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La droite la plus bête du monde

par Alain Garrigou, 20 novembre 2012

Dans une carrière peu brillante quand elle ne fut pas catastrophique, Guy Mollet a au moins laissé un jugement acéré en évoquant « la droite la plus bête du monde ». Il est vrai que c’était sous la IVe République et que la Section française de l’internationale ouvrière (SFIO), qu’il dirigea pendant près de vingt ans, ne fut pas toujours exemplaire. Pourtant au spectacle aujourd’hui offert par la droite française, sa formule assassine retrouve quelques vérités. Les primaires UMP ressemblent à un point d’orgue ; et comme en musique, celui-ci conclut et dure.

Il fallait en effet réussir le pire pour parvenir à un résultat si serré qu’il faille se disputer comme des chiffonniers à l’intérieur du même parti pour savoir qui avait gagné. Chacun clamant qu’il avait gagné avant la proclamation des résultats. Chacun accusant l’autre de tricheries. Certes, les élections internes aux partis cultivent une longue tradition de fraudes. Moins les électeurs sont nombreux, plus la fraude est rationnelle. Mais de là à l’avouer sur les plateaux médiatiques et à s’en servir pour pacifier la polémique... On a donc entendu des dirigeants dire que tout le monde avait triché, les adversaires et donc eux aussi. On a entendu d’autres porte-paroles prétendre malgré tout que c’était un grand moment de démocratie. Les citoyens essaieront de s’y retrouver. Ces derniers sont de plus en plus passés à l’école du réalisme, et ne croient plus guère aux belles convictions altruistes affichées par des candidats dont ils pensent qu’ils s’affrontent pour leur propre profit. Le faire voir si crûment laisse tout de même perplexe. N’y aurait-il plus de capacité à faire rêver, à faire espérer, sans parler d’une capacité à tenir des engagements raisonnables ?

Quand on voit un parti politique dont la presse dit qu’il est orphelin de son précédent leader, Nicolas Sarkozy, candidat vaincu à l’élection présidentielle et qu’il a tant de mal à tourner la page, on peut aussi bien admirer la fidélité que s’inquiéter du fidéisme. Qu’un dirigeant au bilan aussi médiocre, aux talents si limités puisse laisser de la nostalgie renseigne sur les attentes et l’horizon des militants. Si bien qu’un tel imbroglio laisse dubitatif. On peut se réjouir du dévoilement de la médiocrité politique de la droite. On peut s’en inquiéter aussi, tant elle contribue à la vacuité politique générale.

Au moins y avait-il un véritable enjeu dans des primaires opposant un représentant d’une droite gouvernementale et légitimiste, c’est-à-dire s’estimant vouée à exercer le pouvoir d’Etat, et une droite attachée à suivre les mouvements idéologiques et les humeurs. Les sondages étaient de peu d’utilité pour connaître le rapport de forces entre les premiers représentés par l’ancien premier ministre François Fillon, et les seconds représentés par le secrétaire général de l’UMP, Jean-François Copé. Portant sur les sympathisants, moins engagés que les militants, ils ne reposaient pas sur la base électorale concernée. Les primaires écologistes avaient déjà montré le hiatus en 2011 : les militants ont investi une candidate qui n’avait pas la faveur majoritaire des sympathisants. Cela n’empêche pas les sondeurs de continuer.

Or, dans le mouvement de radicalisation de la droite, les militants UMP avaient toutes les chances d’être en pointe en continuant un mouvement d’attraction des soutiens, voire des enthousiasmes pour le candidat Nicolas Sarkozy, notamment à la fin de la campagne présidentielle, au moment où ses propos fleuraient l’extrême droite. Il y a tout lieu de penser que cela l’a empêché de connaître la déroute annoncée, faute de l’emporter. Telle est la stratégie adoptée par Jean-François Copé, qui s’est ainsi posé en héritier de son style et ses propos. Sans connaître les positions relatives avant le scrutin, on peut d’ores et déjà affirmer que l’égalité des suffrages vient attester la pertinence d’une stratégie au travers d’un mauvais indicateur, les sondages sur les sympathisants, qui donnent une allure d’exploit au résultat de Jean-François Copé. Plus sérieusement, l’aplanissement des idéaux vient surtout confirmer une tendance observée depuis longtemps dans la politique française : sa droitisation.

Comment la crise, dont personne ne conteste aujourd’hui la profondeur, n’aurait-elle pas d’effets politiques ? S’il fallait s’étonner, ce serait de les constater si lents. Un aperçu en est sommairement mais concrètement donné par les forums, dont un observateur assidu ne peut manquer de voir combien les prises de parole sont devenues plus violentes, injurieuses et racistes. La radicalisation à droite prend les allures d’une fascisation des esprits. Les dirigeants qui rencontrent les militants sont bien obligés de le constater. Adoptent-ils les positions les plus haineuses ? On peut supposer que l’éthos professionnel du politicien, fait de capacité à l’autocontrôle, les en détourne le plus souvent. Dès lors, ils peuvent chercher à maîtriser les mauvaises pulsions de leurs fidèles, soit selon une posture de responsabilité (« je suis leur chef et donc je les guide »), soit en jouant le rôle de modérateurs, où ils peuvent les approuver voire les flatter, selon un principe de représentation (« je suis leur chef et donc je les suis »). On ne doute pas que la droite de gouvernement croit à son rôle en calmant le jeu. Elle en devient souvent parfaitement ennuyeuse.

En revanche, on peut se demander si les autres dirigeants croient à ce qu’ils disent. On l’avait mesuré aux figures de rhétorique de Nicolas Sarkozy, comme on l’a mesuré aux mêmes figures employées par Jean-François Copé. Sans doute n’est-il aucun dirigeant politique employant plus souvent que lui le mot « courage ». Jean-François Copé a-t-il du courage ? S’il le dit... Si le courage vient à tous propos, n’est-ce pas faute d’idées ? Cette affirmation de la virilité n’est pas sans rappeler les éructations les plus martiales d’un autre temps. Mais qui le voit encore ? Quant au racisme anti-blancs ou aux pains au chocolat, ces litotes permettent d’encourager un racisme latent en termes légaux. On peut craindre que ce ne soit jouer avec le feu. Ce sont aujourd’hui les Arabes qui font les frais d’un racisme en voie d’extension, mais qui peut jurer que la discrimination n’ira pas plus loin, plus violemment, et que d’autres n’en feront pas les frais ? La dérive n’est-elle d’ailleurs pas déjà annoncée par la réplique de Marine Le Pen, à l’évocation de l’interdiction du port des foulards islamiques en public, quant à sa proposition d’interdire aussi les kippas ? Et ensuite ?

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Alain Garrigou

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