonie joue donc un rôle fondamental pour la stabilité environnementale et climatique de la planète, émettant dans l’atmosphère 7 000 milliards de tonnes d’eau par an, et captant d’énormes quantités de CO2, (environ 10 % du total absorbé par les écosystèmes terrestres). A l’image de la nature, la société brésilienne est aussi « mégadiverse » de part ses multiples origines, de sa culture et de son mode de relation au territoire et de ses sociétés traditionnelles (2). Les peuples autochtones ont vécu pendant des siècles en exploitant les ressources disponibles et en utilisant l’environnement sans en altérer les équilibres écologiques fondamentaux, perpétuant des connaissances et des pratiques qui représentent encore aujourd’hui un des patrimoines les plus précieux du pays.
Les interactions entre l’homme et le territoire ont toutefois donné lieu à des records bien moins flatteurs : taux très élevés d’inégalité sociale, de pauvreté rurale et urbaine, d’innombrables crimes liés à la propriété de la terre, des milliers de travailleurs réduits en esclavage et dévastations environnementales liées à la déforestation. Le développement économique chaotique et la fragilité structurelle matérialisée jusqu’à la fin des années 1990 par une dette extérieure abyssale et des taux d’inflation astronomiques ont considérablement handicapé ce géant sud-américain au fort potentiel.
Les mesures adoptées sous les deux gouvernements Lula (2002-2010) ont conduit à de remarquables résultats économiques nationaux et internationaux : annulation de la dette extérieure, inflation enfin contrôlée, forts taux de croissance et accès élargis aux marchés mondiaux. Les raisons de ce « miracle économique » s’expliquent par l’explosion mondiale du prix des produits d’exportation (soja et viande bovine), l’apparition de nouveaux marchés, en particulier celui de la Chine (qui a dépassé les Etats-Unis pour les importations venues du Brésil en 2009), mais aussi celui des agrocarburants et des services environnementaux. Grâce à ces conditions particulières et à un endettement public et privé réduit, le Brésil a plutôt bien résisté à la crise financière mondiale qui a débutée en 2008.
L’histoire du Brésil a toujours été marquée par des cycles économiques étroitement liés à l’exploitation du sol et des ressources naturelles. L’agriculture et l’élevage sont le cœur de l’économie brésilienne depuis l’époque coloniale. Aujourd’hui plus que jamais, le pays se présente sur les marchés internationaux avant tout comme une superpuissance du secteur agroindustriel (un tiers de son PIB, 40 % de ses exportations, et 30 % des emplois) (3). Sucre, éthanol, tabac, soja, millet, manioc, agrumes, café, cacao, haricots et viande bovine sont quelques-uns des produits pour lesquels le Brésil se place parmi les premiers exportateurs mondiaux.
L’Amazonie menacée par la pression des marchés
La Révolution verte dans les années 1970 marque une accélération de la dégradation des espaces naturels jusqu’alors peu anthropisés (4). L’attribution d’aides étatiques et la spéculation foncière sont les principales dynamiques qui ont permis l’avancée de la frontière agricole aux dépens de la forêt. L’occupation de nouvelles terres est le résultat d’une politique de colonisation spécifique qui privilégie un modèle de développement et d’intégration de la région amazonienne, fondé sur d’importants investissements dans les infrastructures et des incitations fiscales pour convertir de grandes zones de cerrado (5) et de forêt en pâturages et en cultures. La pénétration vers l’intérieur du pays de techniques agricoles « industrielles », inadaptées à cette région tropicale fragile est un des facteurs les plus importants de la destruction du milieu naturel.
Dans les années de récession, 1980 et 1990, la réduction des investissements publics a été largement compensée par la forte croissance de l’agrobusiness, de l’élevage, de l’industrie du bois et de la spéculation sur les terres publiques. Les nouvelles techniques ont permis d’augmenter les rendements pour certains produits comme les oléagineux, le pays devenant même très compétitif au niveau international, ce qui a encouragé le défrichage et l’occupation de nouveaux espaces.
