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Imaginer une autre politique de défense

On sait que la politique étrangère, ainsi que son interface – la politique de défense – n’ont pas été des thèmes importants de la campagne présidentielle en France. Dès le 18 mai, le nouvel élu devra pourtant se rendre à Camp David pour un sommet du G8, suivi d’un sommet de l’OTAN à Chicago les 20 et 21 mai – le tout sous la houlette de Barack Obama : il faudra qu’il ait quelque chose à dire sur le calendrier de retrait de ses troupes d’Afghanistan, et sur la participation (ou non) de la France au projet américain de bouclier anti-missile (qui s’annonce coûteuse, et vient contrarier le système français de dissuasion nucléaire).

par Philippe Leymarie, 4 mai 2012

Le face-à-face télévisé de mercredi soir n’a évoqué les questions de défense que lorsqu’il a été question de la sortie des troupes françaises d’Afghanistan, à la toute fin du débat, et assez rapidement. « Progressivement nous nous désengageons, mais en bon ordre. Partir en 2012, c’est techniquement impossible. Ce serait un parjure pour nos partenaires, nos alliés qui comptent partir fin 2013 », a soutenu Nicolas Sarkozy. « En 2014, les Américains ne se retirent que partiellement, a répliqué François Hollande : donc, vous partiriez sans eux ». « Non, c’est en accord avec eux, a répondu Sarkozy : nous avons demandé à l’OTAN de prévoir une totale prise en charge des missions par l’armée afghane durant l’année 2013 ».

« Il n’y a aucune raison de maintenir nos troupes au delà de 2012. Cette décision sera conforme à nos principes », a repris Hollande. : « On ne partira pas tant que nos engagements ne sont pas terminés », a répété Sarkozy, en précisant qu’une région doit encore être libérée. Et c’est tout, à part deux phrases pour se déclarer d’accord pour ne pas parler des otages dans le Sahel, et un propos convenu pour affirmer qu’il faudrait pouvoir aider le Mali et l’Algérie à rétablir un peu de sécurité dans cette région…

Mais, sur un plan plus global, et hormis cette querelle sur le calendrier afghan (qui se joue sur quelques mois seulement…), les différences entre les deux candidats sont bien minces. Pour Sarkozy, selon le tableau comparatif des intentions des candidats qu’a dressé Le Monde (26 avril 2012), il faut surtout se référer au programme de l’UMP, faute de déclarations du candidat :

 Fonds d’investissement pour les industries des « entreprises de souveraineté » au delà du périmètre de la défense.
 Renforcement du lien armée-nation.
 Donner plus de place à la reconnaissance de l’engagement militaire (programme de l’UMP).

Ce comparatif souligne, côté Hollande, la volonté de conserver les forces nucléaires, de mutualiser à l’échelle européenne des moyens nationaux existants, et de favoriser une programmation collective des équipements futurs, toujours à l’échelle de l’Union.

La défense n’est pas citée par le candidat socialiste comme un de ses secteurs prioritaires – l’éducation, la justice, la police et la gendarmerie –, des secteurs dont les effectifs et budgets ne seront pas amputés, et même au contraire renforcés. La déflation des effectifs militaires, engagée depuis 2009 dans le cadre de l’actuelle Loi de programmation (LPM), va donc se poursuivre au moins jusqu’en 2014, et les crédits de la défense seront amputés au même titre et dans la même proportion que ceux des autres ministères, alors que – côté Sarkozy – on considère que ces crédits doivent rester sanctuarisés.

Enjeux 2012

Nous avions, dans ce blog, rendu compte en détail du « grand discours sur la politique de défense » du candidat socialiste, prononcé dimanche 11 mars devant un parterre d’« éléphants » – une allocution plutôt décevante : « La petite forme du soldat Hollande ». Et exposé les intentions (plus revigorantes) de certains membres de son entourage à propos d’une possible réforme du renseignement : « Services secrets à la mode socialiste ». C’est un des domaines dans lesquels la gauche n’est pas naturellement à l’aise ; l’entreprise n’en est que plus louable.

En prélude aux échéances politiques actuelles, nous avions également développé ces derniers mois une série de thèmes qui auraient pu sous-tendre une politique de défense différente, voire franchement alternative – tout en ne se faisant pas l’illusion sur les marges et possibilités réelles d’évolution dans ce domaine.

Avec une série sur les « enjeux 2012 » en matière de défense :

 « Gérard Longuet dans le texte »,
 « Stratégie militaire : les potions du docteur Heisbourg »,
 « Dans le feu des engagements »,
 « Le boute-feu français »,
 « Dissuasion à la française »

Et une autre axée sur le lien armée-nation :

 « Le “Bigeard des banlieues” (1) »,
 « La nation et son armée (2) »,
 « L’école à la rescousse ? (3) »,
 « Le sang de la nation (4) »

A la même heure

A l’heure du grand débat télévisé, mercredi soir, « l’alter-gouvernement » (1) monté par les éditions Le Muscadier était réuni au théâtre du Grand Parquet, dans le 18ème arrondissement de Paris. Chacun avait à choisir dans son programme une ou deux mesures témoignant d’un changement réel de politique.

