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La petite forme du soldat Hollande

Consensus, continuité, défilé de généralités et de lieux communs, manque de souffle : le « grand discours » sur la politique de défense du candidat socialiste à l’élection présidentielle, prononcé dimanche 11 mars devant un parterre d’« éléphants », est plutôt décevant. Et ne prend, par exemple, aucun recul par rapport à l’intervention française en Libye, l’an dernier, se contentant de « féliciter pour leur courage les aviateurs français qui ont protégé la population libyenne »…

par Philippe Leymarie, 13 mars 2012

Le futur « président François Hollande » veut bien sûr, comme tout candidat qui se respecte, « redonner à la France sa place et son rang ». Mais il commence par classer les menaces selon un ordre bien à lui :

1) En premier, Al-Qaida, encore dangereuse, surtout sa branche au Sahel, AQMI ;

2) « Une seconde menace, qui n’est pas d’ailleurs militaire. J’en parle à l’occasion de ce jour anniversaire de la tragédie de Fukushima, catastrophe naturelle, catastrophe industrielle sans précédent. C’est un risque qui, pour n’être pas militaire, peut impliquer des militaires pour en surmonter les conséquences, pour exiger une mobilisation de toutes les forces de sécurité. »

3) Enfin, la course aux armements en Asie et au Moyen-Orient , avec une inquiétude particulière concernant la prolifération. Il engage à la fermeté de tous face à l’Iran, tout en assurant que « toute initiative militaire unilatérale, dont chacun mesure bien les dangers d’escalade, serait inopportune ».

Réexamen des « opex »

Mais rien qui n’ait été dit et répété de la même manière par l’actuel président français. Il en est de même pour la priorité accordée au renseignement (mentionné à quatre reprises durant le discours), ou même de la volonté d’accélérer le retrait des troupes françaises d’Afghanistan : Hollande vise la fin 2012 ; Sarkozy, qui collait au calendrier américain, avait prévu 2014, puis 2013, et a fini par ordonner un désengagement par étapes, qui a déjà commencé.

Le souhait de réexaminer l’ensemble des opérations extérieures en cours, pour s’assurer qu’elles « gardent, dans la durée, leur légitimité et leur efficacité », est un peu plus original. Avec surtout ce projet d’associer le parlement à des processus d’évaluation régulière des « opex » (au lieu de se contenter d’une approbation en bloc — et dans l’indifférence générale — dans les trois mois ayant suivi l’engagement, comme c’est le cas actuellement).

On retombe en revanche dans les lieux communs lorsqu’il s’agit par exemple de la volonté de « refonder la politique de coopération de défense avec l’Afrique en mettant en œuvre un partenariat global avec l’Union africaine, et en veillant à y associer nos amis européens » — couplet entendu chaque fois que le pouvoir s’apprête à changer de mains.

Europe toute

L’ode à l’Europe de la défense, « tant de fois évoquée, espérée, engagée », est du même tonneau, même si François Hollande affirme qu’elle « doit prendre une nouvelle dimension ». Il préconise :
 d’approfondir encore la relation franco-britannique, mais aussi de revivifier la coopération franco-allemande, sans oublier de s’adresser aussi « aux Belges, aux Espagnols, aux Italiens, aux Polonais qui sont, ils me l’ont rappelé, demandeurs » ;
 d’explorer toutes les pistes permettant une rationalisation des appareils militaires des pays membres de l’Union : « mutualisation des moyens nationaux existants, programmation collective des équipements futurs, spécialisation des tâches, renforcement des capacités communes » ;
 d’œuvrer dans le sens de la consolidation de la base technologique et industrielle européenne, « ce qui suppose un soutien commun à l’effort de recherche aéronautique et de défense, mais aussi des rapprochements d’entreprises ».

Un triptyque somme toute très classique : tout cela se fait déjà, mais ne marche pas très fort, pour des raisons de conjoncture économique mais aussi politique qui n’auront certainement pas changé dans quelques mois.

Sans contrepartie

Le candidat socialiste est un peu plus incisif à propos du retour dans le commandement militaire intégré de l’OTAN, « décidé dans la précipitation et sans contrepartie effective par le président (Sarkozy) au début de son mandat, sans d’ailleurs avoir alerté les Français de cette intention au moment de sa candidature ».

Hollande estime que, « plusieurs années après, la France n’en a retiré aucun bénéfice probant », et qu’il faudra donc évaluer la nature, le degré, l’utilité de cette participation : « Je veillerai à ce que cette évaluation nous permette à la fois d’avoir les contreparties qui avaient été un moment évoquées, et aussi la préservation de notre indépendance. »

Le candidat, qui se voit déjà représenter la France au sommet de l’OTAN à Chicago, le 20 mai prochain, affirme — sans plus de détails — qu’il y évoquera « le projet de défense antimissile [américain, relayé par l’OTAN], qui mérite réflexion, tant les moyens qu’il faudrait y consacrer seraient considérables et tant une telle approche pourrait avoir des conséquences à terme sur notre force de dissuasion ». Il laisse donc penser qu’il n’y serait pas favorable, ce qui le distingue tout de même de la droite, pour qui il n’y a pas moyen de ne pas se joindre à ce « bouclier » pour des raisons à la fois stratégiques et industrielles.