Les investissements publics dans la région amazonienne reprennent vers la fin des années 1990 avec des programmes comme Brasil em Acção (1996-2002) et, quelques années plus tard, avec le grand plan gouvernemental de développement des infrastructures Avança Brasil (2000-2003). Ces gigantesques campagnes d’investissement ont été très critiquées pour leurs conséquences potentiellement dévastatrices sur l’environnement, notamment pour les espaces se trouvant à proximité de nouvelles routes. Celles-ci rendent possible l’exploitation du bois dans de nouvelles zones forestières, et accélèrent le processus de conversion des terres en pâturages et champs cultivés (6).
Aujourd’hui, les forces qui influencent le processus de déforestation en Amazonie sont complexes et plus ou moins liées : mécanismes de corruption, investissements publics dans les infrastructures, expansion des petites exploitations agricoles due à l’application de la réforme agraire (7), inversions de capital privé de grandes entreprises nationales et étrangères pour le marché d’exportation, « criminalité environnementale » liée au commerce du bois et à la spéculation foncière, impunité diffuse due à la lenteur des processus administratifs, des enquêtes et de la machine judiciaire (8).
Fronts pionniers
Le virage économique opéré sous les gouvernements Lula a été accompagné d’autres programmes vigoureux comme le Plano Brasil para Todos (Plan Pluriannuel 2004-2007) et le récent PAC (Programme d’accélération de la croissance 2007-2010), qui ont soutenu la relance de l’économie à travers une série d’investissements, entre autre dans le champ des infrastructures, afin d’intégrer des pans de la population et des zones marginales du pays à l’économie nationale et internationale. Les effets ont certainement été positifs, mais ces initiatives ont aussi reproduit un modèle d’« intégration » (comme on disait déjà dans les années 1960) fondé sur la logique quantitative « plus d’infrastructures = plus de développement = plus d’environnement » ; elles n’ont eu en fin de compte que très peu de retombées pour les populations locales, et hélas des impacts environnementaux négatifs.
L’Amazonie, région historiquement marginale pour l’économie brésilienne, est depuis une quinzaine d’années la frontière économique « où il faut investir », en grand partie grâce à l’explosion des exportations et au renouvellement des accords politico-économiques conclus avec les autres pays d’Amérique du Sud. En ce sens, de nombreuses critiques ont été formulées contre le vaste programme IIRSA (Initiative d’intégration de l’infrastructure régionale d’Amérique du Sud, 2000-2020) ratifié par douze présidents sud-américains pour améliorer l’articulation entre les économies des différents pays grâce à la réalisation de projets dans les secteurs énergétique, des transports et des télécommunications.
Selon l’ONG Conservation International, dans une étude publiée en 2007 (9), ce programme visionnaire, qui a pour objectif de créer la base logistique permettant de faire de l’Amérique du Sud une communauté de nations, n’a pas été pensé en tenant compte des inévitables conséquences environnementales et sociales qu’il aura dans les zones écologiquement sensibles du continent (forêt amazonienne, cerrado, écosystèmes andins, etc.). Les seules mesures environnementales envisagées concernent chaque projet de manière individuelle, sans que ne soient pris en compte l’impact général de tous les investissements, ni leurs effets à long terme.
La colonisation de la forêt trouverait de nouveaux axes d’expansion autour des grandes voies de communication prévues, rendant les zones reculées de l’intérieur attractives pour le marché croissant des exportations. C’est un mécanisme qui a toujours donné le même résultat : l’intensification de la déforestation. Au point de vue social, la volonté de réduire la marginalité des communautés rurales les plus isolées et de créer de nouvelles opportunités économiques est tout à fait louable. Un objectif qui est, sur le papier, difficilement contestable, vu les conditions d’accès aux services dans certaines zones du pays.
L’histoire nous apprend toutefois que les grands chantiers et l’entrée précipitée dans la machine à broyer des marchés mondiaux, en l’absence de systèmes de contrôle solides, lèsent toujours les populations autochtones et les communautés locales (10). « En outre, fait remarquer Magnolia Said, présidente de l’ONG Esplar, au-delà de ce qui a été dit, ce programme n’est pas fait pour rapprocher les pays et leurs peuples, mais pour aménager et intégrer des territoires choisis pour la présence massive de ressources stratégiques ».
