Les candidats des deux principales coalitions
Le 3 octobre 2010, plus de cent millions de Brésiliens se sont rendus aux urnes pour élire leur président, leurs gouverneurs des Etats, leurs sénateurs fédéraux, leurs députés fédéraux et leurs députés aux assemblées législatives des Etats.
Pour le mandat présidentiel, neuf candidats étaient en lice. Selon les sondages, deux étaient en mesure de l’emporter : Dilma Rousseff, représentant une coalition emmenée par le Parti des travailleurs (PT), et José Serra, au titre d’une autre coalition dirigée par le Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB). Pour l’un comme pour l’autre, les défis étaient nombreux.
Pour Dilma Rousseff, ex-ministre de la maison civile (sorte de poste de premier ministre) auprès de la présidence de la République, il fallait combler un réel déficit de notoriété dans la majeure partie de l’électorat, déficit lié au fait qu’elle était candidate à une charge élective pour la première fois. Sans expérience des débats politiques à la télévision, son style ne lui permettait pas de briller autant que d’autres candidats plus aguerris. A cela s’ajoutait – au moins en début de campagne – la question de la capacité du président Lula da Silva à obtenir de son électorat qu’il se reporte massivement sur sa protégée : à la fin de son mandat, il jouissait de plus de 80 % d’approbation auprès de la population brésilienne.
C’est précisément ce niveau exceptionnel de popularité du gouvernement Lula qui rendait la tâche de José Serra extrêmement difficile. Homme politique expérimenté, José Serra a conduit de nombreuses campagnes électorales : présidentielle de 2002, municipales à São Paulo en 2004, et élection au poste de gouverneur de l’Etat de São Paulo en 2006. Néanmoins, il lui était plus difficile qu’à sa rivale d’incarner la continuité d’un gouvernement apprécié par une majorité des électeurs.
C’est sans doute la raison pour laquelle il est souvent apparu en quête de positionnement politique : tantôt fustigeant le gouvernement (notamment sa politique étrangère et les liens du Brésil avec l’Iran), tantôt se présentant comme « plus luliste que Dilma » et promettant la continuité des programmes gouvernementaux (sociaux notamment). Au cours de la campagne électorale, il a surtout insisté sur les faiblesses de la biographie politique de Dilma Rousseff face à sa propre expérience politique.
Mais limiter l’élection présidentielle de 2010 au seul affrontement « Rousseff-Serra » serait réducteur. La sénatrice Marina Silva, ex-ministre de l’environnement du gouvernement Lula, a créé la surprise au premier tour. En 2009, elle avait claqué la porte du PT pour manifester son désaccord face au peu d’intérêt qu’il manifestait, selon elle, pour la question environnementale. En conséquence, sa plate-forme électorale, sous la bannière du Parti Vert (PV), mettait l’accent sur le développement durable. Elle a profité de la mobilisation active des jeunes issus des classes moyennes – prêts à consacrer du temps et de l’énergie à la question environnementale – ainsi que d’une attitude favorable de la jet-set (1). Membre de l’Assemblée de Dieu (la principale Eglise évangélique du Brésil), elle a reçu par ailleurs le soutien de réseaux religieux très organisés.
Répartition géographique de l’électorat
Pour éviter tout risque d’erreur d’interprétation des cartes en plages de couleurs, il est nécessaire de rappeler l’inégale répartition géographique de l’électorat sur l’ensemble du territoire national, elle-même liée à celle du peuplement. Ainsi, les Etats n’ont pas tous le même poids dans la décision finale et, à l’intérieur même des Etats, il existe de grandes disparités (carte 1). Les différences de poids électoral sont importantes entre les Etats densément peuplés des Régions Sud-Est et Sud, et ceux du centre-ouest et de l’Amazonie qui ne portent que de faibles densités de population. Dans la région Nord-Est, le contraste est important entre d’une part le Sertão délaissé et les régions littorales plus densément peuplées. Dans tous les cas, l’urbanisation est un fait majeur, qu’il s’agisse d’Etats encore largement ruraux (Salvador pour Bahia, Fortaleza pour le Ceará) ou plus urbanisés (São Paulo pour l’Etat du même nom, ou bien encore Rio de Janeiro).
