Personne ne doute de la gravité de la situation en Centrafrique, où l’Etat est plus faible et absent que jamais. Pour Paris, la RCA peut devenir un autre foyer de désordre régional, voire une nouvelle Mecque du terrorisme, comme l’avait été le nord du Mali ou ce qu’est encore la Somalie. Ce qui n’était, pratiquement depuis l’accession du pays à l’indépendance en 1960, qu’instabilité chronique, a débouché ces derniers mois sur un dangereux chaos, sur fond de concurrence entre seigneurs de la guerre, d’incidents entre éleveurs et agriculteurs, voire d’affrontements à connotation religieuse, avec des centaines de victimes, un demi-million de personnes déplacées, etc.
Le régime tchadien d’Idriss Deby, qui soutenait militairement le président déchu de la RCA, le général François Bozizé, en participant à la Force multinationale des Etats d’Afrique centrale (Fomac), a fini par le lâcher. De même que la France (qui de toute façon ne fait plus la pluie et le beau temps à Bangui), et que le gouvernement soudanais, qui commençait à craindre que la déstabilisation de son voisin centrafricain ne contamine le Darfour, ou que le pays ne serve de base-arrière à ceux qui ont lancé ces dernières années à Khartoum deux tentatives de prise du pouvoir par les armes .
Coupeurs de route
Mais la Seleka — la coalition hétéroclite qui avait ravi le pouvoir au général Bozizé en mars 2013 — n’est pas parvenue à s’imposer : elle fait surtout parler d’elle en termes d’exactions et de pillages, faisant cause commune avec des miliciens soudanais, tchadiens, ou libyens accourus dans ce pays sans Etat, sans cohésion nationale, où les brigands, coupeurs de route et autres rançonneurs peuvent exercer librement leurs talents. La rébellion au pouvoir a été officiellement dissoute, et ses quelque 15 000 ex-combattants, parmi lesquels une forte proportion d’étrangers (tchadiens, soudanais), doivent être désarmés — mais selon des modalités qui sont encore controversées.
Lire « Agonie silencieuse de la Centrafrique » dans Le Monde diplomatique d’octobre 2013, en kiosques.
La nomination le 8 octobre dernier, par le président Michel Djotodia et son premier ministre Nicolas Tiangaye, d’une dizaine de nouveaux commandants militaires de région est supposée favoriser un retour à l’ordre : les contingents déployés dans chaque zone devraient mêler des militaires des anciennes forces armée (les FACA), et des éléments de l’ex-Seleka intégrés dans le rang. Le but serait de rassurer les populations, qui organisent déjà dans certaines localités des milices d’autodéfense. Mais la mise en œuvre de cette mesure risque d’être malaisée.
Opération anti-anarchie
Pour la diplomatie française, le vote de jeudi soir est un peu un « lot de consolation ». Mais l’essentiel pour Paris est bien, cette fois, de ne pas se retrouver en pompier unique, et même si possible de ne pas apparaître comme le pompier en chef. Compte tenu des précédents libyen et malien, et du caractère cette fois plus sécuritaire que militaire de la situation en RCA, l’« africanisation » de l’opération s’impose. Ce qui permettrait à la France de jouer surtout un rôle de « catalyseur », plus confortable et moins exposé politiquement que lors de l’opération Serval au Mali.
Il s’agirait d’une intervention de type « rétablissement de la sécurité » qui vise avant tout à mettre fin à l’anarchie, et non — comme au Mali — à combattre un adversaire prêt à en découdre. Selon la résolution adoptée jeudi soir, le secrétaire général Ban Ki-moon a trente jours pour présenter un plan d’intervention des casques bleus. Une seconde résolution sera alors soumise au vote du Conseil de sécurité : il s’agira de donner le feu vert à cette opération qui sera régie par le « chapitre VII », autorisant le recours à la force.
Dans l’immédiat, l’ONU accorde son soutien politique aux forces des pays d’Afrique centrale déployées sous la bannière de l’Union africaine : elles comptent 1 300 hommes aujourd’hui, et devraient être portées à 3 500 d’ici la fin de l’année, à mesure que les contingents tchadiens, gabonais, camerounais déjà présents en Centrafrique seront renforcés.
Réaction rapide
L’implication des militaires français sera surtout fonction de ce que les militaires africains ou les futurs casques bleus endosseront comme rôle. Elle prendrait concrètement la forme :
• d’un simple maintien du contingent militaire français actuel (450 hommes, présents en majorité sur la zone de l’aéroport de Bangui). L’opération Boali avait été montée en soutien au contingent de paix interafricain (Micopax), mais a pour but de garantir la sécurité et une éventuelle évacuation des ressortissants français et européens ;
• ou d’un renfort de ce dispositif jusqu’à 750 hommes, pour appuyer la nouvelle Mission internationale de soutien à la RCA (Misca) constituée actuellement de 1 300 militaires tchadiens, gabonais, congolais et camerounais, mais qui devrait monter en puissance ;
• ou de l’organisation d’une « force de réaction rapide », susceptible de s’étoffer en cas de coup dur, grâce à des apports venus des bases françaises de N’Djamena et Libreville ;
• ou — ce qui serait le plus simple et efficace sur le plan technique, mais le plus difficile politiquement — d’une opération de sécurisation rapide, pour ramener l’ordre dans la capitale et rouvrir les grands axes de circulation, avec 1 200 hommes, sous mandat de l’ONU, mais franco-française, avec des moyens et un commandement autonomes.
D’ici fin décembre, les soldats africains de la Misca risquent d’être en première ligne : une cinquantaine de personnes ont encore été tuées, des dizaines d’autres blessées dans des affrontements, mardi 8 octobre, entre d’ex-rebelles Seleka et des groupes d’autodéfense dans le nord-ouest du pays.