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Egypte, l’émancipation des institutions religieuses

par Alain Gresh, 23 juin 2013

La chute du président Hosni Moubarak ne s’est pas traduite par une épuration de l’appareil d’Etat, par une chasse aux anciens responsables, par un changement important du personnel politique ou même administratif. Seule une petite clique, liée à l’ancien président, s’est vue arrêtée, traînée (sans grand enthousiasme, il faut le dire) devant les tribunaux. Même les responsables de massacres de manifestants n’ont pas vraiment été inquiétés.

Et pourtant, le changement est là et on assiste à une autonomisation des institutions qui, jusque-là, dépendaient du pouvoir central, que ce soit l’armée, la police, voire les différents ministères. Cette évolution a des aspects inquiétants dans la mesure où elle favorise l’instabilité du pays. Mais elle a aussi une dimension positive, car elle est une forme de reconnaissance de la diversité de la société égyptienne.

Alors que les partisans du président Mohammed Morsi ont manifesté en nombre vendredi 21 juin — le principal parti salafiste Al-Nour s’est abstenu, préférant continuer à jouer son rôle de médiateur entre les Frères et le Front de salut national —, l’opposition se prépare à faire de même le 30 juin, premier anniversaire de sa présidence. Et beaucoup craignent que de cela ne dégénère en affrontements généralisés, voire en guerre civile.

Dans ce contexte, deux décisions d’Al-Azhar et de l’Eglise copte confirment l’ampleur des transformations en Egypte, où les institutions religieuses étaient aux ordres du pouvoir — Al-Azhar comme l’Eglise copte ont soutenu Moubarak jusqu’à la fin.

Le synode de l’Eglise copte vient de décider que les chrétiens étaient libres, s’ils le désiraient, de participer aux manifestations du 30 juin (« Copts free to join 30 June anti-govt protests : Egypt’s Coptic Church », Ahram online, 21 juin). A plusieurs reprises déjà, le pape copte Tawadros (Theodor) II, élu en novembre 2012, a dénoncé le fait que les autorités ne protégeaient pas assez les coptes.

Plus significative, peut-être, est la décision du grand imam d’Al-Azhar, le cheikh Ahmed El-Tayyeb. Il affirme que s’opposer aux dirigeants n’est pas un péché (« Azhar chief tells Egypt’s Muslims : Opposing rulers is not a sin », Ahram online, 19 juin). Le cheikh a critiqué les fatwas « mensongères » produites par des cheikhs « incompétents » qui prétendent que ceux qui s’opposent aux gouvernants sont « des hypocrites et des infidèles ».

Il a ajouté que « les manifestations pacifiques sont conformes à la charia » et n’ont rien à voir avec la croyance. Et que si la violence était « un grand péché », ce n’était pas une expression « d’incrédulité » religieuse.

Cette prise de position est d’autant plus importante dans le contexte égyptien, où une partie des forces islamistes radicales tente de criminaliser (religieusement) les opposants. Elle s’inscrit aussi en faux contre une vieille tradition de l’islam sunnite affirmant que « cent ans d’oppression valent mieux qu’un jour de fitna » (division au sein de la communauté).

Alain Gresh

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