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Nicolas Sarkozy, le meilleur ami des sondeurs

par Alain Garrigou, 6 juin 2011

On savait que l’Elysée ne souhaitait pas une réforme des sondages. Après avoir été pris en flagrant délit de tricherie par la Cour des comptes en juillet 2009, après avoir imposé son refus de création d’une commission d’enquête par la commission des lois de l’Assemblée Nationale, après avoir interdit à la commission d’enquête finalement adoptée par la commission des finances de s’intéresser aux sondages de l’Elysée, et eux seuls, après s’être opposé au vote par le Sénat de la proposition de loi de Hugues Portelli (UMP) et Jean-Pierre Sueur (PS), malgré tout adoptée à l’unanimité, après avoir annoncé la non inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, il avait reculé en confiant à la commission des lois un rapport. Celui-ci vient d’être publié. Il est sans appel. La majorité UMP a enterré toutes les dispositions utiles de la proposition.

Le texte n’a plus de sens puisqu’il est un retour à la loi de 1977. On suppose qu’il ne sera d’ailleurs pas voté tant les partisans du statu quo ont intérêt à la discrétion d’un enterrement médiocre. Dès la définition de son étendue, le texte amendé revient aux seuls sondages électoraux et non plus politiques. Les autres corrections ne manquent pas de sel. Contrairement au vœu du rapporteur Etienne Blanc qui voudrait bien qu’il n’y ait pas de discussion, les amendements sont significatifs. La transparence demandée par les sénateurs ? Refus général. La confidentialité sur les redressements que les sondeurs revendiquaient comme un secret de fabrication ? Les députés de la majorité ont été convaincus avec un argument magnifique : « les secrets de fabrication constituent des éléments patrimoniaux de l’entreprise ». Quelqu’un doutait-il encore que les sondeurs faisaient du commerce et non de la science ? Les sénateurs avaient voulu renforcer le rôle d’une commission des sondages anesthésiée en lui donnant un pouvoir de sanction accru et en joignant aux magistrats des scientifiques choisis par des institutions universitaires. C’est encore trop. La majorité UMP veut une commission de magistrats auxquels seraient adjoints des « personnalités désignées par le chef de l’Etat et les présidents des deux assemblées ». Autant dire que les experts seraient nommés par le prince. Par ailleurs, il s’agissait d’interdire les gratifications pour les sondages politiques effectués par internet. Là encore refus avec ce bel argument du rapporteur : sans gratification, « il n’y a pas de panel fidélisé ». Tous les scientifiques savent bien qu’en matière d’enquête, il faut éviter l’effet d’autoélection créé par les panels et donc renouveler leur composition. Les sondeurs le savaient aussi dans le passé mais ils ne trouvent plus de sondés et, commerce oblige, ils en ont oublié le peu de méthode qui leur restait. Le rapporteur répète encore les explications des sondeurs sans changer le moindre mot. Enfin, on savait que les sondeurs avaient fait leur lobbying au nom de la liberté de la presse. Ils ont été encore totalement entendus puisque tel est l’ultima ratio du député Blanc. Sans doute la liberté de l’information et de la presse consistent-elles aussi à donner de fausses informations, et à maintenir le débat public dans le degré zéro de la course de chevaux.

Quand un député reprend si fidèlement les arguments d’une profession au point de paraître atteint de psittacisme, on est tenté d’expliquer par la puissance du lobbying et donc celui des sondeurs. On savait qu’ils étaient actifs en coulisses et dans la presse. En plusieurs décennies de collaboration, ils ont gagné le soutien de beaucoup de journalistes qui ne sauraient plus quoi dire sans les chiffres et même plus quoi penser. Ils ont aussi offert gratuitement tant de sondages en un troc réciproquement profitable. Ces services méritent un juste retour des choses. Ils ont surtout de puissants relais au sein de la majorité — à commencer par la cellule communication de la présidence composée de sondeurs et de spin doctors. L’échange de bons procédés va beaucoup plus loin. La puissance des sondeurs sur le parlement existe avec ces parlementaires qui ont peur d’être sanctionnés par les sondeurs. Significativement, il avait fallu des sénateurs pour s’en affranchir. Cela ne va pas au-delà car les députés ne peuvent s’affranchir du veto de l’Elysée. On est tenté parfois de les plaindre d’autant de soumission. Les ordres viennent donc de l’Elysée comme on s’en était déjà aperçu avec l’interdiction faite à la commission d’enquête d’enquêter sur les finances de la présidence.

Il ne fallait pas attendre autre chose de la majorité, comme je l’avais compris quand le rapporteur Etienne Blanc avait refusé de m’auditionner en mai 2011. Simple jugement rationnel sur les rapports de forces politiques : pour avoir une toute petite chance de l’emporter en 2012, Nicolas Sarkozy n’a d’autre choix que de procéder selon les méthodes des spin doctors dans lesquelles les trucages et tous les dispositifs de production du consentement doivent inverser le cours des choses. Pas besoin d’imagination pour en saisir les ficelles : l’Elysée les utilise depuis des années. Il lui faut simplement en faire plus. Cela est proprement impossible avec la transparence et la régulation des sondages. Ils sont en quelque sorte le substitut fonctionnel de l’armée putschiste de Louis Bonaparte. Pour ceux qui croyaient encore que les sondages étaient un détail de la machine à manipulation, le message est clair. Nicolas Sarkozy est le meilleur ami des sondeurs. Ils lui doivent beaucoup. Ils sauront sans doute le lui rendre dans les prochains mois.

Alain Garrigou

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