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Un nouveau premier ministre japonais, et après ?

par Martine Bulard, 30 août 2011

Au terme de sombres tractations, le Parti démocrate du Japon (PDJ), divisé, a fini par se mettre d’accord sur un nom : M. Noda Yoshihiko, ministre des finances dans le précédent gouvernement, a été élu président du parti, lundi 29 août, avant d’être promu premier ministre par la Diète. Le troisième en deux ans et demi.

A la fin de la semaine dernière, M. Kan Naoto avait présenté sa démission – ce qui ne fut une surprise pour personne. Un mois plus tôt, en difficulté au sein de sa propre majorité parlementaire et les élus de l’opposition rechignant à voter une rallonge budgétaire pour le programme de reconstructions après le tremblement de terre ainsi qu’une loi autorisant l’émission d’obligations d’Etat, M. Kan avait eu cette phrase remarquable : « Votez ces lois si vous ne voulez plus voir ma tête, je m’en irai après. » C’est désormais chose faite.

Du point de vue des Japonais, il est fort à parier que ce changement apparaisse fort éloigné des préoccupations quotidiennes, comme le rapporte le quotidien Asahi Shimbun, qui fait parler un habitant des zones sinistrées : « “Est-ce que c’est vraiment le moment de changer de gouvernement au lieu de s’occuper de nous”, s’exclame Sakuma Shinji, agriculteur de 61 ans. Je me fous de savoir qui va devenir le prochain premier ministre. Quel qu’il soit, il faut qu’il mette un terme à la crise nucléaire afin que l’on puisse revenir chez nous dès que possible »

Vu du monde politique nippon, cela n’a rien d’extraordinaire. M. Noda est le sixième chef de gouvernement en cinq ans et l’arrivée du PDJ, en 2009, après cinquante-cinq ans de règne sans partage du Parti libéral-démocrate (PLD), n’a strictement rien changé à cette valse des premiers ministres. M. Hatoyama Yukio, le prédécesseur de M. Kan, avait été évincé neuf mois après sa nomination, pour cause d’émancipation trop rapide de la tutelle américaine (il avait laissé espérer que la base militaire de Futenma, sur l’île d’Okinawa, serait fermée) et de changements socio-économiques trop lents. Son parti avait perdu les élections sénatoriales de 2010 et du même coup, la majorité à la Chambre des conseillers.

M. Kan, lui, n’a duré que quatre cent quarante-neuf jours, mais avant la triple catastrophe – tremblement de terre, tsunami, fuite nucléaire –, il était au plus bas dans les sondages, son ministre des affaires étrangères Maehara Seiji empêtré dans des affaires d’argent (reçu de l’étranger) et la situation économique et sociale du pays toujours aussi dégradée. Ses réactions fort hésitantes lors de l’accident de la centrale de Fukushima ont achevé de le discréditer.

Pourtant, plus que l’incompétence du premier ministre, ce sont l’omnipotence des lobbies nucléaires et leur collusion avec l’Etat qui ont frappé, et notamment la complicité entre le propriétaire de la centrale Tokyo Electric Power (Tepco) et l’agence de sûreté industrielle et nucléaire (Nisa, Nuclear and industrial safety agency), théoriquement indépendante (lire Govan MacCormack, « le Japon nucléaire ou l’hubris puni », Le Monde diplomatique, avril 2011). L’image du premier ministre tapant du poing sur la table pour simplement obtenir des informations a fait le tour du Japon, et six mois après le désastre de Fukushima, la centrale n’est toujours pas stabilisée, le bilan pas même établi ; les populations sinistrées s’entassent encore dans des préfabriqués ou des tentes, en attente d’un plan de reconstruction digne de ce nom.

