Atlas mondial des vins, de la gastronomie, des fractures sociales en France, des minorités en Europe, du sport mondial, des langues, des mafias, de la sexualité, des guerres napoléoniennes, de la guerre froide, de Moscou, des Vikings… Le catalogue du principal éditeur français d’atlas, les éditions Autrement, donne le tournis. Sa première collection d’atlas (Atlas Monde), créée en 1996, contribua pour beaucoup à relancer les ventes de cet éditeur indépendant et innovant. Aujourd’hui, il décline quatre collections (Monde, Mémoire, Atlas des guerres et Atlas des mégalopoles) qui couvrent une multitude de sujets, depuis les principales régions et pays du globe jusqu’aux thèmes à la mode comme le réchauffement climatique ou les migrations.
Une famille en croissance
Ce ne sont bien sûr ni Autrement ni la France qui inventèrent les atlas, même si la petite ville de Saint-Dié des Vosges s’enorgueillit d’avoir imprimé la première carte où figure le mot « Amérique » (1). Longtemps, les atlas furent d’abord des recueils de cartes des terres et des mers, permettant aux navigateurs et aux gouvernants, qui commandaient souvent ces cartes, d’organiser leurs voyages et leurs conquêtes. Ces cartes furent alors des outils efficaces pour aider les souverains à affirmer leur contrôle sur ces nouveaux territoires et leurs richesses. De la simple représentation géographique, on passa ultérieurement à celle de l’histoire, avec, depuis le XIXe siècle, la parution d’atlas historiques de l’Europe et du monde.
Les années 1980 marquent cependant un tournant, avec la multiplication d’atlas différents, mettant l’accent non plus sur la simple localisation, la description des terres ou la répartition des hommes et de leurs activités, mais se proposant d’analyser, par le truchement de la cartographie et de ses divers modes de représentation (y compris les graphiques et schémas), des sujets particuliers liés à l’actualité du monde. Prolongeant, sans la connaître, l’œuvre magistrale d’Otto Neurath (2) et son remarquable Gesellschaft und Wirtschaft publié à Leipzig en 1930, les premiers exemples de ces « nouveaux atlas » naissent en Grande-Bretagne, avec en particulier le fameux The State of the World Atlas, publié en 1981 par Michael Kidron et Ronald Segal chez Pan Books, puis le War Atlas, publié par Kidron et Dan Smith chez Heinemann à Londres en 1983.
Saisissant vite l’intérêt de ces ouvrages d’un type nouveau, plusieurs auteurs et éditeurs français se lancent sur ce créneau éditorial, créant bientôt une véritable mode autour de ces outils de petit format (contrairement aux grands atlas traditionnels, ces livres se présentent souvent avec un nombre de pages réduit – le prix de la quadrichromie limite le volume –, dans un format à l’italienne inférieur au A4) qui attirent un public de plus en plus nombreux. Si certains éditeurs (c’est le cas pour les premiers ouvrages de la série d’Autrement) se contentent de traduire les premiers atlas anglo-saxons, d’autres impulsent un renouveau du genre dans le cadre de ce qu’on peut désigner comme la nouvelle école de géopolitique française, inspirée incontestablement par les travaux d’Yves Lacoste, le fondateur en 1976, aux éditions François Maspero, de la revue Hérodote.
Le premier ouvrage de ce type est l’Atlas géostratégique que Gérard Chaliand publie avec Jean-Pierre Rageau chez Fayard (3). Les cartes en grands aplats colorés sont assez simples mais l’ouvrage est solide, rappelant l’apport des pionniers de la géopolitique, Ratzel et Mackinder, introduisant par la cartographie les grandes données culturelles et historiques (aires, religions, puissances impériales) en insistant sur le contexte historique du XXe siècle, l’héritage du second conflit mondial, la décolonisation et la guerre froide alors loin d’être terminée. L’étude des cas régionaux, qui constitue l’essentiel de l’ouvrage, introduit déjà la notion de perception de leur propre espace géopolitique par différents pays ou puissances mondiales, thème qui sera par la suite largement développé dans d’autres ouvrages (4). Suivront de près, à partir de 1988, la parution des atlas géopolitiques d’Alexandre de Marenches, ancien chef des services secrets français (publié chez Stock), et de Jean Touscoz (publié chez Larousse). Ces ouvrages sont les derniers de l’ère de la guerre froide. La fin, en 1989, du monde bipolaire, auquel succède un paysage géopolitique multiforme et complexe, dans lequel les alliances sont en permanente recomposition, nécessite d’autres grilles de lecture, et, de fait, dynamise la production d’atlas géostratégiques ou géopolitiques (et même d’émissions de radio et de télévision régulières). Cette production n’a depuis lors cessé de croître.
