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Après l’intervention télévisée de Nicolas Sarkozy

« Push test » : une coproduction OpinionWay-Le Figaro-AFP-Elysée

par Alain Garrigou, 3 novembre 2011

Les post-tests sont ces enquêtes qui évaluent une prestation médiatique d’un dirigeant politique. Chaque intervention télévisée de Nicolas Sarkozy est donc suivie d’un post-test, confidentiel s’il est qualitatif et publié s’il est quantitatif. On attendait donc le post-test du président sur la crise européenne. On n’est pas déçu.

Le Figaro a publié le « sondage » OpinionWay réalisé auprès des internautes. En fait de sondage, il s’agit d’un push poll, enquête conçue pour promouvoir une cause quelconque, ici plus précisément ce qu’on peut appeler un push test pour faire croire à l’excellence de la qualité de la prestation de Nicolas Sarkozy le 27 octobre. Il y a plusieurs manières de biaiser les résultats (1). Pour une intervention télévisée, la ficelle consiste simplement à n’interroger que ceux qui ont suivi l’émission. Chose parfaitement logique sans doute, mais utile à préciser, car il arrive que les sondés ayant entendu parler de l’intervention soient aussi sollicités ! Or, en interrogeant des téléspectateurs qui ont suivi une intervention télévisée du président de la République, l’échantillon est forcément constitué par une large majorité de partisans du président de la République : assister ou non à l’émission sert de filtre. Ces sondages sont donc toujours très favorables.

Ici, Le Figaro lance l’information : « Face à la crise, les Français convaincus par Sarkozy » (Le Figaro, 31 octobre 2011). L’AFP reprend : « Sarkozy à la télé jugé convaincant pour 55% des Français » (AFP, 31 octobre 2011). Combien de médias ont reproduit l’« information » ? Le Parisien et d’autres médias ont aussi évoqué l’opinion positive des « Français ». Simplement, cette information est fausse. On ne peut en effet attribuer cette opinion aux Français mais seulement aux internautes ayant répondu, et encore, à seulement 58 % des 1 005 exhibés dans la fiche technique, soit environ 580 personnes qui sont essentiellement des sondés favorables à Nicolas Sarkozy.

Le sondeur ne donne pas le chiffre, mais il est facile de comprendre que les téléspectateurs favorables au président ont plus volontiers suivi son intervention télévisée que ceux qui lui sont hostiles. L’échantillon n’est donc pas représentatif et ne permet pas de parler des « Français ». Un push poll ne procède pas seulement par la production de résultats biaisés, mais aussi par la publication de ces chiffres comme des chiffres exacts et de commentaires faux. Une falsification, en somme.

Quand les sondeurs sont confrontés à ces titres erronés, leur réponse est invariablement la même : ils mettent en cause la « titraille », un penchant journalistique anodin pour les titres qui sonnent haut. Et dégagent ainsi leur responsabilité. Qui pourrait être dupe ? Surtout s’il s’agit d’une association OpinionWay et du Figaro, bien connus pour leur zèle politique. A proprement parler, les médias livrent non seulement un titre abusif mais une « fausse information ». Volontairement ou involontairement ? Les journalistes du Figaro et de l’AFP sont-ils incompétents ? On n’ose le croire. Il faut donc qu’ils emploient délibérément un titre mensonger, au Figaro pour servir leur employeur, et à l’AFP, par soumission au pouvoir politique (2). En ce sens, ils se rendent complice de la propagation de « fausses nouvelles ». Le code électoral prévoit des sanctions contre les fausses nouvelles qui ont orienté les votes (article L97). Avec les push polls, la pratique est systématique sans qu’il soit possible d’envisager des sanctions.

On ne pouvait douter que le dispositif dévoilé par la Cour des comptes en 2009 serait réactivé après une période de sommeil obligé à l’approche de l’élection présidentielle. On suppose que cette fois, l’Elysée ne paie pas les push tests via Publifact, la société de Patrick Buisson, mais par un autre canal. On aimerait que le sondeur produise la facture de l’enquête publiée. On sait en effet qu’il ne faut pas faire confiance aux mentions de la fiche technique qui accompagne les « sondages » associant un sondeur et un journal qui, en réalité, ne paie pas.