Très classiquement, là encore, François Hollande se dit attaché à la dissuasion nucléaire, « indissociable de notre sécurité et de notre statut international », qu’il parle même de « consolider » — mais on ne voit pas comment et avec quelques moyens, à moins que ce ne soit par défaut, puisqu’il promet de conserver la composante aérienne de la dissuasion (1).

Effort de transparence

Le candidat veut lui aussi s’investir dans les drones « qui ont été trop longtemps négligés dans la période précédente ». Il souhaite que soit entreprise au plus tôt la rédaction d’un nouveau Livre blanc de la défense. Il veut « une industrie de défense forte, cohérente, contrôlée », avec un désir d’inflexion concernant « nos politiques d’exportation et de coopération [qui] se devront d’être plus rigoureuses, s’adaptant sans cesse aux réalités stratégiques, politiques, financières et même éthiques des contractants ».

Dans ce but, il préconise de « rassembler sous une même autorité nos instruments de contrôle des technologies civiles et militaires, de défense et de sécurité, trop souvent dispersées » et de rendre des comptes de ses choix chaque année au Parlement, avec « un effort de transparence renouvelé, en ajoutant des mécanismes de vérification plus efficients sur les matériels, sur les intermédiaires et sur les destinataires finaux ».

Sur le plan budgétaire, il rappelle que « des choix seront faits » en matière d’économies, mais « dans la même proportion que pour les autres départements ministériels », François Hollande promettant que le budget défense « ne sera pas utilisé comme une variable d’ajustement ».

Un discret coup de patte aussi adressé au constructeur aéronautique Dassault, en assurant que le futur gouvernement « ne déléguera à quiconque cette responsabilité de tracer l’avenir des grands groupes industriels de défense, et certainement pas à des intérêts privés ou financiers à qui le gouvernement sortant s’est trop souvent plié ».

Un engagement de pure forme : « Il est temps de reconnaître aux militaires qu’ils sont des citoyens à part entière », en « donnant une nouvelle impulsion aux mécanismes de concertation propres aux militaires », et en « favorisant des modes d’expression différents d’aujourd’hui ».

Esprit de défense

Et, en vrac, la promesse aux gendarmes qu’ils resteront militaires. Le souhait que les armées, avec leur puissant rôle intégrateur, restent ouvertes à la diversité. L’idée — un peu plus originale — de recentrer la journée Défense et citoyenneté, qui a été réduite à quelques heures (« Et pourquoi pas d’ailleurs l’allonger un peu et même la dédoubler ? On verra… »). Ou encore le projet du lancement d’un nouveau protocole Défense-Education nationale orienté vers la diffusion de l’esprit de défense auprès des jeunes et des enseignants.

Et, pour finir en beauté ce catalogue de bonnes intentions sous le sceau du consensus national, l’idée — très sarkozienne ! — de mettre à profit le centième anniversaire du déclenchement de la première guerre mondiale, en 2014, pour « créer sur notre territoire, sur le sol où sont tombés tant d’hommes venant de tous les continents du monde, un événement qui sera étendu à toutes les Nations qui ont été engagées dans ce conflit ».

Décevant pour la gauche, ce discours-programme l’est aussi pour la droite dont il n’était pas censé se démarquer beaucoup (2). Mais il faut croire que c’est encore trop ! Ainsi, pour le député Hervé Mariton, un des experts défense de l’UMP, « il n’y a dans le discours de François Hollande rien de nouveau, ni de concret. Il est en retard, ambigu et archaïque : il est décevant pour un candidat en tête des sondages de se préoccuper aussi peu que cela de la défense ».

Tandis que, pour Arnaud Danjean, président de la sous-commission sécurité et défense du Parlement européen et Guy Teissier, président de la commission de la défense de l’Assemblée nationale, « ceci nous semble déconnecté des réalités stratégiques contemporaines et des atouts de notre pays, que ce soit sur le plan strictement militaire ou sur le plan industriel. Notre participation dans l’OTAN n’est non seulement pas incompatible avec nos ambitions européennes, mais elle en est l’une des conditions ».

Philippe Leymarie

(1Une composante air s’ajoutant à la composante sous-marine, mais en y ajoutant plus de souplesse et de possibilités de gradation.

(2On trouvera quelques éléments pour une politique plus alternative en matière de défense dans l’ouvrage collectif Alter-gouvernement, Le Muscadier, 2012 ; cf. « Le boute-feu français ».

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