En 1989 paraissent les premiers ouvrages d’une collection destinée à un public de géographes, d’urbanistes et de décideurs, « Dynamiques du territoire », parrainée par la maison de la Géographie RECLUS et la Documentation française (5). Très documentée, basée sur une cartographie multiforme et exigeante, cette collection va s’enrichir de nombreux titres dont l’Atlas de la Russie et des pays proches (6) ou le remarquable Atlas de l’Europe dans le monde paru en 2009, présentant un ensemble complet des modes d’insertion et d’influence de l’Union européenne dans son environnement mondial (7).
En 1991, les frères André et Jean Sellier publient, aux éditions La Découverte, l’Atlas des peuples d’Europe centrale. Le principe est de montrer, par des développements historiques, avec l’appui de nombreuses cartes, la formation au cours des siècles de l’identité des principaux peuples et des Etats correspondants au sein d’une grande aire culturelle. Le succès de ce premier ouvrage lance ce qui devient une série très prisée par un large public intéressé par les convulsions de régions transformées par la fin de la guerre froide (8).
De nombreux auteurs et éditeurs tentèrent de bénéficier à leur tour du succès de ces pionniers, sans que la qualité des cartes et analyses apporte toujours un renouvellement appréciable des points de vue (9). L’engouement pour le genre aura des prolongements inattendus avec le lancement en 1990 (d’abord sur La Sept, puis sur la chaîne franco-allemande Arte) de l’émission de télévision « Le dessous des cartes », qui devient très populaire. Le format court (7 puis 11 minutes) permet de rendre compte d’un sujet d’actualité brûlante sous une forme attractive avec des cartes animées. L’Atlas du Dessous des cartes, publié chez Taillandier en 2005 par le responsable de la série TV, Jean-Christophe Victor, est un vif succès de librairie, même si les cartes, souvent simplistes et peu informatives, n’emportent pas toujours l’adhésion.
Qualifié de « bréviaire contre la mondialisation libérale » (10), l’Atlas du Monde diplomatique (11) tente de rendre compte de l’évolution du monde et de ses conflits en analysant l’ensemble des facteurs qui déterminent les processus en cours, économiques, démographiques, écologiques, stratégiques. Les esquisses cartographiques, réalisées aux crayons de couleurs, représentant par leur aspect inachevé le monde en pleine transformation, connaissent un destin inattendu : en grand format, elles sont exposées comme objets artistiques dans plusieurs musées européens et à la Dokumenta 12 (Kassel, 2009).
Le père spirituel du renouveau de la géopolitique en France, Yves Lacoste, publie chez Larousse, en 2007, un Atlas de géopolitique qui complète son traité de géopolitique (12). Outre la synthèse ainsi présentée de plusieurs dizaines d’années de travail, cette double parution innove sur le plan cartographique par le recours systématique à des représentations simultanées (sur une même page, comme trois couches de dessins à lire en même temps) de processus complexes à trois échelles différentes, de plus en plus précises. Proche, par son esprit, l’Atlas de la mondialisation édité par l’équipe de Sciences Po (Marie-Françoise Durand, Philippe Copinschi, Benoit Martin, Patrice Mitrano, Delphine Placidi-Frot) présente différentes « clefs pour la compréhension de l’espace contemporain mondial » en s’intéressant aux processus globaux que sont les territoires contestés, les acteurs transfrontaliers, les nouvelles règles du jeu, etc. La cinquième édition (Presses de Science Po, 2010) comprend un intéressant chapitre sur « La Russie dans la mondialisation ».
L’année 2010 a été particulièrement riche en nouveautés d’atlas géopolitiques, comme si les éditeurs se livraient à une course effrénée : Gérard Chaliand et Jean-Pierre Rageau, trente ans après leur premier ouvrage, publient chez Arthaud une Géopolitique des Empires ; Les journaux La Vie-Le Monde s’associent pour publier, sous la houlette du géographe Christian Grataloup, un Atlas des mondalisations ; Les éditions Robert Laffont sortent un Atlas des futurs du monde plus prospectif et incertain, réalisé par une équipe dirigée par Virginie Raisson ; enfin le remarquable ouvrage du géographe Michel Foucher, La bataille des cartes, analyse critique des visions du monde, une passionnante réflexion sur la cartographie, paru chez François Bourin éditeur. Pour ne citer que les principaux...
Ainsi, en quelques années, l’édition française a su s’enrichir d’une solide expérience dans le domaine cartographique et géopolitique, comme en témoignent les nombreuses traductions étrangères que les ouvrages les plus réussis ont suscitées.