C’est ce même genre de logique qui a porté dans le passé à la concentration inique d’énormes masses de capitaux et à l’appauvrissement de la population rurale. La progression de la frontière agricole en Amazonie est un processus dynamique, vorace et hétérogène. Elle se manifeste au travers d’actions qui bien souvent restent dans l’ombre de l’immensité territoriale et des difficultés opérationnelles que rencontrent les différents organismes de contrôle, couverte par de vastes filières de corruption et par la violence la plus expéditive. Il est peu probable que les difficultés logistiques rencontrées dans la gestion d’un phénomène aussi complexe se résolvent avec la libéralisation sauvage du marché et la réalisation de grands chantiers sans les précautions nécessaires.
Les pratiques mises en œuvre pour l’occupation de la région amazonienne tendent à alimenter une économie locale qui suit le modèle du « boum-effondrement » (11) : un boum économique suivi à court terme par une rapide production de capital et des indicateurs économiques en forte croissance (PIB et emploi) tant que les ressources disponibles le permettent, puis la situation se dégrade… En l’absence d’actions correctives, on peut arriver à l’effondrement quand la dégradation et l’exploitation inadaptée aboutissent à l’appauvrissement d’une zone. Qu’il s’agisse de changement du régime climatique régional, de désertification, de précarisation et de pollution des ressources en eau, de perte de la biodiversité ou d’appauvrissement des sols, la dégradation environnementale a de graves conséquences avant tout pour qui dépend directement des ressources naturelles, en premier lieu les populations traditionnelles et les petits agriculteurs.
Elles sont au contraire beaucoup moins graves pour les grands acteurs économiques et pour ceux qui opèrent aux marges de la légalité, avec une disponibilité de capitaux et des possibilités de mouvements largement supérieurs. La maximisation des rendements que recherche le secteur de l’agrobusiness passe paradoxalement par la minimisation des richesses naturellement disponibles. Des écosystèmes formés sur des milliers d’années sont ainsi transformés en pâturages mal exploités ou en monocultures inadaptées à des terrains qu’elles appauvrissent trop rapidement et qui requièrent de ce fait une utilisation croissante d’intrants, aggravant encore plus la dégradation environnementale.
L’émergence de la « valeur » environnement
Beaucoup de monde soutient désormais que la solution la plus raisonnable à la lutte opposant développement aveugle et limitation de ses effets désastreux se trouve dans le paradigme du développement durable (ou soutenable). Dans le débat politique de ces dernières années, la figure de Marina Silva, ministre de l’Environnement sous les deux gouvernements Lula et candidate aux élections présidentielles d’octobre 2010, est intervenue avec force, évoquant la nécessité que toutes les politiques étatiques – pas seulement celles touchant à l’environnement – soient intégrées sous le signe d’une « durabilité transversale ». Le problème qui se pose, en somme, n’est pas de choisir entre construire ou ne pas construire, occuper ou ne pas occuper, cultiver ou faire de l’Amazonie une grande réserve, mais plutôt comment le faire : en minimisant les impacts environnementaux (notamment dans les zones les plus sensibles), en corrigeant les erreurs du passé et en éradiquant les modèles productifs inefficaces (comme l’abandon des zones dégradées ou l’élevage extensif), en intégrant les populations locales dans la réhabilitation environnementale et dans la distribution des richesses, en adoptant des systèmes de contrôle transparents et valables sur le long terme, etc. Ce que résumait l’Institut Socio-environnemental (ISA) par ce slogan : « le développement oui, n’importe comment, non ! ».
