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L’Europe prône une meilleure gestion de l’eau

Alors que « l’horizon 2015 », inséparable de la mise en œuvre de la Directive-cadre européenne (DCE) sur l’eau, s’estompe irrévocablement, puisque les objectifs d’une reconquête de la qualité des milieux aquatiques ne seront bien évidemment pas atteints, l’Europe continue de se préoccuper de la gestion de l’eau. Les grandes manœuvres autour du « Blueprint » préfigurent l’après-DCE, la révision de la directive eau potable n’en finit plus de susciter des remous au vu de ses enjeux techniques et financiers, les eurodéputés poussent un cri d’alarme, l’Agence européenne de l’environnement prône l’adoption de nouvelles lignes directrices… Dans le même temps, Corporate Europe observatory, ONG basée à Bruxelles, souligne dans un rapport publié en mars dernier que le lobby agroindustriel menace les financements pour l’agriculture durable, ce qui aura bien évidemment une incidence sur la révision de la PAC, et donc sur des pratiques agricoles déterminantes pour la qualité des ressources en eau. Autant d’éléments à prendre en compte pour imaginer les contours du « plan de sauvegarde des eaux européennes » que la Commission doit publier en novembre prochain.

par Marc Laimé, 13 septembre 2012

Le Parlement européen a adopté le 3 juillet dernier une « résolution non contraignante », appelant à préserver les ressources en eau. L’eau « est un bien commun de l’humanité et un bien public. L’accès à l’eau devrait être un droit fondamental et universel », affirme le texte élaboré par l’eurodéputé autrichien Richard Seeber (groupe PPE). Les eurodéputés érigent en priorité la réduction de la consommation d’eau. Ils insistent sur la nécessité de réaliser un audit du réseau européen car, selon eux, « jusqu’à 70 % de l’eau qui approvisionne les villes européennes peuvent être perdus dans les fuites du réseau » et soulignent le besoin d’« encourager les investissements d’infrastructure ». Ils ajoutent que « dans l’Union européenne, les pertes dues à l’inefficacité atteignent 20 % environ ».


La résolution invite la Commission et les Etats membres à utiliser des systèmes de tarification qui appliquent les principes du « pollueur-payeur » et de l’« utilisateur payeur ». Et ajoute que les questions sociales devraient être prises en considération dans la fixation des tarifs. Elle appelle aussi à revoir les subventions préjudiciables pour l’eau. L’octroi de fonds européens au secteur de l’eau et aux activités intensives en eau devrait ainsi dépendre des plans de gestion mis en place, affirment les eurodéputés. Selon eux, « une politique judicieuse sur le plan environnemental et économique dans les domaines de l’assainissement des eaux et de la gestion des eaux résiduaires devrait combattre la pollution à la source et inciter à utiliser davantage les eaux usées ».

Ils voudraient également rendre obligatoire le comptage de l’utilisation de l’eau dans tous les secteurs, et pour tous les utilisateurs, et généraliser le pavillon bleu (1) à l’ensemble des zones de baignade en Europe, rivières et lacs compris.
 Enfin, les eurodéputés pointent les « risques considérables » posés par la prospection et l’extraction de gaz de schiste pour les eaux de surface et les eaux souterraines, et demandent à la Commission européenne de faire en sorte que ces activités soient précédées d’une évaluation des incidences sur l’environnement. Cette résolution du Parlement contribue au « plan de sauvegarde des eaux européennes » que la Commission doit publier en novembre prochain.

L’Agence européenne de l’environnement veut rationaliser la gestion de l’eau

Le rapport rendu public par l’AEE en mars dernier souligne que les différentes pressions sur l’eau combinées au changement climatique imposent une gestion intégrée et plus rationnelle de la ressource. L’Europe semble comparativement mieux pourvue en eau que d’autres régions du monde, mais la pollution, le réchauffement climatique et la demande croissante des populations constituent un problème croissant pour différents pays membres, selon le rapport. « L’agriculture, la production énergétique, le secteur industriel, les réseaux publics d’approvisionnement en eau et les écosystèmes constituent tous des éléments importants, aujourd’hui en concurrence pour cette ressource limitée, souligne Mme Jacqueline McGlade directrice exécutive de l’AEE. Le changement climatique rend moins prévisible la disponibilité de nos ressources en eau ; il est donc extrêmement important que l’Europe les utilise de manière plus rationnelle, au profit de tous les utilisateurs et consommateurs ».

Selon les pays, l’agriculture absorbe entre 33 et 80 % de l’utilisation totale de l’eau. Avec un système basé sur l’irrigation, le sud de la France, la Grèce, l’Italie, le Portugal, l’Espagne et Chypre comptent parmi les plus gros consommateurs. Pour l’essentiel, cette eau s’avère détournée du milieu naturel. Du fait de l’évapotranspiration et de la consommation des plantes, 70 % de la ressource ne retournera en effet pas dans les sols. Le réseau d’eau potable représente pour sa part environ un cinquième de la consommation d’eau en Europe. Si les performances de l’électroménager ont progressé ces dernières années, les chasses d’eau constituent toujours un poste important : elles pèsent entre 25 et 30 % sur la consommation d’eau domestique. Autre élément perturbateur : les barrages hydroélectriques qui modifient les débits des cours d’eau et impactent les systèmes naturels.

