Dès son élection, François Hollande avait marqué sa différence sur la question afghane en décidant d’un retrait du contingent français avant la fin de l’année 2012, soit un an avant le terme annoncé par Nicolas Sarkozy, et un à deux ans avant celui des autres armées de la coalition de l’OTAN. Il l’avait déclaré lui-même dès le 25 mai, lors de son déplacement en Afghanistan. Plusieurs facteurs peuvent justifier ou expliquer cette décision :
- La mortalité au sein du contingent français est en hausse (quatre-vingt huit morts au total (1)), dans une guerre qui — jusqu’à ces dernières années — n’a pas dit son nom, et n’a jamais été endossée par l’opinion hexagonale (2) ;
- Les opérations, sur ordre de l’ancien président français, avaient été ralenties début 2011, suite aux évènements meurtriers. La présence des soldats a été alors remise en cause ; soudain peu utilisés, ils étaient pourtant bien entraînés et avaient fait leur preuve ;
- La confiance dans l’armée afghane a été brisée en janvier 2012, après la fusillade par un soldat afghan qui avait coûté la vie à cinq soldats : elle avait conduit à la « bunkerisation » des Français sur leurs bases, devenus « comme des Américains », (3) entrainant la fermeture des enceintes, les sorties en groupes, la présence de gardiens, la multiplication d’enquêtes sur leurs camarades afghans, etc. ;
- La relative bonne préparation des unités afghanes des régions concernées (la troisième brigade) a conduit à les rendre, selon leurs chefs, « à 80 % indépendantes ». Leurs effectifs (7 500 hommes) sont réputés dix fois supérieurs à ceux des maquis talibans de ces régions ;
- Le lancement de mai à novembre d’opérations de « desserrage », avant le retrait complet des Français et en liaison avec les éléments américains désignés pour prendre partiellement leur succession, a permis de mettre la pression sur les insurgés, et les empêcher d’étendre leur zone d’influence ;
- L’organisation à la mi-septembre d’une première opération à 100 % afghane, « Sarboz1 », a été suivie de plusieurs autres ;
- Des solutions politiques, entre Afghans, sont recherchées, au moins au travers d’accords locaux en cours de discussion. Comme le rappelait le général de Hautecloque, chef de la Brigade Lafayette, le 18 novembre : « Nous n’étions que de passage, invités. »
Retrait partiel
Pour les Français, il est vite apparu qu’un départ pur et simple du contingent était impossible : si les vallées de Surobi et de la Kapisa, où était concentrée la majorité des troupes combattantes françaises, ont bien été évacuées comme prévu, et les troupes ramenées sur l’Hexagone avant Noël, un effectif de 1 500 hommes et femmes (soit un tiers du contingent de 2011, et près de la moitié de celui de la mi-2012) est encore sur place.
Les effectifs concentrés à Kaboul devront finir la manœuvre logistique, qui s’étalera encore sur toute l’année 2013. Ils devront également assurer, comme promis aux Américains, le commandement et une partie des services sur l’aéroport de la capitale, afin notamment d’y faire fonctionner un hôpital. Les missions de formation déjà entamées devront être poursuivies et la participation aux états-majors de l’OTAN assurée. Ce contingent devrait ainsi passer de 1 400 à 400 hommes entre janvier et juillet 2013.
Manœuvre logistique
La manœuvre logistique comporte 2 680 unités, dont 1 150 véhicules et 1 530 containers à rapatrier. A la mi-novembre, elle avait été effectuée au tiers. Au dernier jour de décembre, on devrait approcher la moitié du fret prévu, grâce à plus de deux cents vols de gros porteurs aériens — des Antonov-124 ou Boeing-747 affrétés directement vers la France, pour rapatrier du fret sensible (comme les hélicoptères, certaines munitions), ou vers les Emirats arabes unis, sur le Golfe, à partir duquel le fret est chargé sur des bateaux. « Une fortune », reconnaissent les militaires, même s’ils ne fournissent pas de chiffre. On évoque une fourchette entre 300 et 500 millions d’euros pour l’ensemble de l’évacuation du matériel. Le recours au transport par route (via le Pakistan) ou route-rail (via la Russie) reste encore impossible pour le moment, pour des raisons diplomatiques ou de sécurité.
70 000 soldats français seront passés par l’Afghanistan en l’espace de treize ans, avec des contingents aux proportions variables : de quelques centaines, en 2012, à plus de 4 500 hommes et femmes au plus fort de l’engagement, en 2011. Une participation somme toute limitée comparée à celle des Etats-Unis (90 000 soldats en avril 2012) ou au Royaume Uni (9 500), et pratiquement à égalité avec l’Allemagne (4 800) ou l’Italie (3 950).
Blessures invisibles
Pour les armées françaises, l’engagement en Afghanistan a été une guerre sur la durée. Elles ont pu mettre en avant leurs capacités dans des domaines techniques spécialisés tels que le combat en montagne, en zone désertique, mais ont parfois souffert d’un manque de matériel adapté (à titre d’exemple, la détection et la protection contre les explosifs « improvisés » ou IED). L’amplitude et l’intensité de cet engagement, avec la nécessité de relèves, ont contraint les armées à modifier leur rythme de travail. Un dispositif en « quatre temps » a été mis en place et étalé sur dix-huit à vingt-quatre mois : entraînement, engagement, débriefing et retour d’expérience, repos.
Outre ses quatre-vingt-huit morts et des centaines de blessés, l’armée française a été amenée à prendre de plus en plus en compte les « souffrances invisibles » consécutives à des séjours en zones de guerre, que sont les troubles du comportement, les crises de panique, les phénomènes d’irritabilité, les cauchemars, etc. Ces traumatismes concerneraient 6 à 7 % des effectifs et sont soit repérés sur place par des infirmiers, médecins, ou « officiers d’environnement humain » déployés dans les unités ; soit signalés au cours du séjour de débriefing-décompression-détente organisé systématiquement en fin de mission, dans un hôtel de Chypre, au milieu des vacanciers. En fonction des signalements, un suivi psychologique ou psychiatrique est alors proposé, en version militaire ou civile.