Le Figaro (24 octobre) nous l’apprend : « L’image de l’islam se dégrade fortement en France »
« "Notre sondage, explique Jérôme Fourquet, directeur du département opinion de l’Ifop, démontre une évolution qui va dans le sens d’un durcissement supplémentaire des Français vis-à-vis de cette religion et d’une perception négative renforcée de l’islam. Même si une proportion non négligeable de Français, 40 %, continue à se dire indifférente à la question de la présence de l’islam en France." »
« Ce qui explique, à ses yeux, un tel durcissement — 43 % des sondés considèrent l’islam comme une "menace" — est lié à une "visibilité" fortement accrue de l’islam sur la scène publique et médiatique. "Ces dernières années, il n’est pas une semaine sans que l’islam, pour des questions sociétales, voile, nourriture halal, ou pour une actualité dramatique, attentats, ou géopolitique, n’ait été au cœur de l’actualité." D’où cette autre impression : 60 % pensent que cette religion a désormais "trop d’importance". Ils étaient 55 % il y a seulement deux ans. Ceux qui se disaient indifférents à cette question passent de 41 à 35 %. »
Il n’est pas une semaine sans... La vraie question est là : qu’est-ce qui fait que, en France, avec ses millions de chômeurs, son école et son système de santé en péril, sa crise économique sans précédent, l’islam occupe une telle place « au cœur de l’actualité » ? Et pourquoi jette-t-on sans arrêt de l’huile sur le feu ?
Déjà, en octobre 2006, dans un envoi sur ce blog consacré à l’affaire Redeker et intitulé « Peut-on encore critiquer l’islam ? », j’écrivais :
« Car la vraie question est là. Pourquoi certains journalistes, certains éditeurs, certains intellectuels se plaisent-ils à jeter de l’huile sur le feu ? Pourquoi l’incompétence est-elle une clef pour pouvoir publier des pamphlets approximatifs, non étayés, schématiques ? Les exemples sont multiples de ces nouveaux spécialistes de l’islam intronisés par les médias. On pourrait citer, parmi d’autres, Caroline Fourest ou Mohamed Sifaoui, dont les travaux d’"enquête" sont à la vérité, pour reprendre une formule du chanteur Renaud, "ce que le diable est au bon dieu". Il suffit de se promener dans n’importe quelle librairie pour mesurer le nombre de livres consacrés aux musulmans ou à l’islam. La grande majorité sont très critiques (ce qui est parfois tout à fait légitime, quand cette critique s’appuie sur un vrai savoir). »
« Le débat autour de l’islam est-il impossible ? inutile ? nuisible ? Sûrement pas. De nombreuses questions se posent sur l’islam, le monde dit musulman, à condition de toujours utiliser le "pluriel" : les musulmans sont au nombre de plus de 1 milliard, ils sont majoritaires dans une soixantaine de pays de plusieurs continents : ils vivent sous des dictatures, des régimes autoritaires, des démocraties ; ils pratiquent leur foi de manière différente et les musulmans ne se réduisent sûrement pas à une foi dont les interprétations sont multiples. » (lire « Musulmans du monde »)
Depuis, les choses ont encore empiré. Au fil de ce blog, en six ans et quelque, on peut constater à quel point cette lancinante « menace musulmane » revient hanter politiques et médias. A tel point que, durant la campagne présidentielle, j’ai pu écrire, « la chasse aux musulmans est ouverte ». Et la campagne de Jean-François Copé, avec son pain au chocolat et ses fantasmes de racisme anti-Blancs, n’est que le dernier signe de cette dérive.
Un aspect peu souligné du sondage — bien qu’il ne dise rien sur les affiliations politiques des personnes — est le fait que l’ampleur de l’hostilité à l’islam indique qu’elle est partagée par l’électorat de gauche. Et il faut insister sur la faillite de la gauche, qu’elle soit modérée ou radicale, à organiser une résistance face à cette islamophobie. C’est d’ailleurs tout l’avantage de l’islamophobie : on ne peut pas être de gauche et raciste, mais on peut très bien être de gauche et islamophobe (que ce soit au nom d’une conception dévoyée de la laïcité, ou d’un universalisme républicain qui sert à masquer les discriminations).
