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La France dans la guerre du Sahel

Laurent Fabius, le grand « facilitateur »

Le compte à rebours a commencé. La France tient son nouveau hochet d’intervention, dans un conflit à sa mesure, au sein de son ex-« pré-carré » africain – qui, du coup, le redevient – mais où elle n’apparaîtra pas en première ligne : grandeurs et servitude du « facilitateur », pour reprendre le mot du nouveau chef de guerre à la française, le terrible Laurent Fabius. Dans ce conflit, comme à propos de la Syrie, et avant celle-ci de la Libye, le ministre des affaires étrangères a tendance à chausser les basques de l’inénarrable Bernard-Henri Lévy. Quant à l’armée française, elle n’est donc pas vouée entièrement à la « betteravisation » qui la guette depuis la décision d’évacuer l’Afghanistan : il y a aura, avec cette équipée dans les sables sahéliens, un peu de grain à moudre, d’armes à manier et de crédits à consommer...

par Philippe Leymarie, 25 septembre 2012

Après huit mois, l’actuel pouvoir malien a donc sauté le pas, acceptant de demander officiellement l’aide militaire des pays de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’ouest (CEDEAO) et le feu vert du Conseil de sécurité des Nations unies pour la reconquête du nord du pays. Cette zone est actuellement dominée par les mouvements djihadistes d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) et du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO), et par les indépendantistes touaregs d’Ansar Dine et du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA). Les plus radicaux rêvent d’en faire un « Sahelistan » – pour reprendre à nouveau l’une des fines trouvailles sémantiques de Laurent Fabius.

Frères ou étrangers

L’accord passé dimanche dernier entre le gouvernement malien et la CEDEAO – qui demande encore à être couché « au propre » – prévoit que :

 les cinq bataillons promis par la CEDEAO (3 300 hommes), constitués par des contingents nigérian, burkinabe et ivoirien, notamment, seront déployés « en appui de l’armée malienne, sur le terrain au nord », mais n’auront pas à assurer la sécurité au sud du pays ;
 ces troupes de pays-frères ne peuvent être considérées comme des « soldats étrangers », non-africains, dont la présence visible n’est toujours pas souhaitée ;
 le commandement et les services de cette force d’intervention seront basés à Bamako ou dans sa périphérie, par commodité pratique : la partie malienne a proposé l’usage de la base de Koulikoro (située à 60 km du centre) ;
 la sécurité de la Mission de la CEDEAO au Mali (MICEMA) sera assurée par une équipe mixte de 140 policiers et gendarmes ;
 le « matériel militaire aérien » sera fourni par le Nigeria (le poids lourd économique et militaire de la région), ainsi que par la France ou d’autres partenaires ;
 des techniciens et formateurs vont entraîner l’armée malienne aux opérations de déminage, d’enquête, etc. ;
 il faudra compter « près de deux mois » pour la mise en œuvre de cette force ouest-africaine… (1)

Grande inconnue

L’accord n’épilogue pas, évidemment, sur ce nouveau délai, dans une guerre qui se déclenche visiblement bien tard, les mouvements islamistes ayant eu tout le loisir d’occuper l’ensemble des positions stratégiques au nord du Mali. Pas plus que sur la réelle compétence des unités des armées ouest-africaines sur des guerres de désert, de « rezzous » à la tchadienne (2) Ni sur le niveau de motivation des troupes maliennes, qui reste une grande inconnue, et ne rassure pas forcément sur l’issue de ce conflit.

Ou encore sur le rôle de l’Algérie, qui avait chassé AQMI vers le Mali, et reste officiellement opposée à toute ingérence étrangère en Afrique, et encore plus chez ses voisins ommédiats : elle est « sur la corde raide », écrit par exemple le quotidien Les Dernières Nouvelles d’Algérie, d’autant plus qu’un groupe de cette nébuleuse intégriste, le MUJAO, détient encore des otages algériens et menace Alger d’attentats terroristes.

Dans les marécages

Côté français, l’équation n’est pas simple non plus : AQMI a promis, le 20 septembre dernier, qu’une « invasion » du Nord-Mali avec le soutien français « n’aura pas seulement pour conséquence la mort des otages (les quatre hommes enlevés à Arlit, au Niger), mais noiera la France toute entière dans les marécages de l’Azawad (la zone touareg du nord-Mali), ce qui aura pour conséquence pour elle et pour son peuple davantage de malheurs et de drames ».

Mais il y a également le danger de se faire traiter de « colonialiste » par une partie de l’opinion africaine, ce qui est encore moins agréable – en théorie – pour un gouvernement de gauche. Un danger auquel la France croit pouvoir échapper en prônant une action de « facilitateur » et non pas d’acteur, avec la difficulté qu’il y aura en outre à faire la part des deux rôles ; ou en promettant qu’il n’y aura pas de troupes « au sol », alors que – de notoriété publique – il y a déjà des unités de forces spéciales à l’œuvre en Mauritanie, au Burkina, au Niger – et cela depuis plusieurs mois, sous le nom d’opération « Sabre ».

Implication « par derrière »

Le soutien logistique – qui passera non seulement par le transport des troupes, mais aussi la fourniture d’armes, de renseignements, voire par un parapluie aérien de style offensif en cas de besoin – ne risque pas de passer inaperçu, de même que les transferts de troupes depuis les bases françaises de N’Djamena, Libreville ou Djibouti.

Reste que cette initiative de l’ancienne puissance coloniale française de leadership from behind (comme disaient les Américains à propos de leur implication « à distance » lors de l’opération de 2011 en Libye) pourra servir éventuellement de dérivatif politique : de quoi faire oublier la difficulté pour Paris à se faire les dents sur les conflits en Syrie et en Iran, ou même à convaincre l’opinion dans l’Hexagone d’ « avaler » les hausses d’impôts et les limitations du pacte budgétaire européen…

Philippe Leymarie

(1Selon certains spécialistes, la fourchette serait plutôt entre 3 et 6 mois ...

(2Mais sans les militaires tchadiens, justement, trop occupés chez eux. Les Sénégalais ont également décliné l’invitation ...

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