Qui a payé, en l’occurrence ? Ici, ce n’est pas le sondeur qui fait sa publicité mais une institution publique, probablement le SIG dont les crédits de sondages sont les plus importants et ont été multipliés par quatre après l’affaire des sondages de l’Elysée. Là encore, l’ambiguïté est gênante. Légalement, l’Elysée, plus d’ailleurs que le SIG, peut commander des post-tests. Lorsqu’ils sont publiés, cependant, et sous une présentation falsifiée, ceux-ci se transforment en procédé de propagande électorale, et la dépense ressort donc du financement politique illicite.

La propagande pose immédiatement la question de l’efficacité. Quel peut en être l’effet sur les citoyens ? On sait que la propagande a surtout l’effet de rasséréner ceux qui en ont besoin. Nicolas Sarkozy était une nouvelle fois très satisfait de sa performance. Le « sondage » d’OpinionWay a donc dû le conforter, ainsi que ses fidèles. Les conseillers ont jubilé. Le Figaro a reçu 1 292 réactions satisfaites, voire euphoriques dans leur immense majorité. Comme l’astrologie, la propagande n’obtient jamais plus l’assentiment que lorsqu’elle apporte de bonnes nouvelles. En ce sens, elle convainc les convaincus. Mais les autres ? En matière électorale, il faut évidemment gagner de nouveaux soutiens. Les push polls risquent en l’occurrence de soulever l’incrédulité, comme ces communiqués militaires dont se moquait Victor Klemperer dans sa critique de la propagande nazie (3).

L’efficacité dépend de la répétition, d’une sorte d’environnement du mensonge qui, à force d’être répété, tend à être pris pour vérité et peut-être à devenir la vérité. En temps de guerre, les bulletins optimistes ne suffisent pas à faire la victoire, mais ils évitent peut-être la défaite, voire la repoussent. Simplement, les acteurs politiques ne peuvent pas ne rien faire. Il leur faut accréditer l’idée de la possibilité d’une victoire pour que celle-ci soit possible. Tel est le mécanisme performatif auquel participent les push polls, cette combinaison de sondages et de commentaires biaisés, d’autant plus crédibles qu’ils s’insèrent dans un environnement congruent. Pour l’intervention de Nicolas Sarkozy, par exemple, le chiffre de 12 millions de téléspectateurs avait été immédiatement présenté comme un succès : ainsi, dans l’émission de propagande « C dans l’air » (28 octobre 2011), le diseur d’opinion Roland Cayrol estimait que « les Français attendaient cette intervention ». Certes, la diffusion d’une émission en prime time et conjointement sur les deux principales chaînes de télévision garantit par avance une bonne mesure d’audimat. Ensuite, il faut éventuellement taire les signes contraires qui, tels les oiseaux de mauvaise augure, contredisent et font douter (4).

La propagande apparaît d’autant plus nécessaire qu’il s’agit d’inverser la croyance. Longtemps fixée sur la certitude de la réélection d’un président sortant, la propagande ayant installé l’impression d’une absence d’alternative, une autre idée dominante s’est progressivement imposée au fur et à mesure des déceptions, et de l’apparition de rivaux : le président sortant serait probablement battu. Sauf à renoncer, il faut bien user des astuces de la propagande pour redonner crédit à un candidat qui n’a peut-être aucune chance, mais qui ne pourrait simplement pas croire en ses chances s’il n’agissait pas. Pour l’observateur réaliste, comme pour les conseillers politiques, il ne s’agit que des procédés habituels de la politique. Seulement anodins. Pour d’autres, hostiles au cynisme politique ordinaire, la transformation du mensonge – un grand mot, mais un mot exact – en procédé systématique pour convaincre fait un tort profond à la démocratie, puisqu’il faut tromper les citoyens pour espérer l’emporter.

Alain Garrigou

(1Cf. Alain Garrigou, Richard Brousse, Manuel antisondages, Editions Lavillebrûle, 2011, p. 111-115

(2Le personnel de l’AFP a voté une motion de défiance pour demander au PDG Emmanuel Hoog de « cesser de promouvoir une proposition de loi visant à modifier le statut de l’agence » (8 septembre 2011).

(3Victor Klemperer, LTI, la langue du IIIe Reich, Paris, Albin Michel, 1996.

(4Un sondage en ligne de TNS-Sofres indiquait au même moment que 56% des Français n’avaient pas été convaincus (cf. Olivier Biffaud, « Sarkozy “convaincant” à la télévision : OpinionWay et TNS Sofres se contredisent », FranceTV.fr, 31 octobre 2011). Une enquête « passée presque totalement inaperçue »

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