Le premier tour
Comme le dit l’adage, « au premier tour on choisit, au second tour, on élimine ». La dispersion des suffrages exprimés entre les différents candidats au premier tour apparaît différenciée selon les régions. Un indice statistique de diversification permet de s’en rendre compte (carte 2) ; plus il est élevé, plus est grande la diversité de choix des électeurs.
En premier lieu, on observe sur cette carte que, de façon systématique, la dispersion est grande dans les capitales des Etats qui apparaissent toutes avec une valeur d’indice plus élevé que le reste de l’Etat qu’elles gouvernent. En second lieu, le jeu politique apparaît très ouvert à la fois dans des régions au peuplement pionnier récent (Rondônia, Acre, Roraima), et dans des espaces économiques consolidés depuis longtemps (Région Sud-Est notamment).
Enfin, on observe l’existence de fiefs électoraux où le choix est nettement orienté vers un candidat en particulier : d’une part les régions centre-ouest et sud et, d’autre part, l’intérieur de la Région Nord-Est. Cette structuration de l’espace électoral ne doit rien au hasard ; elle résulte à la fois de la plus ou moins grande structuration politique des Etats, de l’histoire électorale liée à la redémocratisation du pays à partir de 1986 et des alliances et ralliements conjoncturels. On retrouvera donc dans les cartes qui suivent cette structuration plus ou moins affirmée, sachant qu’une des clés du succès au second tour dépend de la capacité d’un candidat à entamer les fiefs de l’autre tout en sachant attirer le soutien des politiciens des régions versatiles…
On présente ici les cartes des trois principaux candidats qui rassemblent 98,85 % des suffrages exprimés au premier tour : Dilma Rousseff (PT), José Serra (PSDB) et Marina Silva (PV).
Dilma Rousseff
Dilma Rousseff a obtenu au premier tour de scrutin 47 % des suffrages exprimés, ce qui correspond peu ou prou aux scores obtenus précédemment par Lula da Silva : 46 % en 2002 et 48 % en 2006. Elle obtient ses meilleurs scores en Amazonie et dans le Nord-Est (carte 3) et ses plus mauvais dans les Régions Sud et Centre-Ouest. La Région Sud-Est, cœur économique du pays, apparaît divisée entre les Etats qui la soutiennent (Minas Gerais, Rio de Janeiro, Espírito Santo), et l’Etat de São Paulo où elle se trouve fortement concurrencée par José Serra.
Dans leurs grandes lignes, les cartes de Lula da Silva en 2006 et de Dilma Rousseff en 2010 sont semblables, avec toutefois quelques différences significatives.
En premier lieu, la candidate du PT engrange des voix au-delà des capacités de Lula, notamment dans la région Sud et dans la Région Centre-Ouest (carte 4). On sait qu’il s’agit de grands territoires agro-exportateurs (de soja notamment) qui ont subi de plein fouet l’appréciation du real au cours des deux mandats Lula. En revanche, Rousseff perd des points par rapport à Lula dans la Région Nord-Est, (Maranhão, Rio Grande du Nord, Paraíba) et Nord (Acre, Rondônia), Etats dont la population a largement bénéficié des politiques sociales gouvernementales.
Ces deux évolutions apparaissent paradoxales si l’on ne prend pas en compte d’autres éléments d’explication. Les régions tournées vers les marchés extérieurs ont profité de l’ouverture de nouveaux marchés comme la Chine, devenue principal importateur du soja brésilien ; des lignes de crédits ouvertes par la Banque nationale de développement économique et social (BNDES) soutiennent les exportateurs… Ces politiques économiques efficaces ont limité les dégâts occasionnés par le real fort dans des régions produisant pour l’exportation. Le recul de Rousseff dans d’autres parties du Brésil s’explique aussi par le succès relatif de Marina Silva, notamment dans les régions pauvres où le pentecôtisme progresse rapidement depuis les années 1980. Enfin, dans les Etats de Rio de Janeiro et d’Espírito Santo, de même que dans l’Est du Minas Gerais, les pertes enregistrées par Dilma sont également à mettre en relation avec les bons scores de Marina Silva.
