Jeudi 24 novembre : séminaire de « sociologie approfondie de l’espace public ». Un titre ronflant tant il faut bien qu’en master II, les choses soient « approfondies », comme ensuite les recherches doivent être « avancées ». Au menu de la matinée : « Une émission de débat télévisé : l’exemple de “C dans l’air” ». En fait d’exemple, on n’a guère le choix. Deux étudiantes se sont résolument emparées du sujet : histoire de l’émission, société de production, dispositif, audience, etc. Elles ont eu l’excellente idée de mener une petite enquête à partir du site de l’émission. Elles ont exploité les ressources d’objectivation d’un logiciel pour imprimer les représentations graphiques des statistiques de la sélection des invités. Elles ne peuvent cacher un début d’indignation devant la rareté de la présence féminine : seulement 40 femmes pour 499 invités et 123 émissions dans les six derniers mois. Un « camembert » met en scène la part minime des femmes par une portion rose minuscule dans un océan de bleu. Les étudiantes ajoutent que celles-ci n’interviennent guère que sur des « sujets féminins » : les femmes, la santé, les enfants… Il est vrai qu’aucune ne figure dans le décompte des invités les plus fréquents. Un plateau de « mâles blancs », résument-elles.
Christophe BARBIER (L’Express) | 19 |
Dominique REYNIE (Fondapol) | 16 |
Renaud DELY (Le Nouvel Observateur) | 12 |
Jérôme SAINTE MARIE (CSA) | 11 |
Roland CAYROL (Cevipof) | 10 |
Yves THREARD (Le Figaro) | 9 |
Brice TEINTURIER (IPSOS) | 8 |
Pascal BONIFACE (IRIS) | 8 |
Pascal PERRINEAU (Cevipof) | 6 |
Gaël SLIMAN (Opinion BVA) | 6 |
Total | 105/499 |
Invités de « C dans l’air », du 31 mai au 18 novembre 2011 |
Trois catégories d’invités se retrouvent sur le sujet sensible de la politique française : journalistes, avec le plus présent de tous les invités, Christophe Barbier (L’Express), ainsi que Yves Thérard (Le Figaro) et Renaud Dély (Le Nouvel Observateur), sondeurs (CSA, Ipsos, BVA) et universitaires issus de Sciences Po et en même temps sondeurs (Roland Cayrol) ou membres du think tank de l’UMP (Dominique Reynié et Pascal Perrineau). Ce palmarès fait donc apparaître un autre principe de sélection des invités : la politique. Les invités sont surtout des gens de droite. Un principe de sélection moins apparent est la problématique intellectuelle positiviste de spécialistes du comportement politique. Pour expliquer cette sélection, il faut évidemment tenir compte des contraintes matérielles d’une émission quotidienne, où il est difficile de ne pas solliciter les invités les plus fiables, c’est-à-dire disponibles et conformes. La longévité d’une émission née en 2001 ainsi que le direct nourrissent forcément les rigidités de la sélection pour éviter des appels téléphoniques vains et du fait de l’autoexclusion de spécialistes peu soucieux de se retrouver en milieu hostile.
Il n’y aurait peut-être rien d’autre à dire si un étudiant de genre masculin ne s’était risqué à marquer son désaccord sur l’exclusion des femmes : en quoi cela aurait-il changé que plus d’entre elles interviennent sur les sujets concernés ? Protestation des jeunes femmes du séminaire. Il revient en effet à l’observateur scientifique de comparer les principes réels de sélection aux principes officiels du débat politique dont se réclame une émission particulière, comme toute émission de débat en régime démocratique. S’il est probable qu’aucune n’échappe au flagrant délit de non respect de ses propres principes, il faut se demander s’il est possible d’organiser une véritable émission de débat à la télévision. « On est tous d’accord », se réjouit souvent l’animateur. La polémique redouble et apporte une réponse : on peut difficilement imaginer une caméra au milieu de la cacophonie. Un mot de la fin ? On se lève en continuant le débat. Il est midi.