«Deux groupes aéronavals opérationnels donnent la possibilité de projeter de la puissance et de maintenir une présence dans un grand nombre de voies de communication maritime vitales en matière de sécurité énergétique », affirme au Deccan Herald, (1) l’amiral Sekhar Sinha, commandant en chef de la zone maritime ouest, qui sera un des premiers pilotes indiens à se poser sur le pont du Vikramaditya.
Ce second porte-avions était attendu depuis une quinzaine d’années. La commande ferme a été passée en 2004 : la coque a été cédée gratuitement, l’Inde prenant à sa charge les 947 millions de dollars d’équipement (aéronefs, systèmes d’armement, formation, pièces de rechange), et les 800 millions nécessaires à la modernisation du navire lui-même (pont, machines, etc.).
Deux rallonges successives demandées par le chantier naval auraient porté le coût total de cette acquisition à 2,3 milliards de dollars (à comparer avec les 2,2 milliards du Charles de Gaulle — de tonnage comparable, mais à propulsion nucléaire — ou les 4,3 milliards du porte-avions USS Ronald Reagan, d’un tonnage double).
Mers chaudes
La livraison du bâtiment, prévue initialement en 2008, n’a pu être honorée, en raison de difficultés techniques rencontrées par ce programme de modernisation. Le Vikramaditya est un ancien porte-avions soviétique de classe « Kiev », dont la quille avait été posée en 1979 sur le chantier Chernomorskiy, en Ukraine. Il n’a été lancé qu’en 1987 sous le nom de Baku, la capitale de l’Azerbaïdjan.
A la suite de l’effondrement de l’Union soviétique, en 1990, le bâtiment avait été rebaptisé Amiral Gorshkov, en hommage à l’officier nommé par l’ancien président Nikita Khrouchtchev à la tête de la flotte de l’Union soviétique : il avait conduit l’expansion de la « flotte rouge » jusque vers les « mers chaudes », pendant la Guerre froide, rivalisant avec les flottes occidentales.
Long de 284 mètres, et avec un déplacement de 44 500 tonnes, le porte-avions est classé « STOBAR », à décollage court (tremplin) et atterrissage freiné (brin d’arrêt). Il embarquera notamment des Mig 29-K, divers types d’hélicoptères ainsi qu’un équipage de 1 600 personnes.
Lors d’une cérémonie, les parties doivent signer un acte de transmission du porte-avions à l’équipage indien, le navire changeant ainsi de pavillon. Arackaparambil Kurian — dit « A.K. » Antony —, le ministre indien de la défense, en poste depuis 2006, a fait le déplacement en Russie pour l’occasion.
Le Vikramaditya a été refondu à Severodvinsk, une des principales bases navales russes, située dans l’ Oblast d’Arkhangelsk, au nord du pays ; les chantiers y sont spécialisés dans la construction des sous-marins nucléaires et des très gros navires militaires. Selon le vice-premier ministre russe Dmitri Rogozine, l’ex-Amiral Gorshkov devrait prendre la mer le 30 novembre en direction de l’Inde.
Présence à la mer
En août dernier, déjà, le même ministre indien de la défense avait confié à son épouse le soin de baptiser aux chantiers navals de Cochin, dans le sud-ouest du pays, le Vikrant, premier porte-aéronefs de fabrication indienne, lors de ce qu’il qualifiait de « moment de fierté pour le pays, qui montre sa capacité à concevoir et construire un porte-avions : jusqu’à présent, seuls quelques pays industrialisés y étaient parvenus ». Un troisième bâtiment, l’INS Vishal, devrait être construit entièrement en Inde, avec un tonnage beaucoup plus fort (60 000 tonnes), mais le chantier a été décalé à 2025...
Dans l’immédiat, la marine indienne prévoit de déployer deux groupes de combat autour de l’INS Vikramaditya et de l’INS Vikrant. Mais ce dernier, qui n’est actuellement qu’une coque vide, ne devrait pas être admis au service actif avant 2018 — au mieux —, et son coût de développement aurait déjà atteint près de quatre milliards de dollars.
Selon certains experts, ces deux flottes ne seront pleinement opérationnelles qu’en 2025, voire 2030. Mais la marine indienne, grâce à ses deux porte-avions, sera en mesure de disposer à tout moment d’un groupe aéronaval à la mer (ce qui n’est pas le cas, par exemple, de la France, avec son unique porte-avions).
Au même moment, on apprenait que l’INS Arihant, premier sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE) indien, d’un déplacement de 7 000 tonnes, a entamé une campagne d’essais en mer de dix-huit mois. Deux autres bâtiments de ce type sont programmés, l’Inde rejoignant ainsi progressivement le cercle très fermé des cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, qui sont les seuls jusqu’ici à disposer d’une flotte de SNLE.
Simple adjuvant
Dans une livraison de Manière de voir (« L’Armée dans tous ses états », décembre 2012), Olivier Zajec décrit ainsi l’ascension du géant indien qui, d’adepte de la « diplomatie morale » — dans la lignée de Gandhi et Nehru —, acquiert la confiance dans sa stature internationale :
« Le nouveau débat militaro-stratégique indien prend la forme d’un dilemme entre un modèle défensif concentré sur les priorités frontalières, et un schéma plus ambitieux de projection de puissance mondiale dont les défenseurs, aiguillonnés par les avancées de Pékin — le « collier de perles » des bases chinoises dans l’océan Indien — imposent de plus en plus leurs arguments dans les états-majors. Cette dichotomie théorique est particulièrement marquée dans la marine, les uns, influencés par l’école soviétique, considérant la flotte comme un simple adjuvant côtier concourant à l’équilibre militaire régional ; tandis que d’autres, passés par les académies américaines, souhaitent bloquer l’expansion chinoise par une stratégie océanique antinavires plus agressive ».
Signe de cette expansion : le porte-avions chinois Liaoning, premier du genre et dérivé, comme le Vikramaditya, d’une coque construite sur un chantier ukrainien, a été admis au service actif en septembre 2012 et a bouclé en septembre 2013 son programme d’essais en mer. Mais c’est un porte-avions… sans avions, qui reste surtout, pour le moment, « un outil de politique étrangère dans la lutte pour le contrôle de la mer de Chine ». Sa capacité opérationnelle ne sera pas atteinte avant 2015. Deux autres navires chinois devraient être lancés d’ici une quinzaine d’années.