José Serra
Avec 33 % des suffrages exprimés, José Serra a obtenu un résultat en demi-teinte : d’une part, il perd près de 9 points par rapport à Geraldo Alckmin qui représentait son parti à l’élection présidentielle de 2006 ; d’autre part, il progresse de 10 points par rapport à son score de 2002. Il fait un bon résultat dans les Régions Sud et Centre-Ouest, et dans l’Etat de São Paulo où il concurrence sérieusement Dilma Rousseff. Il est beaucoup moins bien accepté dans le Nord-Est, notamment dans l’intérieur pauvre qui reste fidèle à Lula en se ralliant largement à Rousseff (carte 5).
Par rapport à Geraldo Alckmin en 2006, le recul de José Serra est généralisé à tout le pays avec de fortes pertes même dans les Etats où il fait un relativement bon score (carte 6).
Marina Silva
Souvent créditée par les sondages d’un score d’environ 10 % des suffrages exprimés, Marina Silva (PV) arrive en troisième position avec 19 %, ce qui constitue une vraie surprise, pourtant sans conséquence immédiate dans la mesure où seuls les deux premiers candidats peuvent s’aligner au second tour. Par ailleurs, son score apparaît bien meilleur que celui de Heloísa Helena, du partie Socialisme et Liberté (PSOL), qui avait seulement obtenu 6 % en 2006. Le succès de Marina Silva s’explique par le soutien de réseaux différents : écologistes, évangéliques (plus de 23% de la population au Brésil), déçus de Serra et insatisfaits du PT.
La carte des suffrages obtenus par Marina Silva montre un fort ancrage dans les capitales des Etats où son score national est multiplié par 1,5 voire 2 : 42 % dans le District Fédéral (Brasília), 37 % à Vitória et Belo Horizonte, 34 % à Recife et Manaus (carte 7). Son succès s’élargit à une grande partie de la région Sud-est et à certaines aires de l’Amazonie, notamment l’Etat du Tocantins jusqu’au Bec de Perroquet (Bico do Papagaio) aux confins du Maranhão connu pour les affrontements qui s’y sont déroulés dans les années 1980-2000 sur fond de réforme agraire. Dans les grandes villes et ces régions lointaines, la bonne performance de Marina Silva s’explique par l’importance de la question environnementale dans le pays (et dans les médias) et par son discours orienté vers les classes moyennes des grands centres urbains. Notons que Marina Silva s’est refusée à donner une consigne de vote pour le second tour.
Le second tour
Dilma Rousseff a remporté l’élection avec 55,7 millions de voix correspondant à 56 % du total des suffrages exprimés, soit 12 points de différence avec José Serra (44 %). Du premier au second tour, ce sont 8,1 millions de voix supplémentaires qui se sont reportées sur elle.
Naturellement, la carte des suffrages obtenus par la candidate au second tour ne diffère pas sensiblement de celle du premier tour (carte 8), mais les paliers de délimitation des couleurs sont tous plus élevés.
La carte des différences entre les deux tours souligne que Dilma Rousseff a progressé de façon significative dans la Région Sud-Est, moins à São Paulo que dans le Minas Gerais et Rio de Janeiro, ainsi que dans nombre de capitales telles Manaus, São Luís, Fortaleza, Salvador, ainsi que dans le District Fédéral (carte 9).
Le perdant, José Serra, a néanmoins gagné 10,5 millions de voix d’un tour à l’autre, c’est-à-dire plus que la gagnante. Cette progression n’a cependant pas changé les implantations géographiques du candidat de façon significative (la carte de Serra est l’inverse de la carte de Dilma Rousseff ; voir carte 8) avec ses espaces de force, São Paulo et une grande partie des Régions Sud et Centre-Ouest, et de faiblesse, la quasi-totalité du Nord-est et l’Etat d’Amazonas. D’un tour à l’autre, Serra a renforcé ses positions là où il était déjà en bonne position, mais a aussi accru son influence dans nombre de capitales dans la liste desquelles on retrouve Manaus, Fortaleza et le District Fédéral (carte 10).
Les deux candidats restés en lice ratissent donc d’autant mieux les suffrages au deuxième tour qu’ils sont bien implantés au premier tour et que la place laissée vacante par les autres candidats est importante (que localise la carte de l’indice de diversification du vote au premier tour - carte 2). On sait que, dans ces mouvements de ralliement observés dans les capitales d’Etat, les électeurs de Marina Silva se sont principalement tournés vers le candidat toucan.
