Présenté par ses promoteurs comme un événement planétaire décisif, le sixième Forum mondial de l’eau a tourné à la déroute. Le président de la République, M. Nicolas Sarkozy, qui devait l’inaugurer en grande pompe en présence d’une centaine de chefs d’Etat, a fait défection in extremis, y déléguant son premier ministre, M. François Fillon, dont l’intervention a signé un fiasco diplomatique sans précédent…
Aucune vision, aucune solution crédible et pérenne n’a émergé de ce forum alors que la crise de l’eau continue à faire des ravages et en dépit d’« engagements » mille fois ressassés auxquels nul n’accorde plus crédit.
Mais le Conseil mondial de l’eau n’en a pas moins annoncé, dans un communiqué en date du 14 mars 2012, vouloir « porter » les questions de l’eau et de l’assainissement à Rio de Janeiro (Brésil), à l’occasion de la conférence pour le développement, dite « Rio + 20 », qui se tiendra du 20 au 22 juin 2012, et qui a inscrit ces questions à son agenda.
Un Forum alternatif créatif
A contrario, le Forum alternatif qui se tenait en contrepoint a témoigné d’une étonnante résilience, à l’heure où les thuriféraires de la « croissance verte » érigent le greenwashing (laver plus écolo) en nouvel horizon indépassable de notre temps.
Car, en dépit des obstacles rencontrés pour faire vivre un grand moment d’échange d’expériences souvent méconnues, les protagonistes du FAME se sont réjouis d’un succès inattendu, et ont très vite songé à prolonger cette étape marquante des mobilisations pour l’eau, qui gagnent en ampleur depuis plus d’une décennie, comme l’atteste la déclaration adoptée à l’issue du Forum alternatif de Marseille.
Une effervescence dont témoignent les dizaines de témoignages recueillis à l’occasion.
Ou cette métaphore voyant dans les luttes pour l’eau le miroir coruscant d’une campagne présidentielle française bien atone…
Quelle gouvernance mondiale de l’eau ?
Forum et contre-forum ont aussi donné lieu à des remises en cause de l’existence même du Forum mondial de l’eau, auquel de nombreuses voix appellent à substituer – par le biais de la création, soutenue par la France, d’une Agence mondiale de l’environnement sous l’égide de l’ONU –, une nouvelle organisation onusienne spécifiquement dédiée à l’eau.
Une solution qui ne va pas de soi, si l’on en croit les réactions de parlementaires français à l’opinion exprimée par le président de Green Cross International, M. Mikhaïl Gorbatchev, s’inquiétant des risques inhérents au développement d’une nouvelle bureaucratie qui n’apporterait pas davantage de réponses pertinentes à la question de l’eau…
Nouvelles tensions autour du « Droit à l’eau »
Dans le même temps, de vives tensions se font jour au sein de la communauté internationale autour du « droit à l’eau », qui fait l’objet depuis plusieurs années de négociations complexes dans différentes instances.
Ce « droit à l’eau » ne se laisse pas appréhender aisément, et fait l’objet de polémiques récurrentes.
Riccardo Petrella, président de l’Institut européen de recherche sur la politique de l’eau (IERPE), en livrait une exégèse remarquée dans une tribune publiée le 9 août 2010 par le quotidien La Libre Belgique.
Or, peu après la tenue des Forum et contre-forum de Marseille, les défenseurs du « droit à l’eau » lançaient un nouveau cri d’alarme.
Dans la perspective du sommet « Rio + 20 », un premier brouillon de déclaration finale a été rédigé par le secrétariat de l’ONU. L’article 67 de ce draft provisoire réaffirmait l’importance de l’accès à l’eau potable comme droit humain fondamental, avant de le soumettre à d’éventuels amendements comme il est de règle en la matière.
Or, de nombreux pays du Nord refusent catégoriquement toute nouvelle avancée en ce sens.
Le débat est désormais clairement posé et va sans aucun doute monter en puissance à l’approche du prochain Sommet de la Terre, dans la perspective duquel se mobilise déjà la société civile internationale.
