Une famille de quatre personnes, les parents de 45 et 42 ans, les enfants de 16 et 13 ans, ont été retrouvés morts dans un appart-hôtel de Bordeaux le 19 août 2013. Selon les premières indications, il s’agirait d’un suicide collectif provoqué par la détresse financière. Mais cette précision importe-t-elle ? On peine à imaginer les souffrances indicibles qui poussent une famille à revenir au néant d’avant la vie. D’autant plus lorsque, à des âges divers, des humains tirent le même trait et la même conclusion. La misère fait plus souvent éclater les familles, laissant chacun sombrer dans une vie de précarité ou de SDF. Ceux-là peuvent mourir lentement ou brutalement, mais dans un silence qui n’affole personne, n’inquiète même pas.
De récents sondages ont causé l’étonnement en assurant que les Français battaient tous les records de pessimisme (1). Si le sujet était moins grave, la surprise d’une presse alignant chaque jour les motifs de démoralisation, la situation économique morose, les perspectives d’avenir éloignées, les tragédies planétaires ou les menaces les plus diverses, pourrait prêter à sourire. Même sans suivre cette actualité, on sait l’appauvrissement de la plupart des gens et leurs inquiétudes pour leur avenir proche et celui de leurs enfants. L’enrichissement de quelques-uns, étalant leur fortune, n’entretiendrait-il plus leurs rêves, pas plus que les jeux d’argent ou le divertissement télévisé ? On dira que cette situation ordinaire n’a aucun rapport avec la détresse qui conduit au suicide collectif. Les sondeurs n’ont d’ailleurs probablement pas interrogé la famille disparue, comme ils n’interrogent pas les SDF. Quelles réponses auraient-ils pu donner à leurs questions ? L’on conviendra qu’il y a loin du pessimisme ordinaire à la détresse suicidaire. Qui prétendrait pourtant qu’il n’y a aucun rapport, qu’on arrive au second d’un coup, sans aucun lien avec ce qui se passe avant et autour de soi ?
Tout se passe comme si, dans les rédactions, on s’était passé le mot, avec un soupçon d’inquiétude : serions-nous responsables ? La presse s’est donc mêlée de l’affaire pour inverser le cours des humeurs. On allait découvrir des tas de sujets d’optimisme ! Des gens heureux, il y en a. Pas de roman rose ! Non, de vrais gens heureux qui acceptent de poser pour le photographe et de raconter leur bonheur. Impression mitigée : il suffit d’exhiber le bonheur pour lui donner un parfum de tristesse. On a bien sûr interrogé quelques experts qui ont immanquablement trouvé une exception française dans le pessimisme, une propension nationale à l’autodénigrement. Jouant de contrepoids, d’autres ont proposé une solution en ouvrant leur « une » sur les qualités françaises, voire sur le génie national. Un peu de baume ne peut faire de mal.
Et puis, les politiques se sont mêlés de l’affaire. Ne sont-ils pas au premier chef responsables du moral des troupes ? Evidemment, ce n’est pas avec une croissance de 0,1 %, quand ce n’est pas une « croissance négative » — belle invention sémantique — que celui-ci va remonter. Pas plus avec les mots de ministres peu connus pour leurs qualités de boute-en-train. Ce qui ne les a pas empêché de s’essayer au rôle de médecin des âmes : il faut « jouer collectif » et s’emparer gaillardement de l’avenir pour le rendre plus gai ! La prospective a longtemps servi et toujours échoué, mais il n’empêche. Une consultation officielle a ainsi été lancée sur la France de l’an 2025. Signalons au passage la drôle de conception de la pensée qui anime cette expérience : poser la question à des responsables politiques qui avouent par ailleurs ne pas avoir le temps de penser ! Comme s’il suffisait de décider pour trouver des solutions. L’expérience est facile : tout bardés de diplômes que nous soyons ou non, mettons-nous devant une feuille de papier et écrivons... Le résultat est désespérant. Pour se remonter le moral, c’est raté.