Créée à Paris en mars 2009, Euphémismes, une comédie française, écrite et mise en scène par Elsa Ménard, revient à Confluences (Paris-20e) du 26 mai au 5 juin et inaugure « M -12 : une Campagne Artistique Sans Marine ni Nicolas »… qui s’y tiendra jusqu’aux prochaines présidentielles. La pièce passe au crible le paysage politique et médiatique de la France de la fin des années 1990, qui va amener Jean-Marie Le Pen au premier tour de l’élection présidentielle en 2002, et agit comme un révélateur puissant des logiques toujours à l’œuvre aujourd’hui.
C’est en lisant le livre de Pierre Tevanian et Sylvie Tissot, Mots à Maux. Dictionnaire de la lepénisation des esprits (Dagorno, 1998), analyse des discours politiques et médiatiques sur l’immigration, qui rendent les étrangers responsables de tous les maux de la société française et légitiment les dérives lepénistes en entretenant préjugés et fantasmes, qu’Elsa Ménard, bouleversée, s’interroge sur ce que nous ingurgitons et reproduisons nous-mêmes à notre insu de ces discours au quotidien. Cette expérience forte de la prise de conscience de « toutes ces expressions qui en cachent d’autres » – comme « reconduite à la frontière » pour une personne que l’on expulse et maltraite – et que nous recrachons parfois sans réfléchir va donner lieu à un travail d’écriture insolite et exigeant qui se fonde autant sur des citations et des extraits de discours que sur une recherche propre qui les met à jour, les démasque, leur fait front. Puis à un travail de plateau inventif, sobre et efficace où le texte retrouve sa fonction première d’adresse à la Cité.
Les extraits de discours politiques et médiatiques, tous sourcés, prennent une acuité particulière : Elsa Ménard s’est notamment procuré l’intégralité des débats qui ont eu lieu à l’Assemblée nationale et au Sénat en 1998, lors du vote de la loi Réséda, proposée par la gauche, portant sur l’entrée et le séjour des étrangers en France, et leur écoute éclaire le débat actuel sur l’identité nationale. L’ensemble est porté par neuf comédiens – dont Elsa Ménard elle-même – qui ne jouent pas des rôles mais incarnent des figures : La Femme Politique de Droite, l’Homme Politique de Gauche, Marianne, Nain 1, Nain 2, Madame Loyal, Monsieur Ça Va Pas Non, L’Homme Noir, L’Electeur parfait, que l’on identifie par des pancartes, un signe théâtral aussi simple que percutant qui apporte comme un air de manifestation revendicative sur la scène.
Ces personnages qui n’en sont pas vraiment se veulent avant tout les vecteurs de discours donnés à entendre sur le plateau pour que soient mises à jour leurs incohérences et leurs contradictions. Six d’entre eux ne parlent que par citations, dans une répétition qui est dénoncée parce qu’elle produit un véritable matraquage idéologique ; mais à aucun moment on n’est dans la caricature. Les trois autres – L’Homme Noir, L’Electeur Parfait et Monsieur Ça Va Pas Non – forment un étrange trio et tentent de dialoguer entre eux à partir de parcours de vie radicalement différents. Ils nous renvoient en miroir la façon dont on est soi-même atteint par le racisme, comment on s’y engouffre ou quelle résistance on lui oppose. Les acteurs atteignent tous un niveau de jeu et d’engagement qui en fait un grand corps collectif où se déploie la singularité de chacun.
Euphémismes ne s’encombre pas de décors : quelques tabourets, un banc, au centre du plateau, qui symbolise l’espace public, et deux grands écrans vidéos. La pièce se déroule sur cinq journées qui installent une progression et une tension dramaturgiques et permettent d’explorer la notion de fascisme, que l’on voit avancer jour après jour. Sont également interrogés et rebattus – et astucieusement utilisés dans les déplacements des acteurs – les termes « gauche » et « droite » et les frontières qui les bornent. Elsa Ménard a choisi de représenter une Femme Politique de Droite parce que pour elle, il est particulièrement tragique d’assister à l’arrivée en politique de femme porteuses de valeurs d’exclusion et de rejet de l’autre. Les nains figurent les intellectuels médiatiques qui ont un avis sur tout sans rien connaître à leur sujet, tandis que Madame Loyal, qui s’exprime par monologues, fait résonner l’espace mental resserré qui est celui de la télévision.
A la frontière de la scène et de la salle, le corps des acteurs est la matière première d’un spectacle qui nous touche et nous invite à penser le monde par nous-mêmes. « Cette interactivité est la source autant que le sujet de la pièce : l’empreinte dans les discours de présupposés idéologiques, la construction par la langue de données censées lui préexister. J’ai cherché à relier ce dont il s’agit à ce qui nous agit », indique la metteure en scène. Elle y parvient avec une intelligence et une sensibilité qu’elle met en partage et qui débordent le champ de la représentation.
Euphémismes, une comédie française, par la compagnie Mange Ta Tête, texte et mise en scène : Elsa Ménard, musiques : Jean Bordé, vidéos : Christophe Rivoiron, lumières : Laurent Vergnaud.
Avec Olivier Boréel, Jérôme Buisson, Thomas Laroppe, Madeleine Mainier, Babacar M’baye Fall, Elsa Ménard, Isabel Oed, Julien Ratel, Gaël Rebel.
Confluences, 190, boulevard de Charonne, Paris-20e, métro Alexandre Dumas ou Philippe Auguste. Tous les jours du 26 mai au 5 juin 2011, 20 heures en semaine, 17 heures les samedis et dimanches. Relâche le mardi 31 mai 2011.
Les représentations seront suivies, les week-ends, de projections de films et de débats :
Le 28 mai, Le Chœur, de Stéphane Batut, suivi d’un débat avec le réalisateur.
Le 4 juin, Après la gauche, de Jérémy Forni, Geoffroy Fauquier et Gaël Bizien, suivi d’un débat avec Pierre Tevanian.
Le 5 juin, Gagne Ton Visa, d’Eric Valentin, suivi d’un débat avec le réalisateur.
Informations : 01 40 24 16 46, resa@confluences.net et http://confluences.jimdo.com