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Course de vitesse en Libye

Rien ne va plus en Libye… L’OTAN, qui a pris les rênes de l’opération militaire le 31 mars, a décidé le 1er juin d’y prolonger jusqu’en septembre sa mission, qui devait formellement prendre fin le 27 juin. On bombarde à tout va, depuis trois mois, avec une régularité de métronome, même si le secrétaire américain à la défense Robert Gates estime que le rythme pourrait être doublé. Mais, du fond de ses bunkers, Kadhafi continue de jouer les matamores alors que l’heure tourne. Qu’en France, Nicolas Sarkozy s’inquiète pour son 14 juillet, et fait semblant de craindre un débat sur la Libye au Parlement. Que les parlementaires américains s’irritent des libertés prises par le président Obama pour engager leur pays dans les opérations militaires. Que les marines et aviations alliées enrôlés sous la bannière de l’OTAN peinent à tenir la distance. Et que des voix s’élèvent pour s’inquiéter de la fiabilité des opposants libyens, se demandant si l’intervention occidentale n’est pas en train de créer plus de problèmes qu’elle n’en résout…

par Philippe Leymarie, 15 juin 2011

Le Conseil de sécurité de l’ONU, justement, doit procéder ce mercredi 15 juin à une évaluation de l’application de la résolution 1973 relative à la mise en place d’une zone d’exclusion en Libye – évaluation aussi malaisée sans doute que les interprétations de la résolution auront été diverses et variées.

Ce même mercredi, la Ligue arabe compte présenter devant le Conseil de sécurité sa vision d’une solution politique de la crise en Libye, qui repose sur « la préservation de la souveraineté » du pays, et un règlement « par la voie pacifique ». Son secrétaire général, Amr Moussa, reconnaît que la réussite de cette approche est « tributaire d’un cessez-le feu sous un contrôle international et d’un arrêt des opérations militaires ainsi que de la préparation de la période de transition » – ce qui fait beaucoup, les cessez-le-feu en question ayant été refusés successivement et fermement par Kadhafi comme par l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN).

S’il est vrai que, comme le rappelle Amr Moussa, toutes les organisations régionales et internationales concernées par la crise libyenne – l’ONU, l’Union africaine (UA), la Ligue arabe, l’Union européenne (UE) et l’Organisation de la conférence islamique (OCI) – sont bien en faveur d’une solution politique à cette crise, force est de constater qu’elles n’ont pas réussi ni vraiment cherché à désarmer le camp du dictateur, ni à arrêter le glaive de l’OTAN, laquelle se gargarise au contraire de leur soutien supposé.

Tonton prodigue

Dans un discours lundi au siège de l’UA à Addis-Abeba, la secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton a appelé l’ensemble des pays africains à faire pression pour que le colonel Mouammar Kadhafi décrète un cessez-le-feu en Libye et quitte le pouvoir, à « suspendre les activités des ambassades » fidèles au régime de Tripoli, et « à expulser les diplomates pro-Kadhafi » en poste dans ces pays, ajoutant un peu fielleusement : « Je sais bien, il est vrai, que durant des années, M. Kadhafi a joué un rôle important en assurant un soutien financier à de nombreuses nations africaines et institutions, y compris l’Union africaine. »

Au même moment, un autre dirigeant américain, le secrétaire à la défense Robert Gates, profitait d’un passage à Bruxelles à quelques semaines de la fin de son mandat pour tancer ses alliés de l’OTAN : « L’opération en Libye a mis à nu des lacunes capacitaires graves de l’OTAN et d’autres lacunes institutionnelles », alors qu’à la différence de l’Afghanistan par exemple, en Libye il y a « un large soutien politique, qu’il n’y a pas de troupes au sol sous le feu, que cela touche un pays voisin de l’Europe, et atteint ses intérêts vitaux ».