Résultat logique
Les cartes des suffrages obtenus par les candidats à la présidence du pays en 2010 confirment les grandes lignes de la géographie électorale du pays révélées par les analyses antérieures (voir la bibliographie). Le clivage Nord-Sud se maintient, il correspond en grande partie au différentiel de développement entre les régions sous-développées d’Amazonie et du Nord-est et les régions plus avancées du Sud-Est, du Sud et même de la partie consolidée du Centre-Ouest. De fait, c’est là où une grande partie de la population demeure défavorisée sur le plan des revenus et de l’éducation que Dilma Rousseff obtient ses meilleurs scores. C’est un effet direct des programmes gouvernementaux d’aide, telle la « bourse famille » qui concerne près de 13 millions de foyers, ou bien encore le « programme d’appui à l’agriculture familiale » (ProNAF) et « Lumière pour tous » (programme d’électrification rurale), programmes dont les bénéficiaires sont principalement localisés dans les Régions Nord et Nord-Est.
Dans le même ordre d’idée, la répartition géographique du vote en faveur de José Serra présente de grandes similitudes avec celle de Geraldo Alckmin en 2006. On y trouve les régions les plus développées du centre-sud du pays dont l’économie a souffert de la politique monétariste du gouvernement Lula, qui engendra une forte appréciation du real.
D’un côté, le succès des plans sociaux a renforcé la candidate du PT dans les régions les plus pauvres, et de l’autre, la parité élevée de la monnaie brésilienne face aux devises étrangères a été préjudiciable dans les régions exportatrices de produits agricoles ou manufacturés.
Le PT a montré une grande habileté en choisissant une candidate née dans le Minas Gerais mais qui s’est enracinée ensuite dans le Rio Grande du Sud où elle a fait sa carrière politique. Cela lui a permis de l’emporter dans une grande partie du Minas Gerais tout en ne déméritant pas dans le sud du Pays.
En revanche, le choix d’un candidat de São Paulo par le PSDB, et cela pour la sixième fois consécutive, a engendré une certaine insatisfaction chez les politiciens du Minas Gerais et du Rio Grande du Sud qui, de façon traditionnelle, se succèdent à la direction du pays. Mais au-delà des rivalités régionalistes, José Serra a dû faire face à une difficulté rencontrée en 2002 alors qu’il était déjà candidat. A cette époque-là, circulait dans le pays un fort désir de changement après les huit années du gouvernement de Fernando Henrique Cardoso (PSDB) ; et José Serra était le candidat de la continuité.
En 2010, une partie importante de l’opinion publique a exprimé le souhait de la continuité, comme le démontre l’élection de Dilma Rousseff. Et José Serra était le candidat du changement. Ce déphasage par rapport à l’opinion a sans doute pesé lourd dans la seconde déroute du candidat toucan.
Notes
Les cartes de cet article ont été réalisées avec le logiciel Philcarto.
Les données proviennent du Tribunal supérieur électoral du Brésil, TSE.
Le maillage employé est celui des micro-régions géographiques, agrégations de communes (municipios) délimitées par l’Institut brésilien de géographie et de statistique, IBGE.
Pour une synthèse cartographique des élections brésiliennes sur la période 1989-2006, consulter : A geografia do voto nas eleições presidenciais do Brasil : 1989-2006. Editora PUC Rio & Editora Vozes, ISBN 978-85-326-4035-2 ; http://www.universovozes.com.br
L’indice de diversification utilisé pour les suffrages exprimés au premier tour est l’indice d’entropie (consulter : Michel Novi, Pourcentages et tableaux statistiques , PUF, Que sais-je ? n° 3 337, Paris, 1998.)
Cette contribution est le quatrième volet de la série d’articles sur le Brésil proposée par « Visions cartographiques ».
Articles précédents :
• « Le Brésil, gigantisme agricole et richesse environnementale », par Federico Labanti et Nieves López Izquierdo.• « Le Brésil, puissance agricole ou environnementale ? », par Federico Labanti et N. L. I.
• « Le Brésil et les agrocarburants : menaces sur l’agriculture » (N. L. I.).