Le président boute-feu, qui n’avait cessé ces dernières années de renforcer le contingent français, passé en quatre ans de 1700 à 4000 hommes, a tourné casaque après ce drame, décidant de suspendre le travail de soutien et de formation auprès de l’armée nationale afghane : c’était pourtant la raison d’être de ces unités. Et la condition du départ en bon ordre des soldats occidentaux d’ici 2014.
L’éventualité d’avancer le calendrier du retrait des troupes françaises, engagées au sein de la coalition internationale de la force d’assistance à la sécurité (ISAF), n’a pas été mieux comprise – y compris par certains militaires français, qui craignent que leurs camarades paraissent du coup être morts « pour rien ».
« Si les conditions de sécurité ne sont pas clairement établies, alors se posera la question d’un retour anticipé de l’armée française », avait déclaré vendredi dernier le numéro un français, à l’occasion d’un discours de vœux au corps diplomatique, le joçur même de la fusillade. Comme si une « garantie de sécurité » pouvait exister pour des militaires engagés dans un conflit au sol (au contraire du « zéro mort » en Libye, dans le cadre d’une opération de soutien à distance, depuis les airs et la mer).
Mais M. Nicolas Sarkozy s’est repris, ce mercredi 25 janvier, lors d’un hommage qu’il a rendu aux quatre soldats, sur leur base en Isère : « Ne nous trompons pas de colère ... ».Et son ministre Alain Juppé a assuré que rien ne se déciderait « dans la panique ».
Les cœurs et les esprits
Faute d’avoir réussi à « gagner les cœurs et les esprits » dans cette vallée, le contingent français avait déjà engagé, sur décision de l’Elysée, une stratégie de repli après l’embuscade qui avait coûté la vie en juillet dernier à cinq soldats chargés de sécuriser une réunion de notables, à deux kilomètres de leur base de Tagab, dans la province de Kapisa.
Une première série de mesures avaient été prises pour assurer la sécurité… de ceux qui assurent la formation de ceux qui assurent la sécurité ! Mais, le 29 décembre dernier, deux légionnaires français avaient été tués par un de leurs compagnons afghans dans un poste d’observation au sud de la vallée de Tagab.
Depuis six mois, la plupart des soldats français limitaient leur sorties à des escortes de convois militaires de l’armée afghane dans la vallée (et non sur les hauteurs), ou restaient cantonnés dans des casernements fortifiés : c’est dans l’enceinte de leur base de Gwan, près de Tagab, qu’ont été tués vendredi quatre soldats (et blessés 15 autres, dont 8 grièvement) qui terminaient une séance de footing, ne portant ni armes ni gilet pare-balles.
Le ministre français de la défense, Gérard Longuet, avait cru pouvoir affirmer, dans un premier temps, que l’auteur des tirs – un soldat afghan affecté à cette base – était lié aux talibans : après un premier recrutement dans l’armée, il aurait fait un détour par le Pakistan, avant de se réengager dans l’armée nationale afghane. Mais, selon des sources des forces de sécurité afghanes, relayées par le président Karzaï, le tireur affirmerait avoir agi personnellement, en réaction à la diffusion des images de Marines américains photographiés en train d’uriner sur des cadavres de talibans.
La montée en puissance des forces armées afghanes – proches aujourd’hui de 300 000 soldats et policiers – est présentée comme l’alternative « nationale » à la présence des forces étrangères. Mais cette croissance à marche forcée, obtenue grâce à un recrutement très ouvert et peu sélectif, a fait l’impasse sur un contrôle strict de l’identification, la qualité et les motivations des éléments engagés (dont plus d’un quart désertent).
Les pour et les contre
Les partisans d’un retrait accéléré invoquent une série d’arguments :
• ce n’est pas notre guerre (c’était celle de septembre 2001, de Bush, de Ben Laden, etc) ;
• l’opinion française a toujours manifesté son incrédulité, voire son hostilité à cet engagement ;
• l’armée et la police afghanes sont à l’image de la société afghane (poreuse, corrompue, etc.) ;
• la crise de confiance entre militaires occidentaux et afghans n’est pas nouvelle, selon un rapport pour le commandement américain révélé le 20 janvier par le New York Times, qui recense 58 assassinats depuis 2007 (1) ;
• en avril dernier, huit officiers américains avaient été tués sur l’aéroport de Kaboul par un colonel afghan.
D’autres sont opposés à un départ précipité :
• les pertes françaises – 86 en dix ans – restent relativement modérées, même si leur rythme s’est accéléré ces dernières années (2) ;
• la coalition doit marcher au même rythme, et ne pas évacuer en ordre dispersé ;
• il ne faut pas laisser tomber le régime Karzaï, qui vient à peine d’entamer des négociations avec les « talibans modérés » ;
• qu’adviendra-t-il des Afghans qui ont fait confiance à l’ISAF, aux familles dont les filles vont à l’école, etc. ?
• il est impossible d’abandonner le contrôle de la province de Kapisa – une vallée qui commande le ravitaillement de la capitale, et passerait immédiatement sous le contrôle des talibans ;
• il faut partir la tête haute, ne pas donner un signal de défaite dont profiteraient les talibans, etc.
Peuple indomptable
A ce sujet, quelques réflexions ou réactions glanées au fil des blogs, de toutes couleurs et de toutes sortes :
- « Pour venger la mort de centaines d’américains en tuant un seul homme, fallait-il en envoyer des milliers d’autres au casse-pipe ? ».
