Le 18 juin dernier, une cérémonie a marqué le coup d’envoi de la décontamination de l’aéroport de Da Nang, proche du grand port en eau profonde du Vietnam. Selon le programme publié un an auparavant, 300 millions de dollars seront nécessaires pour remédier en dix ans dans l’ensemble du pays (1) aux épandages de défoliants.
Pendant la guerre du Vietnam, d’août 1961 jusqu’en 1971, l’aviation américaine a arrosé le Sud afin de chasser de la jungle les combattants qui s’y abritaient et de stériliser les rizières, forçant les villageois à se regrouper dans les « hameaux stratégiques » et privant ainsi les maquisards de nourriture et d’aide (2). Plus de 77 millions de litres de défoliants ont été déversés par avion (95 %), par hélicoptère, par bateau, par camion-citerne et par des pulvérisateurs portés à dos d’homme. Plus de 2,5 millions d’hectares ont été contaminés par ces défoliants, dont le plus connu est l’« agent orange ». Il contient de la dioxine, le poison le plus violent et le plus indestructible que l’on connaisse. C’est un désastre environnemental immense et une catastrophe humaine multiforme qui atteint aujourd’hui la quatrième génération de Vietnamiens, sur les plans sanitaire, économique et socioculturel. Le gouvernement américain et les firmes impliquées éludent leurs responsabilités. Une conspiration du silence a caché pendant des années la toxicité des défoliants employés.
Le Dialogue Group a été fondé en 2007 sous l’égide de l’Institut Aspen, grâce à un financement de la Fondation Ford. Il réunit des citoyens, des hommes politiques et des scientifiques des deux pays pour se pencher sur les conséquences des épandages d’« agent orange ». Son objectif explicite – démontrer qu’au-delà des clivages politiques une action humanitaire peut trouver place – indique la voie suivie et en marque les bornes.
En fait, les trois premiers rapports portant respectivement sur l’existence des « points chauds (3) », sur les dégâts causés à l’environnement et sur les atteintes sanitaires n’apportaient guère d’éléments nouveaux par rapport aux études antérieures. Il n’en va pas de même du rapport rendu public le 16 juin 2010, qui comprend une déclaration et un plan d’action (4). Le ton de la première rompt avec les précautions de langage habituelles. Les chiffres avancés par la Croix-Rouge vietnamienne pour le nombre des victimes sont repris comme étant « la meilleure estimation disponible », et les efforts déployés par le Vietnam depuis 1980 pour faire face par lui-même aux conséquences des épandages sont salués. Le plan d’action mobiliserait 300 millions de dollars, à raison de 30 millions par an. Le Dialogue Group n’a ni argent ni pouvoir de décision ; il s’adresse directement au gouvernement américain pour financer la majeure partie du budget prévu – ce qui est nouveau. D’ailleurs, M. Walter Isaacson, son coprésident (il est également président d’Aspen), précise que l’effort serait modéré : « Le nettoyage de notre gâchis de la guerre du Vietnam sera beaucoup moins coûteux que la fuite de pétrole dans le Golfe que British Petroleum (BP) va devoir nettoyer (5). »
Dès mai 2009, le Congrès américain a publié un rapport sur « les victimes vietnamiennes de l’“agent orange” et les relations Etats-Unis-Vietnam (6) ». L’auteur, M. Michael M. Martin, y soulignait la nécessité d’établir de bons rapports avec le Vietnam dans la situation géopolitique actuelle et combien la question de l’« agent orange », dernière survivance de la guerre, y faisait obstacle alors qu’il serait possible de la traiter de manière humanitaire sans reconnaître – le rapport y insiste – aucune responsabilité à cet égard. Des grands journaux américains ont relayé le débat, posant la même question : le Vietnam est-il assez important pour que les Etats-Unis s’attellent sérieusement au problème de l’« agent orange » ? La réponse va de soi, et les récents incidents en mer de Chine méridionale la justifient encore davantage. Dans ses conclusions, le rapport Martin suggérait l’adoption d’un plan pluriannuel d’aide au Vietnam comme l’une des mesures susceptibles de favoriser la « puissance douce » (soft power) des Etats-Unis en Asie. Le Dialogue Group s’est rallié à cette option.
Alors que le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) dévoilait le 28 juin 2010 un projet de 5 millions de dollars pour le traitement de l’aéroport de Bien Hoa, près de Ho Chi Minh-Ville, sous l’égide d’une organisation indépendante, la Global Environment Facility, les Etats-Unis ont décidé de consacrer 32 millions de dollars à la réhabilitation de la zone de Da Nang. Le 19 novembre, l’Agence des Etats-Unis pour le développement international (Usaid) a fait part de son plan, sur deux ans, à partir de juillet 2011, au comité populaire de la ville, et un accord a été signé avec le ministère vietnamien des ressources naturelles et de l’environnement. Les couches contaminées du sol seraient enlevées et stockées dans une zone confinée étanche en attendant que soit découverte une méthode de destruction de la dioxine, à moins qu’elles ne soient brûlées à plus de 350 °C dans des tubes.
La « realpolitik » de l’administration Obama a donc un effet collatéral positif. L’exigence de justice demeure. Les Etats-Unis s’honoreraient en reconnaissant leur responsabilité à l’égard du Vietnam et des Vietnamiens. Il en va de même des compagnies (Monsanto, Dow Chemical, etc.) qui ont fabriqué les défoliants, en ont caché la toxicité en falsifiant des résultats de recherches, ont accumulé par leur vente des bénéfices gigantesques et financé leur reconversion dans l’agroalimentaire. Il est par ailleurs évident que 300 millions de dollars ne suffiront pas. Le Vietnam a besoin d’une aide massive (7). Les victimes ne peuvent pas attendre. Il faut qu’elles reçoivent un soulagement immédiat. La déclaration du Dialogue Group s’adresse à tous les gouvernements. C’est au niveau des Etats que doivent s’organiser le soutien au Vietnam et l’exigence de justes réparations.