Le premier ministre égyptien Essam Charaf a affirmé que « la nation est en danger » après les affrontements qui ont fait au moins une vingtaine de morts dans la soirée de dimanche et dont les victimes principales ont été les coptes. « Ces événements nous ont fait revenir en arrière (...) au lieu d’aller de l’avant pour construire un Etat moderne sur des bases démocratiques saines. (...) La chose la plus dangereuse qui puisse menacer la sécurité de la nation, c’est de jouer avec la question de l’unité nationale et de provoquer la sédition entre chrétiens et musulmans (...), et aussi entre le peuple et l’armée. » Le gouvernement devait se réunir d’urgence et le cheikh d’Al-Azhar a appelé au dialogue interreligieux. Les militaires ont demandé au gouvernement de créer une commission d’enquête.
C’est l’épisode le plus sanglant survenu en Egypte depuis le renversement du président Moubarak, en février dernier. A l’origine de ces incidents, l’incendie d’une église à Assouan, en Haute-Egypte, le vendredi 30 septembre. Après cet incendie, le gouverneur Mostafa el-Sayyed a prétendu que l’édifice aurait été construit sans avoir obtenu l’approbation des autorités, justifiant ainsi l’incendie. Après quelques jours d’affrontements à Assouan, les coptes ont décidé de manifester au Caire le dimanche 10 octobre.
Tous les témoignages publiés par la presse confirment que ce sont des manifestants pacifiques qui ont été attaqués, d’abord par des bandes armées et ensuite par les forces armées elles-mêmes. Sarah Carr, dans le quotidien Al-Masry Al-Youm (« A firsthand account : Marching from Shubra to deaths at Maspiro »), raconte comment les manifestants, au nombre de dix mille, sont partis du quartier populaire de Choubrah (au Caire). Ils ont été attaqués à coups de pierres par des éléments non identifiés, avant d’atteindre le centre de la capitale et l’immeuble Maspiro, qui abrite la radio-télévision, à quelques centaines de mètres de la place Tahrir. C’est là qu’ils ont été attaqués par des soldats montés sur deux véhicules blindés, attaque qui fera de nombreux morts. Pendant ce temps, la télévision d’Etat diffuse des informations selon lesquelles les coptes auraient volé des armes et tiré sur l’armée ; elle affirme qu’ils sont manipulés par l’étranger.
On peut noter que la chaîne Al-Jazira a développé le même type d’arguments et a soutenu la propagande des militaires : lire Angry Arab (10 octobre).
Ce compte-rendu est confirmé par les correspondants d’Ahram Online (« Protest against persecution of Copts in Egypt attacked with bloody force »). Le rôle de groupes non identifiés pour réprimer les manifestants fait craindre le pire, dans la mesure où ces mêmes groupes ont servi le régime Moubarak durant les journées de la révolution.
Selon le correspondant du New York Times David Kirkpatrick (« Church Protests in Cairo Turn Deadly »), un certain nombre de musulmans sont venus au secours des chrétiens.
Le ministre de l’information a déclaré le 10 octobre qu’il n’y avait pas de preuve que les manifestants aient attaqué l’armée. Il a aussi critiqué la couverture des événements par la télévision d’Etat (« Information Minister : We are not sure army soldiers were attacked by protesters », Al-Masry Al-Youm). Un changement complet de la télévision d’Etat reste l’un des objectifs importants de la révolution.
Beaucoup récusent une lecture purement confessionnelle des incidents (lire Rudolf El-Kareh, « Multiples visages des chrétiens d’Orient »), mais y voient la confirmation que le Conseil supérieur des forces armées (CSFA), qui assume le pouvoir, veut maintenir l’ancien régime et utilise tous les moyens contre toute forme de contestation, que ce soit celle des coptes, les grèves ouvrières ou les manifestations de défense des droits humains. S’il est vrai que l’autoritarisme du CSFA n’est plus à démontrer, il paraît pourtant peu probable qu’il veuille se maintenir au pouvoir. Les élections débuteront à la fin novembre, et le CSFA a dû tenir compte de la demande des forces politiques sur la loi électorale, étendre l’interdiction faite aux membres de l’ancien parti au pouvoir de se présenter aux élections, etc.
Notons aussi les avancées du mouvement démocratique : dissolution du parti unique, mise sous tutelle du syndicat officiel, création de syndicats libres, élections à la tête des universités, procès d’anciens responsables, etc.
Mais il est vrai que la longueur de la transition (le dernier tour des élections législatives aura lieu en janvier ; il sera suivi par le scrutin pour le majliss al-choura (le Sénat) et le Parlement ne se réunira qu’en mars) favorise toutes les instabilités, ainsi que les manœuvres des tenants de l’ancien régime.
Les réactions des Frères musulmans égyptiens et de leur parti ont été plus que prudentes : ils s’en sont tenus à des généralités et à la présentation de condoléances (« MB Extends Condolences to Egyptians over Maspero Killings »).