Ces derniers mois ont mis en évidence l’imbrication entre les dirigeants politique, la bureaucratie et les affaires – ce que les Japonais nomment l’amakudari (descente du ciel), une sorte de chassé-croisé entre les personnels politiques et administratifs et le business, un pantouflage généralisé. Ainsi l’organisme officiel de contrôle du nucléaire comprenait d’anciens employés de l’industrie de l’atome…
Quand M. Kan annonça, en juin dernier, la fermeture de la centrale d’Hamaoka, située sur une faille sismique, la direction de Chubu Electric résista pendant trois jours, avant de s’incliner. Le président de la fédération patronale Keidanren a publiquement contesté la décision, accusant le premier ministre de ne pas mesurer les conséquences de ses actes, la centrale se situant dans la préfecture d’Aichi où est implanté Toyota…

Auparavant, le premier ministre avait imposé un contrôle de sécurité particulièrement strict sur l’ensemble des équipements nucléaires avant leur redémarrage, et annulé la construction de toute nouvelle centrale (dix-huit avaient été planifiées d’ici 2030). Il n’avait pris aucune mesure radicale – à l’image de la chancelière allemande Angela Merkel –, mais il avait proposé que soit discutée et adoptée « une stratégie révolutionnaire pour passer de l’énergie nucléaire aux énergies renouvelables ». Des mots à faire frissonner le lobby nucléaire et… une partie du PDJ – laquelle doit pousser un « ouf » de soulagement avec l’arrivée de M. Noda, un pro-nucléaire affirmé.

L’avenir énergétique du Japon n’est que l’un des nombreux problèmes auxquels le nouveau premier ministre doit faire face : le yen a atteint son niveau le plus élevé depuis sept ans, ce qui entraîne un tassement des exportations ; la croissance reste scotchée à un très bas étiage (entre 0,4 et 0,6 % prévu pour 2011) ; la dette poursuit sa course folle, au point d’atteindre 220 % du produit intérieur brut (PIB) d’ici la fin de l’année selon les prévisions officielles…

Certes, la dette souveraine est détenue aux neuf dixièmes par les Japonais eux-mêmes, protégeant le pays de tout coup extérieur : l’Agence Moody’s peut dégrader d’un cran de sa note (à Aa2), sans que cela ait des conséquences financières majeures. Mais le niveau d’épargne interne tend à se réduire pour cause de baisse de pouvoir d’achat, de vieillissement de la population et de très bas taux d’intérêts. Le système connaît certaines limites au moment où le pouvoir cherche à trouver des marges de manœuvre afin de lancer les programmes de reconstruction.

Cet état alarmant des finances publiques tient d’ailleurs beaucoup plus à l’anémie de l’activité économique qu’à une montée inconsidérée des dépenses publiques. Cela n’empêche pas le Fonds monétaire international (FMI) de préconiser un triplement de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), qui devrait passer, selon ses experts, de 5 % actuellement à 15 % voire 17 %. M. Noda n’a pas les moyens de lancer une telle offensive sur les impôts. Il envisage pourtant un relèvement de deux ou trois points de la TVA, que son prédécesseur n’avait pu obtenir. Mais, même modeste, cette augmentation des prélèvements risque d’aggraver la crise des débouchés dans un Japon aux prises avec l’anémie depuis plus de quinze ans.

Libéral convaincu, M. Noda a proposé la constitution d’un gouvernement d’union nationale avec l’opposition, le PDL, qui semble vouloir attendre patiemment les prochaines échéances pour prendre sa revanche politique (septembre 2012)… Aucune innovation dans son programme.

On ne saurait mieux décrire le blocage de la société nippone, pointé par Harry Harootunian dans Le Monde diplomatique d’avril 2011 (« La maison Japon se fissure »). Ce que résume parfaitement David Pilling, rédacteur en chef Asie du Financial Times : « Le Japon semble avoir le pire des deux mondes : une bureaucratie démoralisée et une classe politique sans capacité de direction. » La phrase est extraite du livre électronique collectif Tsunami : Japan’s post-Fukushima Future, dirigé par Jeff Kingston (Foreign Policy, 2011). Parmi les contributions, on peut noter la plongée historique de Nagai Mariko, les textes de Shoji Kaori, Ogata Shijuro, Kumiko Makihara, Gavan McCormak, de Robert Dujarric… On ne peut pas dire que les auteurs dessinent un avenir radieux mais au moins aident-ils à comprendre certains des enjeux au pays du Soleil-Levant.

Martine Bulard

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