De nombreuses initiatives vont dans ce sens, tant du côté des organisations qui travaillent sur le terrain que du gouvernement, mais dans la pratique, persistent encore de trop fortes résistances pour qu’une nouvelle vision du développement puisse s’imposer. La valorisation des ressources et des services environnementaux n’a pas encore réussi à obtenir la reconnaissance politique et économique qu’elle mériterait, vu les énormes potentialités du pays. Abstraction faite des situations limites où criminalité et corruption contrôlent le territoire, il est clair que l’on n’a pas encore trouvé une synthèse opératoire conjuguant développement et préservation, et qui soit positive dans les deux cas. L’idée selon laquelle la protection de l’environnement représente forcément un frein pour le développement et qu’il est nécessaire d’établir des priorités persiste : pour les ruralistes c’est uniquement après le développement (agricole traditionnel) que l’on peut envisager la préservation (de ce qu’il reste).
Pour les environnementalistes au contraire, il ne peut y avoir de développement (durable) sans préservation (productive). Cela peut sembler une simplification exagérée, et de fait le débat est plus complexe que cela, mais c’est bien souvent en ces termes que les décisions politiques et commerciales sont prises, et que sont organisées les campagnes électorales ou de protestation. Les domaines posant le plus de problèmes en ce sens sont, comme on l’a vu, les projets liés à l’énergie et aux infrastructures, et plus particulièrement la construction de centrales hydro-électriques et de réseaux de communication, un des objectifs principaux de la PAC. Le complexe hydro-électrique du Rio Madeira, les PCH (Petites centrales hydro-électriques) prévues sur les principaux affluents du haut Rio Xingu, le canal Araguaia-Tocantins, et l’énorme bassin du barrage de Belo Monte sur le Rio Xingu, le troisième au monde en termes de capacité, sont quelques exemples des projets les plus controversés.
Au-delà de l’impact de chaque chantier, qui reste gérable en phase de planification et de réalisation, ce sont les effets cumulés de tous ces projets sur les territoires avoisinants qui génèrent les principaux problèmes de contrôle. C’est là la contradiction propre à l’avancée du « front agricole », toujours partagé entre les pressions de l’industrie agro-extractive, les limites de la loi en matière socio-environnementale, la nécessité de fournir à tous les Brésiliens des services de base et les formes d’illégalité diffuse qui se concentrent précisément là où se développe l’occupation « aveugle » de nouvelles terres. A cela s’ajoutent les énormes difficultés logistiques auxquelles se heurtent quotidiennement les organismes dédiés au contrôle des terres ou à l’attribution des licences environnementales, comme l’Ibama (12), rendus inefficaces par le manque chronique de ressources.
L’arbre qui cache la forêt
Dans ce contexte, la situation de l’Amazonie, bien qu’elle soit cruciale et occupe une superficie gigantesque, ne suffit pas à rendre compte du déficit environnemental du cinquième pays du monde par sa surface. En termes de préservation, les autres biomes se trouvent en effet tous dans des situations bien pires que celle de l’Amazonie, notamment à cause de l’expansion des zones urbaines, de l’élevage bovin et des grandes monocultures comme le soja et la canne à sucre. Si la forêt amazonienne est encore sur pied pour environ 80 % de sa surface, le cerrado, biome beaucoup moins connu, alors qu’il s’agit biologiquement du type de savane le plus riche de la planète et du lieu d’origine de trois des plus grands bassins hydrographiques du pays, a déjà perdu une bonne partie de sa végétation originelle. Par une sorte de préjugé écologique, jusqu’à maintnant, la surveillance satellitaire systématique de la couverture forestière a été restreinte à la seule région amazonienne. En avril 2009, Le ministre de l’environnement, Carlos Minc, lançait le Projet de surveillance de la déforestation des biomes brésiliens, pour compenser finalement cet étrange désintérêt envers des écosystèmes qui sont d’ailleurs extrêmement importants pour l’Amazonie elle-même.
Les estimations sur la conversion du cerrado en terrains agricoles (Ferriera et al., 2007) varient à cause des difficultés techniques rencontrées lors de la surveillance (présence prolongée de nuages, difficulté à distinguer les différents écosystèmes du biome et autres questions méthodologiques) et pour le moment on s’accorde sur la perte de 40 à 55 % de la couverture végétale originelle. Cette région, grande comme le Venezuela, a été colonisée à partir des années 1970, quand la frontière agricole commençait à s’élargir, et a été occupée par l’élevage, la culture du soja, du coton, de la canne à sucre et de charbon végétal. La saturation de ces espaces a entraîné la recherche de nouvelles terres vers l’ouest, dans le Maranhão, le Tocantins, le Mato Grosso, le Parà, au-delà des limites de la forêt. La zone de transition entre cerrado et forêt, qui s’étend du Maranhão au Rondônia, devint ensuite tristement célèbre sous le nom d’« arc de la déforestation », far-west peuplé de grileiros, d’affairistes, de voleurs de bois, de multinationales, de fazendeiros et de petits agriculteurs qui alimentent année après année le processus de déforestation.
