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Impasses syriennes

par Alain Gresh, 12 janvier 2012

Il y a bientôt dix mois qu’éclatait, dans la foulée des révolutions en Tunisie, en Egypte, à Bahreïn et au Yémen, une insurrection populaire en Syrie (lire Patrick Seale, « Fatal aveuglement de la famille Assad », Le Monde diplomatique, mai 2011). Le discours prononcé par le président Bachar Al-Assad le 10 janvier (texte arabe), le quatrième depuis le début des événements, confirme à la fois l’incapacité du pouvoir à comprendre les aspirations populaires – réduites, pour l’essentiel, à un complot de l’étranger – et l’impasse dans laquelle se trouve la Syrie. S’il est peu probable que la sanglante répression, avec ses centaines de morts et l’usage systématique de la torture, vienne à bout de la détermination des révoltés, l’opposition semble dans l’incapacité de renverser le régime, et même de présenter un front uni. Et le pouvoir est au moins arrivé à garantir la neutralité de certaines minorités (alaouite, chrétienne, etc.), ce qui lui donne une certaine marge de manœuvre.

Le mouvement de révolte se partage en deux grands blocs principaux : le Conseil national syrien (CNS), dirigé par Burhan Ghalioun, qui comprend des forces très diverses, des Frères musulmans aux laïques et dont les cadres sont, pour la plupart, à l’étranger ; le Comité de coordination nationale (CCN) représenté par Haytham Al-Manna, dont les membres sont essentiellement à l’intérieur. Il faut y ajouter d’autres regroupements, dont l’opposition kurde qui se plaint d’être marginalisée par les autres forces (« Syrian Kurds Claim They’re Sidelined in Opposition Again », Rudaw, 10 janvier).

Une tentative de conclure un accord stratégique entre les deux coalitions à la fin du mois de décembre a fait long feu. Al-Manna a raconté les raisons de cet échec dans un long entretien (2 janvier) avec le site en anglais du quotidien libanais Al-Akhbar, « The Politics Behin the Pact with Ghalioun ». D’abord, selon lui, le CNS est divisé et mal organisé. C’est une alliance de groupes disparates, sans unité. La divergence essentielle concerne la phrase affirmant « le rejet de toute intervention militaire qui affecte la souveraineté et l’indépendance du pays » et qui précise qu’« une intervention arabe n’est pas considérée comme une intervention étrangère ».

Al-Manna explique, concernant l’intervention arabe, que celle-ci pourrait même comprendre des casques verts sur le terrain. Ils seront les bienvenus. Il poursuit en assurant qu’il faut faire passer le nombre des observateurs à 500. « L’idée qu’une force internationale aurait été mieux accueillie en Syrie est une fiction relayée par les médias du Golfe. Ce n’est tout simplement pas vrai. »

Critiques de la Ligue arabe et de ses actions, les monarchies du Golfe préfèrent, et de loin, porter la question devant le Conseil de sécurité de l’ONU (dont on peut se demander en quoi il sera plus efficace que la Ligue arabe). Ces pays, précise Al-Manna, tentent de « faire de la Syrie un champ de bataille de leur affrontement avec l’Iran. Mais nous refusons de devenir les victimes d’une guerre par délégation. Nous voulons la démocratie et la liberté en Syrie. Nous ne voulons être utilisés par aucune puissance qui agit pour ses propres intérêts ».

Alors que le CNS compte, pour l’essentiel, sur les pays occidentaux et ceux du Golfe, et que certains de ses membres font directement appel à eux pour intervenir militairement et hésitent sur l’usage de la violence armée (alimentée à partir de la Turquie et du Liban), le CCN a multiplié les contacts avec toutes les puissances, y compris la Chine et l’Iran, refusant toute intervention militaire qui aboutirait à encore plus de victimes et, sans doute, à un éclatement du pays, comme en Irak. Il fait également preuve de fermeté sur le choix d’une ligne pacifique, convaincu que la violence joue en faveur du régime.

On peut s’interroger sur le rôle de l’Arabie saoudite et sur son « attachement » à la démocratie en Syrie, elle qui écrase la révolte à Bahreïn, comme elle écrase ses propres chiites. Deux dimensions définissent la crise en Syrie : la lutte de son peuple pour la démocratie et la liberté ; la volonté de faire tomber un régime allié à l’Iran, à l’heure où les Etats-Unis, l’Union européenne et Israël mènent une offensive majeure contre la république islamique.

Aucun père Noël ne viendra sauver la Syrie, explique Al-Manna. Seules la mobilisation pacifique intérieure et des pressions continues sous forme de sanctions, la présence d’observateurs arabes et la dénonciation des exactions permettront d’assurer au pays une transition vers la démocratie. Et permettront au peuple syrien de choisir lui-même son destin.

Alain Gresh

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