Pour parvenir à une meilleure gestion de l’eau, l’AEE préconise de s’appuyer à la fois sur des mesures économiques et législatives, des innovations techniques et des outils normatifs. Ainsi, pour l’agence, le prix de l’eau devrait prendre en compte le coût d’approvisionnement ainsi que celui supporté par l’environnement pour son exploitation. Des objectifs environnementaux en fonction de la durabilité de la ressource devraient également être définis. Concernant le secteur agricole, l’AEE considère qu’une des mesures les plus importantes serait de changer les tuyaux (55 % d’amélioration de l’efficacité) et les systèmes d’arrosage (75 %). Elle recommande d’orienter les cultures agricoles vers des plantations moins gourmandes en eau et, pour éviter la concurrence avec la ressource en eau potable, conseille l’utilisation des eaux usées épurées.

Particuliers, bâtiments publics, entreprises et industries, la diversité des consommateurs impose le recours à une large palette d’outils de réduction de la consommation : suivi de celle-ci, recyclage, récupération de l’eau de pluie, réduction des fuites dans les réseaux de distribution, etc. Ce dernier point n’est pas négligeable : l’AEE estime que jusqu’à 50 % des ressources en eau potable sont ainsi perdues dans certains États membres.

Le lobby agroindustriel menace les financements pour l’agriculture durable

L’avenir de la recherche agricole financée par la PAC et Horizon 2020 est menacé, selon une nouvelle analyse de Corporate Europe Observatory publiée le 26 juin 2012. Ce rapport (« Agribusiness CAPturing EU research money ? », en anglais) fait le constat que des recherches absolument nécessaires pour l’avenir de l’agriculture en Europe risquent d’être laissées de côté, et ce malgré les déclarations agro-environnementales du Commissaire européen pour l’agriculture Dacian Ciolos, en raison des pressions opérées par le lobby agroindustriel qui comprend notamment les industries agro-alimentaires, des biotechnologies et des pesticides.

Les lobbyistes de l’agroindustrie – quatre fois plus nombreux que leurs opposants selon les chiffres du registre européen pour la transparence (2) – font tout ce qu’ils peuvent pour que les 4.5 milliards d’euros du budget pour la recherche agricole soient alloués à des approches basées sur la « bioéconomie », qui utilise les plantes comme matière première non seulement pour produire de la nourriture mais également de l’énergie, des plastiques, du textile... sans remettre en cause le modèle agro-industriel lui-même (3).

Le rapport montre que le lobby de l’agrobusiness bénéficie de davantage de ressources ainsi que d’un meilleur accès aux décideurs de la Commission et du Parlement européens, ce qui leur permet de dominer les discussions portant sur l’avenir de l’agriculture. Les décisions finales sur la PAC et Horizon 2020, les deux textes qui détermineront l’avenir du budget pour la recherche agricole, sont attendues pour fin 2012-début 2013.

Martin Pigeon, chercheur à Corporate Europe Observatory, affirme : « l’agroindustrie est sur le point de se tailler la part du lion du budget de l’UE pour la recherche agricole, et ce à un moment où une intervention publique est vitale pour développer les approches alternatives qui existent et stopper la destruction des écosystèmes européens. Les propositions de financement de la recherche agricole telles que formulées actuellement par l’UE vont au contraire accroître les montants alloués au big business, malgré les dégâts causés à l’environnement par ces entreprises et les coûts que cela implique pour la société dans son ensemble. Cette capture des fonds de recherche par les grandes entreprises doit cesser. »

Une Europe de l’eau très libérale

La publication en rafale de différents rapports proposant peu ou prou des lignes directrices voisines ne doit rien au hasard, tant les lobbies qui structurent la politique européenne de l’eau sont fortement implantés au sein de toutes les instances décisionnelles de l’UE.

Dernier exemple en date,la composition du « Steering Group of the European Innovation Partnership of Water » (PDF) que vient de mettre en place la DG Environnement. Ce partenariat européen pour l’innovation dans le domaine de l’eau, qui doit adopter un Plan stratégique avant la fin de l’année 2012, compte notamment parmi ses membres des représentants de la Banque européenne d’investissement, d’un Fonds de private equity spécialisé dans le climat, de General Electric, de Suez, de l’International Water Association, toute acquise aux partenariats public-privé, de l’OCDE… On notera que la France y est donc représentée par le seul vice-président exécutif de Suez Environnement, à l’exclusion de toute présence du gouvernement français.

Marc Laimé

(1« Ecolabel à forte connotation touristique (…) qui distingue les communes et ports de plaisance français qui mènent une politique de recherche et d’application durable en faveur d’un environnement de qualité », selon Wikipedia.

(2Les données du registre européen pour la transparence ne peuvent être considérées que comme une indication du nombre de lobbyistes actifs sur la PAC dans la mesure où le registre est facultatif : tous n’y sont pas inscrits. De plus, de nombreuses déclarations de dépenses de lobbying dans ce registre sont vraisemblablement sous-évaluées ; il est donc possible que les lobbyistes de l’agroindustrie soient plus nombreux et disposent de davantage de ressources encore que ce qui est indiqué ici.

(3Le programme-cadre de recherche Horizon 2020 prévoit de nombreuses autres possibilités de financement pour les initiatives liées à la « bioéconomie », et pour l’industrie des biotechnologies en particulier.

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