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Xe Festival international de cinéma du Sahara

Quand le cinéma se réfugie dans le désert

Dajla (Algérie). Du 8 au 13 octobre, le Festival international du Sahara — FiSahara — a fêté son dixième anniversaire dans le camp de réfugiés de Dajla, le plus éloigné et le plus précaire de tous, sur le sol algérien. Un lieu où aucun tour opérateur ne vous emmènera et sur lequel votre agence de voyages ne saura pas vous renseigner. Et pourtant on y rencontre, comme dans tous les festivals, des réalisateurs, des producteurs, des acteurs, des actrices, des journalistes...

par Pascual Serrano, 7 novembre 2013

Dans ce festival le tapis rouge est l’interminable sable du désert, les robes de soirée des femmes sont les tuniques colorées sans couture (melfas), le seul flash utilisé est le plus puissant du monde et il brille toute la journée, les salles de projection n’ont pas un nombre de places limité, les sièges sont des tapis posés sur le sol et les visiteurs les plus modestes tout comme les étoiles sont hébergés dans les tentes communautaires (jaimas). Des figures telles que Javier Bardem, Manu Chao, Victoria Abril, Luis Tosar, Paul Laverty, Icíar Bollaín, Aitana Sánchez Gijón et Juan Diego Botto ont participé à ce festival. Quant à Penelope Cruz, Antonio Banderas et Pedro Almodovar, ils lui ont apporté leur soutien.

Pour l’un de ses fondateurs, le directeur de cinéma Javier Corcuera, auteur de La espalda del mundo, un émouvant documentaire qui raconte trois histoires de violations des droits humains, « le festival fait partie des camps. Nous sommes un peu entrés dans l’histoire du peuple sahraoui, il y a des enfants qui avaient dix ans lorsque le cinéma est arrivé et maintenant ils en ont vingt, on peut dire qu’ils sont la génération FiSahara ». Corcuera se souvient avec romantisme des premières éditions lors desquelles « nous projetions en 35 millimètres et nous devions transporter tout le matériel jusqu’au désert : toutes les boîtes, les projecteurs, c’était la folie. Maintenant tout est numérique, on perd un peu de la magie du cinéma, mais c’est bien plus pratique ».

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La nouveauté de cette édition, explique sa directrice exécutive Maria Carrión, c’est « une plus grande place accordée aux droits humains. Cela a toujours été le cas, mais cette année la programmation et les ateliers mettent l’accent sur ce point. Nous avons tenté de rassembler monde audiovisuel et droits humains. Il y a eu davantage d’implication de la population locale, davantage de public pendant les présentations, davantage de participation à l’organisation. »

Parmi la programmation, on trouve des films populaires comme The Impossible sur le tsunami asiatique ; Astérix et Obélix  ; God save Britannia, qui a soulevé l’enthousiasme des plus jeunes ; l’oscarisé L’Odyssée de Pi ou encore Le Monde fantastique d’Oz, basé sur le roman de Liman Frank Baum. A côté de ça, des films comme Kachkaniraqmi (I am still), le film de Javier Corcuera qui nous emmène chez les Indiens quechuas péruviens ou le film sud-africain Sobukwe : A great soul, sur le philosophe et militant anti-apartheid Robert Sobukwe. Il y eut aussi une section de films arabes parmi lesquels se distinguait 5 broken cameras, nommé aux Oscars et réalisé par un Palestinien et un Israélien ; The suffering grasses, sur le conflit syrien, ou le moyen-métrage marocain sur le mouvement du 20-Février : My makhzen & me. Cette dixième édition fut dédiée aux femmes sahraouies ainsi qu’aux droits de la femme arabe, d’où la présence de films comme Wadjda (La bicyclette verte), La source des femmes ou Girl Rising, en présence de sa productrice Martha Adams.

Bien évidemment le conflit sahraoui était très présent avec des films comme Separated, La Badil (No other choice), Time out, Le retour au Sahara occidental ou The Runner, ce dernier racontant l’histoire de l’athlète sahraoui Salah Ameidan, héros du film et présent au festival, exilé en France depuis qu’il a agité un drapeau du Sahara après sa victoire à la course de 10 km au sein de la sélection marocaine. A tous ces films s’ajoutèrent des court-métrages réalisés par des Sahraouis.

La directrice María Carrión et Javier Corcuera sont tous deux d’accord pour dire que cette édition « a été plus internationale que les précédentes. Il s’agit d’une internationalisation délibérée, sans minimiser le monde de la culture espagnole, mais nous avons voulu inclure un nouveau groupe de pays. » Lorsque les organisateurs parlent d’internationaliser davantage le FiSahara, ils ne peuvent s’empêcher de penser à la France. Maria Carrion souligne que « la France est importante parce que c’est un pays où le monde de la culture et du cinéma est très vivant. Pour le FiSahara, ce serait bénéfique, car le niveau de connaissance du Sahara en France est faible, alors que la France est un pays-clé dans la résolution du conflit. En conclusion, le bénéfice serait double : ce serait pour nous l’apport de la culture française et cela permettrait de mieux faire connaître le conflit en France. »

On imagine sans peine la complexité de l’organisation d’un festival de cinéma dans un campement au milieu du désert, dans un lieu où il n’y a ni eau courante ni électricité, ni infrastructures. Un lieu où le soleil est brûlant, où les organisateurs et les invités, une fois qu’ils ont atterri dans le précaire aéroport algérien de Tinduf, doivent parcourir plusieurs heures de route dans un convoi du Front Polisario pour arriver à leur destination, Dajla, un camp de jaimas où vivent quelque 25 000 personnes.