Partant du principe – qui est une des raisons d’être de ce blog – qu’il importe de mieux connaître et comprendre ce monde de la défense si on veut que le citoyen ait son mot à dire, et compte tenu aussi du cadre de ce rassemblement joyeux, type « démocratie directe », et dans un lieu culturel, nous avions proposé en tant qu’alter-ministre de la défense, et au milieu de quelques huées, deux types de mesures pouvant favoriser ces retrouvailles entre la société française et les armées.

D’abord, la création d’une filière « forces de paix », en ces temps de multiples engagements militaires internationaux que nous remettons en cause dans cet alter-gouvernement, de même que nous contestons certaines des alliances, le format des armées, leurs équipements, et que nous souhaitons recentrer une partie de l’activité de nos armées sur la défense du territoire, sur la protection d’une Union européenne rénovée, et sur des missions de paix et de sécurité effectuées sous l’égide des Nations Unies, en liaison étroite avec les organisations régionales et continentales.

Cette filière « forces de paix » au sein des troupes françaises serait spécialisée dans le maintien de la paix et l’interposition (type casques bleus), dans l’action multinationale, la reconstruction post-conflit, etc. ; elle serait intégrée transversalement dans les trois armées – terre, air et mer – et dans la gendarmerie. On y détacherait par exemple des éléments de la gendarmerie mobile, on y consacrerait des cycles d’enseignement spécialisés dans les écoles militaires, on enverrait des formateurs à l’étranger au titre de la coopération, valorisant ainsi un savoir-faire unique, comme par exemple celui des troupes de marine, de la Légion étrangère, etc.

Esprit de défense

La seconde série de mesures vise à revenir à un « esprit de défense » apaisé, décomplexé, dans une optique dépassant le monde des aficionados, des fana-mili, des anciens combattants, de sorte que l’ensemble des sensibilités politiques et culturelles du pays se sente appartenir naturellement à une communauté de défense qui ne soit pas perçue comme un repoussoir.

Dans ce but, on pourrait, par exemple :

 introduire plus de transparence dans des corps encore trop fermés à la communication (comme la gendarmerie nationale, la sécurité civile, les sapeurs-pompiers, qui n’ont pas l’excuse d’une obligation de discrétion stratégique) ;
 faire évoluer, en y prenant bien sûr le temps et la manière, le climat au sein des écoles militaires et des régiments – un climat souvent trop marqué par des traditions et une idéologie assez rétro, et en tout cas particulières, unilatérales, etc. ;
 revoir les modalités d’attribution des avancements et décorations ;
 s’interroger également sur la signification de certaines cérémonies (le 14-Juillet, par exemple, doit-il se limiter à des défilés martiaux ?), le dépoussiérage des lieux et rituels de mémoire, ou la justification des privilèges accordés à certains cercles d’anciens, de partenaires, d’accrédités, etc.
 réfléchir à une meilleure utilisation du potentiel de la Journée défense et citoyenneté (ex-JAPD), en connexion avec les sites Internet, avec des témoignages de soldats (sur leurs métiers, sur leurs cas de conscience, etc.), d’anciens combattants, mais aussi de pacifistes ;
 dans cette même optique, l’intéressant travail de mémoire de l’Etablissement de communication et de production audiovisuelle de la défense (ECPAD) pourrait être mieux valorisé ;
 de nouvelles salles du musée de l’Armée, à l’Hôtel national des Invalides à Paris, pourraient être consacrées au rôle des armées dans la colonisation et la lutte anti-insurrectionnelle, en y exposant les spécificités de ces moments de notre histoire (comme les unités méharistes, la médecine militaire, le rôle bâtisseur du génie, etc.) et leurs faits marquants, y compris les épisodes douloureux (coercition, torture, supplétifs, rafles et ratonnades, etc.)

Cette mise en lumière contribuerait à tourner la page sur un passé qui n’est toujours pas entièrement digéré par la nation française dans son ensemble, souvent par le simple fait du secret, de la non-reconnaissance et de l’ignorance où ont été laissées les nouvelles générations.

Au Grand Parquet, mercredi soir, alors que le débat Sarkozy-Hollande battait son plein, l’alter-ministre du logement se proposait de mettre la main sur une partie des casernes de la défense, ou sur les terrains du « Balardgone » – le Pentagone français en cours de construction à Paris. L’alter-ministre des affaires étrangères, heureusement absente, n’avait pu cette fois faire pression à nouveau pour que l’armée de l’air sacrifie une tranche de ses Rafale. Dans la salle, on exposait sa méfiance à l’égard des militaires professionnels, on s’inquiétait de ce que « le peuple soit désarmé », etc. On refaisait le monde, et on rasait plus gratis que jamais !

Philippe Leymarie

(1Alter gouvernement : 18 ministres-citoyens pour une réelle alternative, Le Muscadier, Paris, 2012.

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