OTAN à deux vitesses

Et l’ex-directeur de la CIA de continuer : « Franchement, bon nombre de nos alliés se sont mis à l’écart non pas parce qu’ils ne veulent pas participer mais tout simplement parce qu’ils le ne peuvent pas. Ils n’ont pas la capacité militaire, simplement ! (…) Ainsi, au bout de onze semaines seulement d’opérations contre un régime pauvrement armé dans un pays peu peuplé, plusieurs de nos alliés commencent à être à court de munitions, demandant aux USA, une fois encore, de combler la différence. »

Le patron du Pentagone entre dans les détails : « Nous avons le spectacle d’un centre d’opérations de l’OTAN en Italie qui devrait pouvoir gérer plus de 300 sorties par jour et qui ne peut en traiter que 150 au maximum », en raison du manque de spécialistes européens du repérage de cibles. Et Robert Gates de pointer une « OTAN à deux vitesses », « entre des membres qui se spécialisent dans le “soft”, l’humanitaire, le développement, le maintien de la paix, et la discussion, et ceux qui mènent le “hard”, les missions de combat ; entre ceux qui sont volontaires et capables de payer le prix et de supporter le fardeau des engagements de l’Alliance, et ceux qui apprécient les avantages de l’adhésion à l’OTAN – garanties de sécurité et de billets d’accès au quartier général –, mais ne veulent pas partager les risques et les coûts ».

Pouvoirs de guerre

Il faut dire qu’au même moment, à Washington, nombre de parlementaires réprouvaient la décision du président américain de se passer de leur feu vert, par exemple pour le déclenchement des opérations militaires en Libye, et pour leur poursuite après le délai légal de soixante jours, sans autorisation du Congrès.

Ils invoquent la War Powers Resolution, la « loi sur les pouvoirs de guerre », votée en 1973, à la fin de l’engagement direct des Américains au Vietnam, pour obliger l’exécutif à solliciter l’accord du Congrès avant une déclaration de guerre. Les hôtes successifs de la Maison Blanche ont tous considéré par la suite cette loi comme nulle et non avenue au regard de la Constitution, qui, selon eux, autorise le « commandant en chef » à prendre toute mesure nécessaire à la sécurité de l’Union. Et résolu la question en s’abstenant simplement de prononcer une « déclaration de guerre ».

La Chambre des représentants a adopté de son côté une résolution demandant au président de présenter dans quelques jours un rapport détaillé sur l’intervention militaire en Libye. Et des sénateurs de renom ont déposé lundi un projet de loi visant à autoriser l’administration américaine à transformer les fonds gelés de Kadhafi en aide humanitaire pour la population libyenne, précisant bien qu’ils ne pourraient servir pour acheter des armes et autres équipements militaires.

Charles-de-Gaulle en partage

Donnant corps aux propos de Robert Gates, cette affirmation du chef de la Royal Navy, l’amiral Mark Stanhope, pour qui cette campagne aurait été moins onéreuse et « beaucoup plus réactive » si la Grande-Bretagne disposait toujours d’un porte-avions opérationnel. « Combien de temps pourrons-nous rester dans la situation où nous nous trouvons actuellement en Libye ? », s’est-il demandé. Les chasseurs Harrier auraient pu être déployés en 20 minutes à partir d’un porte-avions, alors qu’il faut actuellement 90 minutes pour déployer des Tornado et des Typhoon au départ d’une base de l’OTAN en Italie, souligne l’amiral Stanhope.

Dans le cadre du plan de réduction du budget britannique de la défense, il n’y aura plus un seul porte-avions entièrement opérationnel avant dix ans dans la Royal Navy. Cette dernière a donc été contrainte de négocier avec Paris l’affectation sur le groupe aéronaval français d’une trentaine de ses pilotes : après quatre mois d’apprentissage de la langue française, ils pourront s’entraîner sur le Charles-de-Gaulle… à bord de chasseurs Rafale, en espérant que le porte-avions reste suffisamment disponible : la « norme » est de 100 jours à la mer par an, et au-delà de 150 jours, la situation se complique, signale le blog Secret défense. Et sur les 12 derniers mois, on est déjà à 200 jours : si le conflit libyen se prolonge, le porte-avions français pourrait bien être indisponible toute l’année 2012. Or la dernière vague de jeunes pilotes de l’aéronavale française, formée comme les précédentes aux Etats-Unis, est déjà en attente à la base de Landivisiau (Finistère), faute de créneaux disponibles pour l’entraînement…

