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Comptes de campagne

par Alain Garrigou, 6 décembre 2012

Depuis 2006, la Commission nationale des comptes de campagne (CNCCPF) est en charge du contrôle des dépenses électorales de l’élection présidentielle. Institué avec le financement public de la politique, ce contrôle était auparavant exercé par le Conseil constitutionnel.

En 1995, la validation des comptes de campagne du candidat Balladur avait été acquise dans des conditions anormales. Les dix rapporteurs avaient proposé le rejet des comptes du candidat. Les versements en espèces sur ses comptes (10,25 millions de francs) n’avaient pas été justifiés, ni par le trésorier, ni par Edouard Balladur. « Le candidat ne sait manifestement pas quelle argumentation opposer aux questions », écrivaient les rapporteurs. L’usage, certes récent, aurait voulu que l’avis soit suivi par le Conseil. La tension était forte autour de la table. Roland Dumas, nouveau président lui-même impliqué dans des affaires financières, avertit ses collègues que les dépenses de Jacques Chirac étaient tout aussi problématiques et que, si l’on invalidait les comptes de son rival, il faudrait aussi invalider ceux du vainqueur : « Peut-on prendre le risque d’annuler l’élection présidentielle et de s’opposer, nous, Conseil constitutionnel, à des millions d’électeurs et ainsi remettre en cause la démocratie ? ». Roland Dumas demandait aux rapporteurs de revoir leur mode de calcul pour arriver à une somme juste au-dessous du plafond légal de 90 millions de francs pour le premier tour. Par la même opération, Jacques Chirac dépensait 0,034 millions au-dessous du plafond. Quatre conseillers adoptaient le nouveau décompte contre quatre voix défavorables.

La voix du président fit donc valider les comptes de campagne d’Edouard Balladur. Seuls les comptes de Jacques Cheminade furent invalidés (Lire « L’affaire Karachi, bonne surprise du candidat Cheminade », Le Monde, 2 décembre 2010). Cette décision du Conseil illustrait la difficulté d’un contrôle qui pouvait amener à invalider l’élection d’un président élu. Il ne s’agissait pourtant que du million ultérieurement moqué comme provenant de la vente des tee-shirts, selon l’explication donnée par le trésorier, et non pas l’argent qui serait venu des rétrocommissions liées à des ventes d’armement dans l’affaire dite de Karachi. Cela donne une idée des risques encourus par une autorité de contrôle qui est ridiculisée, sinon coupable.

C’était une bonne raison pour mettre le Conseil constitutionnel à l’abri et le remplacer dans cette tâche délicate qu’est le contrôle par la CNCCPF (loi n° 2006-404 du 5 avril 2006). La Commission a donc contrôlé les comptes de campagne de l’élection présidentielle de 2007. Elle n’est pas persuadée d’avoir mieux fait que son prédécesseur. Non en raison des irrégularités légères de M. Nicolas Sarkozy qui ont été négligées (CNPP, décision du 26 novembre 2007). Mais plutôt par l’affaire Bettencourt qui continue de peser sur le bien-fondé du contrôle légal. Les faits sont aujourd’hui prescrits. La Commission est ainsi confrontée à sa deuxième épreuve, avec le contrôle des dépenses électorales de l’élection présidentielle de 2012.

Mis en cause dans une interview donnée à Libération au sujet de l’affaire des sondages de l’Elysée, M. Patrick Buisson a déposé une plainte contre le journal et moi-même pour diffamation publique en novembre 2009. Procès heureusement conclu : le 16 février 2011, M. Buisson a été débouté par un jugement de la 17e chambre du tribunal de grande instance de Paris. Le 21 novembre 2012, la cour d’appel de Paris a confirmé le jugement de première instance (Lire « Sondages de l’Elysée : le système de Patrick Buisson mis au jour », Le Monde, 10 octobre 2012). Le délai de trois ans n’est pas un indice de lenteur de la justice, mais bien le résultat d’astuces procédurales, afin que le procès en appel ait lieu après l’élection présidentielle. Il aurait pourtant fallu un délai un peu plus long pour faire valoir des faits nouvellement établis qui concernent le financement de cette même élection.

Dans l’interview suivant la publication des listings des sondages de l’Elysée, j’avais émis cette formule hypothético-déductive sur les prix payés par l’Elysée à M. Patrick Buisson : « Soit c’est un escroc, soit c’est un petit soldat qui constitue un trésor de guerre pour payer des sondages pendant la campagne sans que ce soit visible dans les comptes de campagne du futur candidat Sarkozy » (Libération, 6 novembre 2009). Il était bien clair que la première proposition était absurde, puisque l’Elysée connaissait forcément les prix pratiqués et que donc seule la deuxième hypothèse était sensée : un financement masqué et anticipé de la campagne électorale de M. Sarkozy.