La collaboration des autorités et de la population sahraouies est fondamentale. Salem Lebsir est le gouverneur de Dajla. Il s’agit de l’homme sur qui repose la responsabilité des préparatifs et de la mise en condition du camp pour la célébration du Festival international de cinéma du Sahara. L’arrivée des visiteurs a un énorme impact : il suffit de savoir que sur les trois-cents jaimas situées sur la zone du festival, cent vont recevoir des invités. Comme vous l’aurez compris, il n’y a pas d’autre mode d’hébergement sur place si ce ne sont les logements des résidents. « La plupart veulent héberger des invités, affirme Lebsir, car ils savent qu’ils vont soutenir notre lutte. Ils sont convaincus qu’ils doivent faire tout ce qui peut mener à améliorer l’information sur notre cause. Certaines familles ont même dû s’endetter pour acheter à manger pour nourrir leurs invités. » L’alimentation des réfugiés sahraouis dépend presque exclusivement de l’aide humanitaire du HCR qui reconnaît que la quote-part mensuelle d’aliments qu’il distribue ne couvre même pas 50 % des besoins, car il ne fournit pas la viande, ni les fruits et légumes.

Les journées de cohabitation entre Sahraouis et gens du cinéma compensent largement le manque de confort. « Les invités du festival, raconte Carrion, tombent sous le charme du peuple sahraoui. C’est une société très accueillante et les limites matérielles de ses jaimas sont compensées par une grande hospitalité. Personne n’est revenu avec des objections ou des plaintes, même pas les plus célèbres. Au contraire, ils disent que c’est une leçon d’humilité. Et on ne leur ment pas, ils savent où ils vont mettre les pieds, on les informe avant de venir, ils prennent cela au sérieux. »

Lire « Résistance obstinée des Sahraouis », Le Monde diplomatique, février 2012 Depuis qu’en 1975 le Maroc a envahi le Sahara occidental sans que cela ne fasse réagir l’Espagne, où le dictateur Francisco Franco se trouvait sur son lit de mort, le peuple sahraoui se retrouve sur le bas-côté de la scène internationale. L’Espagne se retire du territoire sans assumer aucune responsabilité juridique internationale et commencent alors les affrontements entre l’armée marocaine et le Front Polisario, le mouvement de libération nationale reconnu par l’ONU comme légitime représentant du peuple sahraoui, qui proclame la République arabe sahraouie démocratique (RASD) en février 1976.

Avec la promesse d’un référendum parmi le peuple sahraoui pour qu’il choisisse entre l’indépendance ou l’annexion au Maroc, le Front Polisario signe une trêve le 6 septembre 1991 et accepte que la MINURSO (Mission des Nations unies pour le référendum du Sahara occidental) se charge de faire respecter le cessez-le-feu et de préparer un référendum pour l’année suivante. Le Maroc, avec la complicité de l’Union européenne et particulièrement de la France et de l’Espagne, a obtenu jusqu’à aujourd’hui que ce vote n’ait pas lieu. Il contrôle de fait la plus grosse part du territoire du Sahara occidental et il exploite ses ressources, et tout particulièrement ses minéraux et la pêche dans ses eaux juridictionnelles. Le Front Polisario contrôle 35 % du territoire situé à l’Est, celui qui a le moins de ressources. Depuis 1980, un mur d’environ 2 700 km érigé par le Maroc sépare les deux zones du nord au sud. Cela sous-entend une surveillance par l’armée marocaine, des tranchées, des clôtures de barbelés et une large bande semée de mines antipersonnel et antichar. On estime qu’il y a entre 7 et 10 millions de mines.

Bachir Mustafa, le numéro deux du Front Polisario, en visite au FiSahara, a qualifié la position des différents gouvernements espagnols d’« indécente et honteuse. C’est en outre le gouvernement qui doit solder une dette éthique et morale envers les Sahraouis et, au contraire, il continue de soutenir les criminels ». Concernant la France, le grand allié du Maroc, il a affirmé que « l’on peut prédire qu’il y a des perspectives d’amélioration pour une série de raisons. En premier lieu parce qu’elle a déjà pris au Maroc tout ce qu’elle pouvait lui prendre. En revanche, l’Algérie [alliée du Front Polisario] est dans une très bonne phase géostratégique. Les Français ont leurs principaux intérêts en Afrique occidentale, où se trouve un Sahara entouré d’instabilité, terrorisme et délinquance. Tous les pays sont plongés dans l’anarchie et l’instabilité, sauf l’Algérie. Cela devrait générer un certain bénéfice politique en faveur du peuple sahraoui. »

Pascual Serrano

Durant ce festival, des prix ont été décernés. Le retour au Sahara occidental, de la Sud-africaine Milly Moabi, a obtenu la récompense suprême du FiSahara : la chamelle blanche. Le prix spécial a été décerné à 5 broken cameras. Ont également été récompensés les films My Makhzen and me, du Marocain Nadir Bouhmouch, et le premier long-métrage de l’Ecole de formation audiovisuelle Abidin Kaid Saled, A divided homeland.

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