Le premier sommet entre l’Union européenne et la toute jeune Communauté des Etats latino-américains et des Caraïbes (Celac) se tiendra les 26 et 27 janvier prochains à Santiago du Chili.
Créée en décembre 2011 à Caracas, la Celac compte trente-trois membres : l’ensemble des pays du continent à l’exception des Etats-Unis et du Canada. Elle se réunira dans la foulée, les 27 et 28 janvier (1). Trois pays en pilotent tour à tour les réunions : celui qui en assure la présidence, son prédécesseur ainsi que son successeur. En 2012, le trio – inattendu – rassemblait les ministres des affaires étrangères chilien et vénézuélien et le vice-chancelier cubain (MM. Alfredo Moreno, Nicolás Maduro et Rogelio Sierra). Alors que le Venezuela et Cuba représentent « l’aile gauche » du sous-continent, le Chili incarne une option politique diamétralement opposée depuis l’arrivée au pouvoir de M. Sebastián Piñera, en 2010.
Le sommet fait suite à six rencontres organisées depuis 1999 entre l’Union européenne et une région qui, jusque-là, ne s’était pas dotée d’une structure la représentant. Les discussions s’étaient alors soldées par divers accords de libre-échange (ALE) et d’association (AA) entre l’Europe et le Chili, la Colombie, le Pérou et l’Amérique centrale. De telles ententes comportent en général des clauses contraignant les pays signataires à mettre en place des réformes juridiques, administratives, économiques et sociales bénéficiant avant tout aux transnationales. Le renforcement du droit de propriété intellectuelle empêchant le transfert de technologie, la protection des droits des investisseurs par le truchement de clauses d’arbitrages entre l’Etat et eux, la sécurisation de l’accès aux matières premières ou encore la libéralisation des services publics font partie des atouts dont peuvent bénéficier les multinationales.
Mais depuis le sommet de Río en 1999, la carte géopolitique de la région latino-américaine a muté. Marqués par un virage progressiste au cours des dernières années (2), plusieurs pays ont opéré une rupture non seulement avec les instances financières internationales (notamment le Fonds monétaire international [FMI] et la Banque Mondiale) mais également avec l’unilatéralisme des traités commerciaux prévalant jusque-là. Le président équatorien Rafael Correa ironisait en 2010 : « Si le libre-commerce aidait au développement, le Mexique serait déjà développé », avant d’ajouter à propos des ALE signés par le Pérou et la Colombie en 2012 : « Nous allons bien voir ce qui est bénéfique ou nuisible, nous verrons bien si les petits agriculteurs, les petites et moyennes entreprises pourront résister à la concurrence européenne. Rien n’est moins sûr (3) . »
Selon l’économiste et journaliste mexicain Braulio Moro, la rencontre de 2013 pourrait donc marquer une rupture : « Contrairement aux sommets précédents, celui-ci n’aboutira probablement pas à un accord de type libre-échangiste. Après tout, la droite n’est pas en position de force aujourd’hui en Amérique latine. » Ni en Europe...
Lors du sommet ibéro-américain de Cádix, le 16 novembre 2012, Le Monde avait titré « Espagne et Amérique latine échangent leurs rôles ». Et le quotidien de souligner que, désormais, « c’est la péninsule qui appelle à l’aide ». De son côté, le président du gouvernement espagnol Mariano Rajoy avait insisté sur le fait que « l’Espagne recevra les investissements latino-américains à bras ouverts », évoquant un juste retour d’ascenseur devant certains de ses homologues du Sud médusés (4).
L’Union européenne demeure le principal investisseur dans la région, avec 43 % du total des investissements directs étrangers (IDE), et le deuxième partenaire commercial de l’Amérique latine. Selon le Système économique d’Amérique latine (SELA) (5), la crise que traversent l’Espagne et le Portugal pourrait avoir un impact sur leurs partenaires latino-américains. Le sommet, qui réunira près de soixante pays des deux régions, constitue un enjeu stratégique important même si l’Union européenne et la Celac resserrent chacune toujours davantage leurs liens avec l’Inde et la Chine.
Un contre-sommet des peuples sera organisé du 25 au 27 juillet (6). Une centaine d’organisations latino-américaines et européennes y sont attendues pour discuter d’une « Alliance pour le développement durable » visant à « promouvoir des investissements de qualité sociale et environnementale ». Pour M. Fabien Cohen, secrétaire général de l’association France Amérique latine qui participera à cette rencontre, celle-ci vise à « faire pression » pour que les revendications des populations « soient prises en compte » : « Sans remise en cause profonde du système libéral, la montée en puissance des pays du Sud pourrait conduire aux mêmes problèmes que ceux que connaît actuellement l’Europe. »