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L’Egypte caméra au poing

par Christophe Baconin, 22 novembre 2011

Du 2 novembre au 10 décembre, une soixantaine de films égyptiens sont projetés par l’association Aflam dans le cadre du festival Cinéma(s) d’Egypte (1). Comédies musicales, mélodrames, adaptations littéraires, fictions réalistes ou documentaires, un large panorama, des années 1950 à nos jours, est proposé, témoignant de la vitalité d’un cinéma égyptien qui domina pendant longtemps les écrans du monde arabe, tant par la qualité que la quantité de sa production. C’est l’occasion de redécouvrir de grands classiques, tels que Le Facteur, de Hussein Kamal, Les eaux noires, de Youssef Chahine , ou encore Le Caire 30, de Salah Abou Seif. On peut également faire plus ample connaissance avec la nouvelle génération de cinéastes qui s’est imposée depuis les années 1990, comme Yousri Nasrallah, Hala Khalil, Ahmed Abadallah ou Marwan Hamed, dont l’adaptation en 2006 du roman d’Alaa Al-Aswany, L’Immeuble Yacoubian, eut un succès retentissant bien au-delà des frontières de l’Egypte. Tous sont des auteurs de fiction reconnus dans leur pays, et ont entre 30 et 40 ans, à l’exception de Nasrallah, qui fut l’assistant de Youssef Chahine.

C’est aussi et surtout l’opportunité de s’interroger, après la révolution du 25 janvier 2011, sur le rôle qu’entendent jouer ces cinéastes dans les profondes mutations sociales et politiques en cours dans le pays du Nil. Des films comme Microphone, de Ahmed Abdallah, ou Les femmes du bus 678, de Mohamed Diab, tous deux sortis en 2010, offrent une vision saisissante des transformations à l’œuvre au sein de la société civile. Dans un entretien accordé il y a quelques mois aux Cahiers du Cinéma (2), Yousri Nasrallah donnait la mesure du défi qui attend cette nouvelle génération : participer à la restructuration du Centre national du Cinéma (CNC ), qui fonctionnait jusque-là de façon opaque et arbitraire — comme la plupart des autres institutions ; redéfinir de nouveaux moyens de financement ; rebâtir l’organisation des festivals ; lutter contre la censure administrative ou télévisuelle ; aider à la constitution d’une cinémathèque...

La date de sortie, en Egypte, de Microphone, lauréat du Tanit d’or aux Journées cinématographiques de Carthage (Tunisie), en 2010, était prévue pour le 25 janvier dernier, premier jour de l’insurrection populaire. Les salles de cinéma ayant toutes fermé trois jours plus tard, sa sortie a été reportée. Il est aujourd’hui visible sur les écrans égyptiens, mais en dehors du circuit commercial. Ahmed Abdallah, venu en France présenter son film dans le cadre du festival, insiste sur la dimension collective de ce travail de réalisation. Il ne le considère pas comme « son film à lui », tous les acteurs et membres de l’équipe de tournage ayant été directement impliqués dans sa conception et sa création. Il défend moins le film lui-même que la méthode qui a présidé à son processus de réalisation : il a été largement improvisé, le scénario réécrit au jour le jour pendant le déroulement du tournage. La dynamique de la mise en scène tient sa réussite de sa volonté d’ associer constamment la dimension narrative de la fiction à la forme descriptive du documentaire. Ahmed Abdallah avait pour projet initial de réaliser un documentaire sur le milieu artistique underground d’Alexandrie, tout particulièrement sur le Street Art — l’art du graffiti —, qui connaît un succès croissant sur les murs des grandes villes du pays. Ce projet s’est transformé peu à peu en une œuvre de fiction : un jeune Egyptien de retour dans sa ville natale, après sept ans d’absence à l’étranger, décide d’organiser un festival de musique avec les groupes « indé » d’Alexandrie, et se trouve aux prises avec la censure du ministère de la culture, qui refuse de le subventionner.

Cette difficulté à trouver des moyens de financement est aussi une préoccupation majeure pour les jeunes réalisateurs. La situation économique du cinéma égyptien reste très précaire. Son chiffre d’affaires annuel en matière d’exploitation nationale est estimé à environ 40 millions d’euros. C’est peu... Yousri Nasrallah va jusqu’à parler, dans ce même entretien aux Cahiers, de « ruines », pour évoquer cette situation.

L’heure est à la reconstruction. Les films récents présentés dans le cadre du festival attestent, par leur ancrage dans la réalité sociale, d’un renouveau possible. En particulier le film 18 jours (3). Composé de dix courts-métrages de réalisateurs différents , ce film retrace les premiers jours de la révolution. Aux images d’archives relayées par le flux ininterrompu du Net, se mêle le récit de destins individuels, de regards et de désirs croisés, saisis par la portée d’un événement qui les dépasse. C’est moins leur qualité esthétique que l’irruption imprévue du réel au cœur de la fiction qui donne tout leur intérêt à cette œuvre plurielle. Lorsqu’on lui demande si les récents changements politiques ont offert aux artistes égyptiens de nouvelles possibilités, Ahmad Abdallah, qui signe un des courts-métrages de 18 jours, répond que « la révolution n’est pas comme un bouton sur lequel il suffirait d’appuyer pour changer le monde. »

Signe, malgré tout, du changement en cours : le concert que le personnage principal de Microphone échoue à organiser dans le film, pris entre la censure institutionnelle et la répression policière, a pu finalement voir le jour il y a trois mois à Alexandrie...

Christophe Baconin

(1Le festival se déroule dans les villes d’Aix-en-Provence, Arles, La Ciotat, La Garde, Marseille, et Port-de-Bouc. Le programme est disponible sur le site de l’Aflam.

(2« La bête est tombée », Cahiers du Cinéma, n° 667, mai 2011.

(318 jours, film collectif d’Ahmed Abdallah, Mariam Abou ouf, Kamla Abou Zikri, Ahmed Alaa, Mohamed Ali, Sherif Arafa, Sherif El-Bendary, Marwan Hamed, Khaled Marei et Yousri Nasrallah.

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