Pour une excellente déconstruction du sondage du Figaro, on lira le texte de Pierre Tévanian, « Pour 100 % des musulmans, les sondages sont plutôt une menace » (Les mots sont importants, 25 octobre 2012), qui écrit notamment : « Il ne s’agit pas non plus de faire des sondeurs les seuls "engraineurs", ni même les principaux. L’effet performatif de la question de la menace n’atteint ici sa pleine efficience que parce que ladite question advient dans un contexte particulier, beaucoup moins anodin que la tombée du jour ou une coupure de courant, et beaucoup plus anxiogène : elle ponctue un flot quotidien et ininterrompu d’invectives politiques, de tribunes injurieuses, d’éditoriaux alarmistes et de faits divers dramatisés qui ont, depuis le 11 septembre 2001, et plus encore ces derniers mois, fait de l’Islam la figure par excellence de la menace. Moyennant quoi les sondés savent inconsciemment, lorsque la question leur est enfin posée, quelle est la bonne réponse — celle qu’il convient d’apporter pour donner à son interlocuteur, aussi bien qu’à soi-même, l’image d’un citoyen responsable, informé, lucide, bref : "averti". »
Il est trop facile de dénoncer la seule extrême droite ou la droite et leurs dérives. En réalité, ces dérives s’appuient sur un discours consensuel que véhiculent aussi bien des radios publiques, comme France Culture ou France Inter, que des journaux comme Le Nouvel Observateur ou les autres magazines. Là, bien sûr, les préjugés sont emballés dans un discours pseudo-laïque ou humaniste, mais alimentent l’idée d’une différence fondamentale entre « eux » et « nous », d’une menace permanente à laquelle notre société serait confrontée (non pas la crise, le chômage, les inégalités, etc., mais bien les Autres)...
La journée du 17 octobre (tout un symbole), sur France Inter, consacrée à l’islamisme radical n’est qu’un exemple, parmi tant d’autres, de l’obsession de la radio publique pour la menace musulmane.
L’éditorial de Thomas Legrand sur « Islamophobie, un mot piège », reprend, une fois de plus, le mensonge de Caroline Fourest : le terme serait apparu en 1979, « quand, juste après le renversement du chah d’Iran, des féministes américaines et des Iraniens opposants de gauche, qui avaient milité pour la révolution et la démocratie, se sont scandalisés des premières décisions sexistes et liberticides du régime de l’ayatollah Khomeini. Ils ont été qualifiés par Téhéran "d’islamophobes". »
Pour ceux qui sont intéressés, on peut renvoyer à l’étude « Towards a defintion of islamophobia : approximations of the early twentieth century » (PDF), de Fernand Bravo Lopez, parue dans Ethnic and Racial Studies (26 novembre 2010), qui revient sur le débat qui a agité la France (entre autres) à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle autour de l’islam. C’est de cette période que date le terme islamophobie, largement utilisé. Ce mot désigne alors, selon l’auteur, « la croyance que l’islam et les musulmans sont les ennemis implacables, absolus, éternels du christianisme, des chrétiens, de l’Europe et des Européens. » Il véhicule une « image de l’ennemi », c’est-à-dire « cette conviction d’un groupe que sa sécurité et ses valeurs de base sont menacés par un autre groupe. » N’assiste-t-on pas au même phénomène aujourd’hui, mais dans un contexte différent ?
Thomas Legrand explique benoîtement que le mot islamophobie, « loin de lutter contre l’amalgame entre les intégristes islamistes et les musulmans, ne fait que l’alimenter puisqu’il met, dans le même sac, la lutte contre l’islamisme radical, le blasphème et le racisme anti-musulman. » Il devrait lire le sondage du Figaro qui montre justement que cette distinction n’a aucune prise dans la réalité des perceptions que lui et sa radio ont largement contribué à créer.
Quel avenir pour la Palestine ?
Université populaire, Samedi 10 novembre, 5/7, rue Basse des Carmes 75005 Paris — Métro : Maubert Mutualité / Bus : 63, 86, 87 — Inscription obligatoire.
Séance 1 (10h30-12h30) : histoire et actualité de Gaza, avec Jean-Pierre Filiu, professeur des universités à Sciences Po (Paris), auteur de Histoire de Gaza (Fayard, 2012).
Séance 2 (14h-16h) : l’économie de la Palestine : acheter la paix ?, avec Julien Salingue, doctorant en sciences politiques à l’Université Paris 8, auteur d’A la recherche de la Palestine : Au-delà du mirage d’Oslo (Editions du Cygne, 2011).
Séance 3 (16h-18h) : la Palestine, la CPI et le droit international, avec Géraud de la Pradelle, juriste international, professeur émérite à l’université Paris X-Nanterre.