L’Union européenne, elle aussi, dans la perspective de ce même sommet, a dans un premier temps supprimé toute référence à l’idée de droit, insistant à l’envi sur la nécessité de considérer l’eau comme un capital qui fournit des services écosystémiques, pour l’instant invisibles et gratuits, auxquels doit être attribué un prix…
Dans une tribune publiée par l’hebdomadaire Politis le 29 mars 2012, Geneviève Azam, membre du Conseil scientifique d’Attac, stigmatisait cette dérive :
« Ces services sont par exemple ici ceux rendus pour la lutte contre le changement climatique, pour la biodiversité, pour la purification de l’eau, pour le maintien des sols. Comment calculer ce prix ? [Le projet] d’amendement [élaboré par la Commission européenne] ne le dit pas, mais tous les textes à notre disposition sont clairs : ce prix doit émerger des marchés de services écosystémiques et de “financements innovants” gagés sur ces services. C’est pourquoi, à la marchandisation des ressources, déjà ancienne, s’ajoute leur financiarisation.
Ces amendements illustrent la mobilisation de l’Union européenne pour mettre l’“économie verte” au sommet de l’agenda de Rio + 20. Cette économie verte prend acte de la dégradation de la planète et l’épuisement de la Terre viendrait de l’absence d’une évaluation économique de la nature, d’une information défaillante : les prix, censés orienter les comportements vers un équilibre, sont incomplets car les services rendus par la nature ne sont pas comptabilisés. Avec cette économie verte, il ne s’agit plus simplement de puiser dans le stock des ressources naturelles et de les intégrer au cycle de la production, mais de considérer la nature comme partie du cycle de la production. C’est bien plus qu’un verdissement du capitalisme ! »
Si l’on y ajoute les « nouvelles approches de marché pour lutter contre la pauvreté », vulgarisées par la revue Facts Reports sponsorisée par la Fondation Veolia, on mesurera combien ce nouveau capitalisme vert a tiré les enseignements de la période...
Reste qu’on ne saurait trop inciter les militants sincères du « Droit à l’eau » à la circonspection.
Car ce concept, instrumentalisé de longue date par Veolia et Suez, est aussi devenu un véritable cheval de Troie pour les tenants de la marchandisation des services hydriques, comme on s’en convaincra sans peine en prenant connaissance d’une « Note à usage interne » élaborée en mai 2011 par le pôle études, veille & argumentaires de la direction de la communication de Veolia Environnement, qui y décrit par le menu tous les avantages qu’un opérateur privé peut attendre d’une maligne promotion du « Droit à l’eau »…
Droit à l’eau et droit de l’eau
Ces débats revêtent donc désormais une nouvelle dimension, comme en ont témoigné les passionnants échanges intervenus au FAME, qui visaient à imaginer la création de nouveaux outils juridiques destinés, non seulement à promouvoir le « droit à l’eau » de celles et ceux qui en sont démunis, mais aussi à inventer les dispositifs et procédures qui permettraient tout autant de pénaliser les usages irrationnels de l’eau.
Des réflexions proches de celles déjà engagées par ailleurs relatives à l’institution d’un nouveau Tribunal international en charge des « crimes écologiques »…
Une initiative citoyenne européenne
Dans le prolongement du référendum organisé l’an dernier en Italie, qui a permis d’y stopper la libéralisation des services hydriques, la Fédération syndicale européenne des services publics (FSESP) annonçait pour sa part le 22 mars 2012, lors de la Journée mondiale de l’eau, le lancement de l’Initiative citoyenne européenne (ICE), « L’eau est un droit humain, pas une marchandise », et l’ouverture du site web www.right2water.eu, l’un des outils qui permettra de recueillir les signatures nécessaires au succès de l’opération (1).
Cette initiative a été présentée à la Commission européenne le 2 avril. La Commission dispose d’un délai de deux mois pour la valider. Ensuite, l’enregistrement officiel des signatures pourra démarrer et ses initiateurs disposeront d’un an pour collecter le million de signatures requises.
Par ce biais, la FSESP et plusieurs organisations de la société civile à travers l’Europe vont faire campagne pour la reconnaissance de l’eau comme un droit fondamental dans l’Union.
Pour Mme Carola Fischbach-Pyttel, secrétaire générale de la FSESP, « l’accès à l’eau est un droit humain. Les services publics comme l’eau et l’assainissement ne doivent pas être libéralisés et dominés par les intérêts commerciaux et d’entreprise. Une initiative citoyenne couronnée de succès exprimera à la Commission et aux gouvernements que les citoyens veulent une Europe sociale et rejettent une Europe dominée par les entreprises ».