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Une exposition sur la « population laborieuse » de la capitale au XIXe siècle

Paris, le passé pour oublier

par Philippe Leclerc, 15 mars 2012

L’exposition temporaire du musée Carnavalet qui s’est achevée le 26 février à Paris a connu un vif succès. Sobrement intitulée « Le peuple de Paris au XIXe siècle », elle offrait au visiteur la possibilité d’en apprendre plus sur la population laborieuse, « figure mythique depuis la Révolution », qui vivait dans la capitale aux temps de Balzac et Zola : ses conditions d’existence, ses quartiers d’habitation, son logement, sa nourriture, ses codes vestimentaires, ses distractions, ses révoltes… C’est donc peu de dire que cette exposition constituait un voyage dans le temps, à la fois proche et lointain, tant les différences (de confort et d’hygiène par exemple) avec notre époque sont grandes (il n’est guère qu’en matière d’accueil pour les sans-logis que l’écart semble moins considérable). Au cours d’histoire s’ajoutait par conséquent ce qui pouvait paraître une formidable leçon de vie…

Peu d’affiches, un relais presse à peine audible : ce n’est guère le battage médiatique qui contribua à sa renommée. D’autant que pour être simplement illustrée, pour l’essentiel, d’un accrochage iconographique provenant des collections permanentes du musée – lesquelles sont d’ailleurs parfaitement visibles tout au long de l’année (et ce, gratuitement) –, l’exposition ne révélait aucune nouveauté. Et ce ne sont pas davantage les conditions de visite, six salles exiguës et tous au coude à coude (ce à quoi le visiteur parisien est d’ailleurs habitué), qui firent sa publicité.

Repasseuses (1884-1886)
Edgar Degas (1834-1917) Huile sur toile Paris, musée d’Orsay, legs du comte Isaac de Camondo au Louvre, 1911 © RMN (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski

Appétit de connaissance et curiosité pour une cité dont nos vieux romanciers nous ont déjà beaucoup parlé ne suffisent peut-être pas à expliquer un aussi vif engouement pour les mœurs parisiennes d’autrefois. Est-ce à dire que face à un présent précaire et à un futur incertain, le passé ainsi observé constituerait un repli, un lieu où il ferait bon vivre, un espace de certitudes qui rassure ? Serait-ce une manière, au fond, de retrouver du lien, de se retrouver, d’enquêter sur soi-même, ses origines, sur ce qui nous a fait ? Serait-ce l’occasion d’effectuer à l’envers un bout de chemin roboratif pour ensuite se retourner et mieux aller de l’avant ? Peut-être : mais pour trouver quoi ? Des réponses à nos interrogations présentes ? Or, au-delà du pittoresque des images d’antan et du petit cabaret que les conservateurs avaient eu la bonne idée de recréer, c’est d’un monde de labeur, de misère et de souffrance que le visiteur se faisait ici spectateur. Il apprenait que le repos était bref, les plaisirs simples et peu nombreux. Et puis, il constatait qu’au fil du temps, des régimes et des soubresauts de l’Histoire, la vie s’était améliorée lentement. Inexorablement. Vaillamment. La suite est connue.

Des vies laborieuses qui émeuvent, mais restent suffisamment lointaines pour ne pas toucher directement, un conte mélodramatique assez prometteur pour qu’il apaise les peurs actuelles : face à sa propre morosité et à la société en crise, le visiteur a pu contempler, moyennant quelques euros, une noirceur autre, circonscrite, édulcorée, domestiquée par les émouvants clichés albuminés d’Eugène Atget. Une réalité certes édifiante, mais travaillée dans les tons sépias des fictions populaires d’Eugène Sue. Il a pu humer le remugle de jadis pour ne plus sentir les miasmes d’aujourd’hui.

Il s’est souvenu pour oublier, en somme.

Philippe Leclerc

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