M. Patrick Buisson a prétendu que les lecteurs de Libération n’étaient pas assez subtils pour comprendre la fausse alternative. Ils apprécieront. Ainsi, l’insulte se serait ajoutée à la diffamation publique. Le tribunal a rejeté l’insulte, mais pas la diffamation, en jugeant cependant qu’elle restait dans les limites légitimes du débat public. Il a débouté M. Patrick Buisson de ses demandes exorbitantes (100 000 euros de dommages et intérêts, 60 000 de frais de publication dans la presse) et l’a condamné aux dépens. Le plaignant a donc interjeté appel pour des raisons, que l’on suppose, politiques : il ne serait pas dit que le conseiller de M. Sarkozy serait débouté en pleine campagne présidentielle.

La diffamation est définie comme « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne ou du corps auquel le fait est imputé » (loi du 29 juillet 1881). Sauf s’il s’agit de vérité. Or, il était difficile de fonder empiriquement mon accusation de financement anticipé et masqué. Selon une ordonnance du parquet, le président bénéficiait alors d’un régime d’impunité pénale étendue aux cocontractants de l’Elysée, dont il était clair qu’elle visait spécialement à protéger M. Buisson. En somme, celui-ci ne pouvait être attaqué en justice, mais ne se privait pas de le faire. L’impunité est heureusement tombée, puisque M. Sarkozy n’a pas été réélu.

Il a été révélé, avec les listings des sondages de l’Elysée communiqués à la commission des finances de l’Assemblée nationale en octobre 2009, que certains sondages n’avaient aucun rapport avec la fonction présidentielle. L’obstination de Raymond Avrillier auprès du juge administratif lui a permis d’obtenir les sondages eux-mêmes : certains avaient été commandés dans la perspective de l’élection présidentielle, comme ceux qui concernaient les adversaires potentiels. Autrement dit, nous sommes en mesure aujourd’hui de prouver factuellement que la surfacturation mise en cause par la Cour des comptes en juillet 2009 était bien un financement illicite de campagne électorale. Ce financement masqué et anticipé équivaut donc à un détournement de la loi, dont il est rétrospectivement facile de prévoir qu’il advienne un jour.

La plainte d’Anticor aurait-elle été instruite sans la défaite électorale de Nicolas Sarkozy ? On peut en douter. La légalité du financement des sondages par l’Elysée (plus de 9 millions d’euros) est mise en question pour délit de favoritisme. L’absence d’appel d’offres en faveur de M. Patrick Buisson (3,3 millions d’euros) et de Pierre Giacometti (2,5 millions d’euros) ainsi que le détournement de fonds publics pour avoir financé des sondages sans lien avec la fonction présidentielle vont dans ce sens.

Il faudrait y ajouter la violation de l’article 3 de la loi du 19 juillet 1977 relative aux sondages. Cela concerne aussi les règles légales du financement des campagnes électorales. S’il est donc avéré que le financement des sondages de l’Elysée constitue un financement politique illicite et anticipé, comment doit-il être pris en compte par la CNCCFP ? La déclaration de Nicolas Sarkozy les a « oubliés ». Or, deux types de dépenses doivent être comptabilisées.

Tout d’abord, le financement anticipé par la surfacturation a été matériellement reconnu par une baisse de rémunération de 80 %, le 16 février 2012, concédée à la présidence par M. Patrick Buisson et la société Giacometti-Péron. Payé à l’avance, le « rabais » doit être compris comme la somme de dépenses déjà effectuées par le candidat. Dans l’autre cas, la correction est plus difficile, puisque certains sondages pour l’élection présidentielle de 2012 ont été effectués durant tout le quinquennat. Avec un rapport plus ou moins direct. Sauf remboursement par l’UMP ou le candidat, une partie d’entre eux relève manifestement des dépenses électorales. Elles doivent donc être aussi intégrées dans la déclaration du candidat. Le contrôle des comptes de campagne électorale n’a jamais été sévère, mais cette fois, les irrégularités constatées dénotent un caractère délibéré et même planifié, dont la loi prévoit pourtant qu’il s’agit d’un élément du contrôle. Il est temps que ce contrôle effectué par une autorité administrative indépendante soit pris au sérieux.

Alain Garrigou

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