En gagnant l’élection présidentielle par 51,62 % des suffrages exprimés contre 48,38 % au président sortant, François Hollande a réalisé le pronostic à peu près invariable des sondages depuis plusieurs mois. A une différence près : les écarts des intentions de vote étaient bien plus importants que l’écart réel. N’annonçaient-ils pas des rapports de 58/42, 56/44 et, après le premier tour, 54/46 ? Sans doute, aucun spécialiste n’avait cru que l’écart serait si important. Il a été plus réduit encore. Il faut accorder aux derniers sondages effectués d’avoir repéré un resserrement sans qu’on sache bien si celui-ci était réel ou s’il s’agissait de prendre ses désirs pour la réalité. Cette fois, c’était vrai. Faut-il s’en tenir là et invoquer avec les sondeurs l’indécision tardive d’une partie des électeurs ou le rapport droite-gauche favorable à la première ?
Si l’on examine la distribution des votes, il faut bien constater que le clivage droite-gauche est bien respecté sinon accentué, avec des régions de droite entièrement bleues sur les cartes électorales et des régions de gauche complètement rouges, des zones rurales contre des zones urbaines, les quartiers bourgeois contre les quartiers populaires et des classes moyennes (à Paris, la distribution des votes selon les arrondissements est particulièrement éloquente), des catégories sociales de professions indépendantes (agriculteurs, commerçants, artisans, entrepreneurs) votant très largement à droite, et surtout les personnes âgées. Peut-être le principal handicap de la droite sarkozienne : comment peut-on prétendre réformer une société en s’appuyant d’abord sur l’électorat âgé ? Enfin, un phénomène nouveau, la progression du vote de droite dans la classe d’âge la plus jeune — en tout cas pour les jeunes de 18-24 ans qui votent, car c’est aussi la classe d’âge où existe le plus fort taux d’abstention et de non inscription.
Le fait est que le score du président sortant lui a évité l’humiliation que beaucoup de gens de son camp craignaient. Il a en somme limité les dégâts (chiffrés). Les élections législatives sont moins mal engagées mais n’en tourneront peut-être pas forcément bien (ou pas trop mal), tant les choses sont compliquées dans des confrontations à trois candidats (voire plus) au second tour. Le fait est aussi que l’échec du président sortant paraît modéré au regard de son bilan, particulièrement catastrophique. Une autocratie narcissique, une politique brouillonne, une crise non anticipée, et mal gérée, un délitement progressif des équipes perceptible longtemps avant l’échéance, un manque pathétique d’idées, l’énumération est accablante (1). Et malgré cela, un échec électoral limité. Le champion de son camp réputé pour son énergie a même paru en panne, surclassé dans un débat télévisé par son challenger, même si cette infériorité ne saurait apparaître à des partisans, convaincus par avance que leur champion a gagné.
En somme, l’écart moins ample qu’annoncé aurait remis les choses à leur place. La victoire modérée d’un candidat de gauche dans un pays plutôt à droite, que pouvait espérer de mieux François Hollande ? On a vu toute l’ambivalence d’une situation où le prétendant était à la fois aidé par le fiasco du président sortant mais défavorisé par la crainte du pire : bilan contre peur. Les commentateurs ne manqueront pas d’attribuer le résultat aux hommes : en caricaturant à peine, la bonne campagne du vainqueur et la mauvaise campagne du vaincu. Pourtant, s’il faut évidemment gratifier le vainqueur de sa victoire, il n’est pas parvenu, par un effet de « bandwagon », à obtenir un score fleuve ; s’il faut constater l’impuissance du sortant à gagner, il faut aussi constater qu’il a limité les dégâts. Les stratégies des candidats n’y sont-elles pour rien ? Autant que l’on puisse en juger en se fondant sur les reports des voix mesurés par des sondages en ligne de jour du vote, le resserrement de l’écart est dû à l’inégalité des reports de votes. D’un côté, les électeurs ayant choisi Marine Le Pen au premier tour ont plus massivement voté qu’annoncé en faveur de Nicolas Sarkozy (51 %, contre 44 % annoncés), alors que, à l’inverse, les électeurs de Jean-Luc Mélenchon ne se sont pas autant portés que les sondages l’avaient annoncé en faveur de François Hollande (81 %). Quant aux électeurs de François Bayrou, ils se sont surtout portés vers le candidat de droite (41 %), malgré le vote personnel de leur candidat. En somme, les reports de voix ont favorisé Nicolas Sarkozy plus que François Hollande. Sanctionnant ainsi les stratégies commandées par les positions respectives à l’issue du premier tour. Une radicalisation à droite de Nicolas Sarkozy lui a amené le ralliement de plus d’électeurs du FN que prévu, sans apeurer les électeurs du centre, décidément plutôt à droite. En revanche, le favori, tout à une stratégie rassembleuse de second tour, a un peu perdu sur sa gauche. Tel est le rapport des stratégies aux clivages politiques établis, et en même temps évolutifs puisqu’on peut lire ici les effets de la radicalisation de la politique française avec un clivage droite-gauche plus profond, une radicalisation dans les deux camps mais dominante à droite qui porte des inquiétudes graves. En termes techniques, il est probable — prudence nécessaire quand l’histoire interdit la méthode expérimentale — que la stratégie droitière de Patrick Buisson a permis à Nicolas Sarkozy de limiter la défaite — et pas de l’emporter — mais inquiétant quand cette stratégie n’est finalement qu’un ralliement à une extrême droite raciste et autoritaire, aujourd’hui plus ancrée idéologiquement que simplement protestataire. La référence à Vichy n’était pas arbitraire. Cinq ans pour infléchir le mouvement, cela serait déjà un beau résultat. Une affaire d’économie d’abord, pour faire reculer le chômage, notamment des jeunes ; une affaire d’idées aussi, pour sortir de la pensée dominante.