Le cerrado est encore aujourd’hui au cœur de la colonisation agraire commencée il y a quarante ans, et environ 50 % du soja du pays (soit 13% du soja mondial) et un tiers du bétail y sont produits, pour ne citer que les deux chiffres les plus importants. Si le rythme actuel de la déforestation reste constant, on prévoit la disparition totale du cerrado d’ici 2030, ce qui aurait des conséquences extrêmement graves pour l’Amazonie elle-même. Les autres biomes (Caatinga, Mata Atlantica, Pampa, Pantanal) sont aussi menacés. Tous – sauf le Pantanal – sont adossés à la côte Atlantique où est concentrée la quasi-totalité de la population, et où la colonisation agricole, industrielle et urbaine, laisse son empreinte sur le territoire depuis bien plus longtemps.
Le déséquilibre entre la visibilité mondiale de la forêt amazonienne et la situation des autres écosystèmes beaucoup moins connus se retrouve dans la législation, dans les investissements pour la recherche et dans les programmes de surveillance et de défense du territoire. A partir des années 1980, l’image de la plus grande forêt équatoriale du monde a été étroitement associée au problème de sa destruction (nombre de « terrains de foot » qu’incendies ou bulldozers faisaient disparaitre chaque minute), laissant un désert aride à la place d’un paradis tropical. Bien entendu cette insistance, disproportionnée par rapport à l’état de dégradation des autres biomes, doit beaucoup à la coïncidence entre l’accélération de la pénétration agricole à l’intérieur du pays et l’émergence de la déforestation comme cœur de la problématique relation homme-environnement.
Pour André Alves, secrétaire exécutif du Formad (13), c’est également un problème de perception : la forêt dense est tout simplement plus facile à « vendre ». Sa biodiversité, sa richesse en eau douce et les populations autochtones qui y vivent sont plus visibles, plus facilement « utilisables » dans les batailles pour l’environnement, dans les opérations de « greenwashing » des grandes entreprises qui veulent financer des projets de recherche que ne le sont ces mêmes richesses du cerrado, perçu par beaucoup comme une brousse inutile faite d’arbres tordus, ou les quelques morceaux restants de mata atlantica. Sans rien enlever à la gravité des crimes environnementaux perpétrés sur le sol amazonien, il y a une grande injustice.
Les contradictions émergent lorsqu’on traverse le front agricole, métaphore géographique parfaite de l’équilibre difficile entre développement et préservation. D’un côté le scandale des délits socio-environnementaux liés à la destruction de la forêt, de l’autre le droit d’un pays à utiliser ses propres ressources et à gérer de manière autonome son propre territoire pour se développer, comme cela a été fait dans tous les pays du « Premier monde » pendant des siècles. Si la rapidité avec laquelle des régions vierges grandes comme des états européens ont été pillées en moins de vingt ans est effectivement impressionnante, il reste également vrai que le seul Brésil contient presque un tiers des forêts primaires mondiales, dont la surface va croître durant les prochaines décennies. La forêt amazonienne absorbe environ 300 millions de tonnes de carbone par an…
Malgré cela, le Brésil occupe une assez peu flatteuse quatrième place au classement mondial des principaux émetteurs de gaz à effet de serre (données de 2005) (14), bien que n’étant pas parmi les responsables historiques de l’effet de serre et ayant une des matrices énergétiques les plus propres du monde. La cause de cet apparent paradoxe se trouve dans l’Amazonie même, la déforestation étant responsable de 70 % du total des émissions du pays. En ce qui concerne l’eau, aussi bien atmosphérique que de surface, on pourrait évoquer une cercle vicieux analogue : abondante dans toute l’Amazonie, base du développement de l’agriculture et de l’élevage dans cette région, sa disponibilité est pourtant sérieusement mise en péril par l’expansion de ces mêmes activités, la déforestation bouleversant le cycle hydrologique.