- « Nous subissons certainement des pertes là-bas, mais je préfère que nous combattions ces fanatiques chez eux, dans leurs vallées, dans leurs villages, plutôt que dans nos rames de métro, dans nos wagons, dans nos tours ».
- « Les combattre chez eux, c’est de les encourager à ce qu’ils nous combattent chez nous ».
- « Les candidats au Jihad partent en Afghanistan mener leur guerre sainte. L’internationale Islamiste s’y épuise. Le jour où nous leurs rendrons ce pays, où iront-ils se dégourdir ? ».
- « J’ai demandé à un officier français la raison de notre engagement en Afghanistan. Il m’a répondu : maintenir les extrémistes en Afghanistan, au Pakistan, dans le Sahel ; loin, en tout cas, de notre population. En somme, le sacrifice des militaires pour sauver les civils ».
- « Proverbe oriental : « Méfie toi du venin du cobra, des griffes du tigre et de la vengeance de l’Afghan ». Attitude afghane : moi contre mon frère, mon frère et moi contre notre cousin, mon frère mon cousin et moi contre tous les autres… D’Alexandre le Grand aux Anglais massacrés dans la Khyber Pass en 1842, un peuple indomptable, jamais occupé, jamais colonisé, se battant à mort, enfants et vieillards inclus. Tirant sur les hélicoptères de combat russes avec des fusils Enfield 1914, adossés au rocher, se faisant hacher sur place, mais touchant les hélicos. Le samouraï japonais tant vanté ne fait pas le poids ! ».
- « Cette situation, toutes les armées opérant sans réelle légitimité, en pays étranger, l’ont vécue : la guerre est ainsi faite qu’elle ne peut être gagnée que par des troupes décidées, armées d’ une conscience claire de sa mission, et soutenues par le peuple qu‘elles sont censées appuyer ou libérer. Cela peut paraître simpliste, mais c’est dans la définition des “buts de guerre” que se décide la victoire ».
Retrait ou déroute ?
- « Annoncer clairement à l’ennemi que “quoiqu’il arrive dans tant de mois on vous laissera tranquilles, on s’en ira…” est un véritable défi à la logique ; c’est aussi se payer la tête des militaires sur place ».
- « Le président Karzaï veut nous voir partir, histoire d’avoir les mains libres pour négocier avec les résistants, dont les talibans ».
- « Les revers font partie de l’équation d’un engagement militaire, et ils doivent être envisagés avant, et intégrés à la manœuvre dès le début. Imaginons que, par manque de sang-froid politique, nous nous retirions. Il ne s’agira plus d’un retrait mais d’une déroute. Et quelle victoire pour les “talibans”, ces combattants en sandalettes : ils auront fait plier la 4ème, 5ème, 6ème (?) armée mondiale, dotée de l’arme nucléaire !! ».
- « L’armée sud-vietnamienne, autrement plus puissante et équipée que l’armée afghane actuelle, avait volé en éclats, malgré la présence de troupes aguerries, en quelques semaines d’offensives de l’armée nord-vietnamienne. Je me rappelle encore des images des équipements militaires abandonnés en masse le long des routes – chars blindés camions flambants neufs américains, casques, équipements, chaussures, treillis : les soldats sud vietnamiens par milliers se déshabillaient vite fait pour se fondre dans la population civile. Il en sera de même à la première offensive d’envergure des talibans ! ».
Manie du footing
Par ailleurs, comme le rappelle Jean-Dominique Merchet, dans son blog Secret défense, le désengagement français – s’il est vraiment décidé de l’avancer – est délicat à gérer politiquement (notamment avec l’ami américain), et plus encore militairement (sécurisation des convois, importance et coût des moyens de transport aérien lourd, etc.).
Pour terminer de façon plus légère, ce commentaire d’un lecteur apparemment connaisseur, suite à un papier dans Secret défense justement, sur ce tir contre des militaires joggers :
« Doit-on le répéter, on ne fait pas de footing dans un pays en guerre. Dans les années 1980, au sud Liban, cela nous a coûté quelques soldats morts. Cette manie de courir tous les matins quel que soit le terrain, en opex comme dans la campagne environnante d’une garnison de la France profonde, est ridicule à plusieurs titres :
- L’adversaire a du « rens’ » facile sur nos troupes…
- Au milieu d’une population meurtrie voire misérable, courir affiche une insolente bonne santé d’occidental.
- Nos tenues de sport avec collant “moule boules” ou flottant “couilles libres” sont considérés comme une provocation indécente dans les pays musulmans.
- Cette mode du « en petites foulées derrière moi » est venue des TAP (3) après la guerre d’Algérie. Ce cross matinal fut repris par toutes les unités.
A l’époque deux raisons valables prévalaient :
- Empêcher les cadres d’avoir des formes callipyges…
- Occuper les appelés du contingent en faisant du sport sans installation et sans le paternalisme du professeur d’éducation physique qu’ils avaient connus dans les collèges et autres lycées !
Un peu d’histoire...
L’Armée d’Afrique, lors de ses campagnes d’Italie, de France et d’Allemagne ne faisait pas de footing.
La division Leclerc devant Paris, le Rhin et dans la Forêt noire ne pratiquait pas l’EPS.
Les commandos de chasse des troupes de secteur, les unités de réserve générale ne couraient pas au milieu des jujubiers, oliviers et chênes liège, traversant mechtas et douars durant la guerre d’Algérie.
Dans ce dernier cas, on n’oubliera pas le Colonel Bigeard qui durant un footing au milieu de la zone portuaire de Bône faillit y rester, victime de tirs de terroristes de l’ALN… »