Aventurisme excessif

Sur le plan politique, même si le régime Kadhafi semble à bout de forces, sous le coup de défections nombreuses, et sans soutien international de poids, certains ne peuvent se satisfaire d’une entreprise de « protection des populations » menée à coup de bombardements aériens, au secours de civils devenus une véritable armée, avec des dommages dits « collatéraux » pour le moment non quantifiables, et une obstination à cibler en priorité le siège de la présidence à Tripoli.

Ainsi de cette délégation internationale d’experts, qui s’est rendue tour à tour à Tripoli et en Tripolitaine, puis à Benghazi et en Cyrénaïque, à l’initiative du Centre international de recherche et d’études sur le terrorisme et d’aide aux victimes du terrorisme (CIRET-AVT) présidé par l’ancien préfet Yves Bonnet, et du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R) dirigé par Eric Denécé, avec le soutien du Forum pour la paix en Méditerranée, et la participation, notamment, de l’ancienne ministre algérienne de la solidarité Sayda Benhabyles.

Dans un rapport intitulé « Libye : un avenir incertain, compte-rendu de mission d’évaluation auprès des belligérants libyens », la délégation soutient que « l’intervention occidentale est en train de créer plus de problèmes qu’elle n’en résout. Elle risque fort de déstabiliser toute l’Afrique du Nord, et le Sahel, et de favoriser l’émergence d’un nouveau foyer d’islam radical, voire de terrorisme, en Cyrénaïque ». Selon elle, « ce qui devait être une victoire facile est devenu un semi-échec », avec risque d’enlisement, en raison de « l’aventurisme excessif des puissances occidentales, et de l’inconsistance des forces rebelles », le Conseil national de transition (CNT) « n’offrant aucune garantie pour l’avenir » : « Les véritables démocrates n’y sont qu’une minorité, et doivent cohabiter avec d’anciens proches du colonel Kadhafi, des partisans d’un retour de la monarchie et des tenants de l’instauration d’un islam radical. »

Tout en rappelant « la nature hautement critiquable de la dictature imposée à ses concitoyens depuis 1969 par Mouammar Kadhafi », les membres de cette délégation concluent que « l’étude des faits conduit à affirmer que la “révolution” libyenne n’est ni démocratique, ni spontanée. Il s’agit d’un soulèvement armé de la partie orientale du pays, dans un esprit de revanche et de dissidence, qui tente de s’inscrire dans la dynamique du “printemps” arabe, dont il ne relève cependant pas. Le mouvement libyen ne peut donc être comparé avec les révoltes populaires tunisienne et égyptienne ». En outre, soulignent-ils, « la Libye est le seul pays du “printemps” arabe dans lequel le risque islamiste s’accroît, la Cyrénaïque étant la région du monde arabe ayant envoyé le plus grand nombre de djihadistes combattre les Américains en Irak ».

A noter, au même moment, cette mise en garde du vicaire apostolique, (catholique) en poste à Tripoli : « Ne divisez pas la Libye. Ceci risque de créer un terrain fertile pour le terrorisme », plaidait il y a quelques jours Mgr Giovanni Innocenzo Martinelli, dont les propos sont relayés par l’Agence Fides. « Je suis frappé par le fait que l’OTAN ait renouvelé pour trois mois l’opération militaire en Libye sans tenir compte d’aucune possibilité de dialogue, comme cela est demandé par l’ONU et par le Saint-Père », ajoutait-il, s’affirmant inquiet pour les communautés catholiques de Cyrénaïque, où un certain nombre d’attentats ont été signalés.

Philippe Leymarie

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