Autre contradiction, le Brésil a été longtemps considéré comme un pays n’hésitant pas à détruire son environnement sur l’autel du développement économique alors qu’il a aussi été un des interlocuteurs internationaux de premier plan pour les discussions sur l’état de la planète, indispensable lorsqu’on parle de la forêt mondiale. Ce pays a les atouts lui permettant de se présenter comme un laboratoire avancé de recherche scientifique et d’expérimentation politico-économique pour les questions environnementales (15).
Aujourd’hui, le développement de l’agriculture domine largement sur la protection environnementale. La possibilité d’inclure de manière structurelle les services environnementaux (parmi les plus cités aujourd’hui se trouve la capacité d’absorber le CO2, mais il y en a bien d’autres) dans les négociations commerciales et les accords internationaux sera peut-être l’étape décisive pour que les forêts, savanes et zones marécageuses ne soient plus considérées comme des espaces improductifs à coloniser sans limites, mais des lieux uniques de production de l’irremplaçable richesse du pays. Des signaux de plus en plus nombreux montrent - aussi bien dans la société civile qu’en politique - que le Brésil est capable aujourd’hui de mettre en oeuvre des politiques pour contenir la nature prédatrice des spéculateurs en tous genres. Mais pour quand sera le déclic ?
Bibliographie sélective
• AAVV, Almanaque Brasil Socioambiental, Istituto Socioambiental. Sao Paulo, 2007.
• Eugênio Arima, Paulo Barret, Marky Brito, Pecuária na Amazonia : tendências e implicações para a conservação ambiental, Imazon. Belém, 2005.
• Danielle Celentano, Adalberto Verissimo, O avanço da fronteira na Amazonia : do boom ao colapso, Imazon, Belém, 2007.
• Daniel Gallas, Crise fortaleceu papel do Brasil no mundo, BBC Brasil, 2009.
• Timothy J. Killen, « A perfect storm in the amazon wilderness, in Advances in Applied Biodiversity » Science, n°7.Conservation International, Arlington VA, 2007.
• Lilian C. Duarte, Política estera e meio ambiente, Jorge Zahar. Rio de Janeiro, 2003.
• Manuel Eduardo Ferreira, Laerte Guimaraes Ferreira Jr, Nilson Clementino Ferreira, Genival Fernandes Rocha, Marlon Nemayer, « Desmatamentos no bioma cerrado : uma anàlise temporal (2001-2005) com base nos dados MODIS-MOD13Q1 » Annais XIII Simposio Brasileiro de Sensoriamento Remoto, Florianopolis. Instituto Nacional de Pesquisas Espaciais, 2007.
• Samuel Murgel Branco, O desafio amazónico. Moderna, Sao Paolo, 1995.
• Daniel Nepstad et al, Avança Brasil : os custos ambientais para Amazônia Gráfica e editora Alves, Belém, 2000.Des sites Internet à consulter
• Imazon Amazon Institute of People and the Environment.
• INPE National Institute for Space Research.
• IPAM Amazon Environmental Research Institute.
• IIRSA Initiative for the Integration of Regional Infrastructure in South America.
• PAC Programa de Aceleração do Crescimento.
• Ibama Instituto Brasileiro do Meio Ambiente e dos Recursos Naturais Renováveis.
Cette contribution est le premier volet de la série d’articles sur le Brésil proposée par « Visions cartographiques ».
Autres articles :
• « Au Brésil, continuité politique et stabilité géographique », par Cesar Romero Jacob, Dora Rodrigues Hees, Philippe Waniez et Violette Brustlein.
• « Le Brésil, gigantisme agricole et richesse environnementale », par Federico Labanti et Nieves López Izquierdo.
• « Le Brésil et les agrocarburants : menaces sur l’agriculture » (N. L. I.).