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Forte suspicion de fraude au Honduras

par Maurice Lemoine, 27 novembre 2013

Bien que porté par une organisation populaire impressionnante et donné en tête des enquêtes d’opinion pendant de nombreux mois, le parti Liberté et refondation (Libre) — créé à la suite du coup d’Etat qui, le 28 juin 2009, a expulsé du pouvoir le président de centre gauche Manuel Zelaya —, n’en a pas moins abordé les élections générales du 24 novembre avec une inquiétude latente, parfois exprimée à demi mots : « On est sûrs de gagner, mais… pas certains d’obtenir la victoire. » Le coup d’Etat a laissé des traces et l’on savait ici la droite prête à tout pour conserver le pouvoir. Ceux qui ont mené le golpe continuant à dominer toute la sphère de la vie nationale et de ses institutions, les derniers jours de la campagne ont donc été marqués par de fortes tensions. Et, de fait…

Lire Anne Vigna, « Au Honduras, comment blanchir un coup d’Etat, Le Monde diplomatique, janvier 2010.Le 25 novembre, sur la base du dépouillement de 67 % des suffrages, le Tribunal suprême électoral (TSE) a annoncé une « tendance irréversible » faisant de Juan Orlando Hernández (Parti national) — président du Congrès et, à ce titre, coresponsable du désastre politique, économique et social dans lequel est plongé le pays (1) —, le vainqueur de la présidentielle, avec à cet instant 34,08 % des voix. Donné gagnant pendant de nombreux mois, Libre arrive en deuxième position (28,92 %), mais a très vite refusé de reconnaître les résultats successifs annoncés par le TSE, Mme Xiomara Castro, sa candidate à la magistrature suprême, se déclarant même « virtuellement présidente du Honduras », sur la foi des sondages « sortie des urnes », dès 19 h 25, le soir du scrutin (qui se terminait à 17 heures).

Fraude ou pas fraude ?

Depuis huit mois déjà, les dirigeants de Libre mettent en doute la fiabilité du Système intégré de scrutin et de divulgation électoral (Siede) permettant la transmission et la divulgation des résultats des bureaux de vote par scanner. Le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) a questionné la fiabilité de ce système de transmission lors d’une réunion avec les partis. Et c’est effectivement à ce niveau que sont survenus les désordres les plus apparents. D’après la représentante de Libre auprès du conseil consultatif du TSE, Mme Rixi Moncada, il existerait une « manipulation des données réelles » et « plus de mille neuf cents actes [qui pourraient représenter quatre cent mille voix] de Départements où Libre arrive en tête n’ont pas été incorporés au système de comptage » (2). D’ailleurs, en diffusant son premier rapport partiel, le 24 au soir, le président du TSE, M. David Matamoros, devait admettre qu’il existait des « incohérences » dans les informations d’au moins 20 % des actes électoraux.

On ajoutera à cet aspect informatique de la question la rétention de résultats favorisant Libre par les responsables des bureaux de vote appartenant au Parti national, les achats de fidélités, le trafic des accréditations des représentants des partis auprès des urnes (3), une présence militaire intimidante, la participation des morts et la mort des vivants : la collecte des témoignages permet d’avoir un regard sur la multiplicité des méthodes permettant de frauder — en toute impunité.

Dans sa dénonciation, Libre a été rejoint par une nouvelle formation politique, le Parti anticorruption (PAC), dont le candidat, M. Salvador Nasralla, un homme de droite, a fait sensation en arrivant quatrième avec plus de 15 % des voix, et n’a pas hésité à parler de « l’instauration d’une dictature au Honduras » (4).

Malgré ces doutes sérieux sur la fiabilité du résultat, une partie de la « communauté internationale » a déjà pris fait et cause pour M. Orlando Hernández. Tandis que l’Organisation des Etats américains (OEA) et la Mission d’observation de l’Union européenne légitiment sa « victoire » en insistant sur « la transparence (...) dans les bureaux de vote et la transmission des données (5) », les Etats-Unis, le Panamá, le Costa Rica, la Colombie et même le... Nicaragua sandiniste lui ont adressé leurs félicitations, le reconnaissant de fait.

« Nous avons le triomphe dans nos mains, a déclaré le coordinateur général de Libre, « Mel » Zelaya, au nom de Xiomara Castro, et nous allons le défendre, si nécessaire dans la rue. J’ai demandé au TSE qu’il permettre à nos techniciens de réviser tout le processus et que le comptage se fasse urne par urne. Il est certain que nous avons perdu dans beaucoup d’entre elles, mais il est tout aussi certain que nous avons gagné dans des milliers, et nous ne sommes pas disposés à renoncer à notre victoire. » Tandis qu’il faisait cette déclaration, le 25 au soir, ses partisans scandaient, particulièrement remontés : « Descendons dans la rue ! Descendons dans la rue ! »

 Insensible à cette rumeur qui monte, M. Orlando Hernández agit déjà comme s’il allait occuper la présidence dès demain. Il est vrai qu’il joue sur du velours. Même s’il s’allie à une militarisation de la société, déjà entamée sous la présidence de M. Porfirio Lobo, son néolibéralisme débridé enthousiasme manifestement davantage les « élites » et les décideurs que le socialisme démocratique et le projet d’Assemblée nationale constituante de Mme Castro. Et, de fait, Libre se trouve dans les cordes. Déjà, de multiples voix s’élèvent pour lui recommander la pondération, le réalisme et, pourquoi pas, une négociation avec « les vainqueurs », une sorte de « paix des braves », dont chacun tirerait avantage, afin de ne pas ajouter une crise à la crise qui détruit le pays depuis le coup d’Etat. Accepter une telle offre aurait certes l’avantage d’éviter un conflit susceptible de déraper, mais reviendrait pour le parti à se couper de sa base populaire qui entend bien, quitte à en découdre, défendre ses droits. Si au contraire, tout à fait légitimement, il en appelle à l’insurrection (fût-elle pacifique), c’est lui qui apparaîtra comme le « vilain de l’histoire », le mauvais joueur, le déclencheur d’une violence que, bien sûr, « personne ne souhaitait ».

Sans attendre la décision, des étudiants ont organisé la première manifestation d’importance, pacifique, ce 26 novembre, dans l’enceinte de l’Université autonome du Honduras (UNAH). Cette escarmouche s’est soldée par une intervention immédiate et brutale de la police antiémeutes et de la toute nouvelle police militaire, un blessé et une vingtaine d’arrestations.

Maurice Lemoine

(1Lire Jake Johnston and Stephan Lefebvre, « Honduras Since the Coup : Economic and Social Outcomes », Center for Economic and Policy Research, novembre 2013.

(2Le président du TSE a annoncé le 25 que les anomalies signalées étaient résolues, mais sans préciser ni leur nombre ni leur provenance.

(3Neuf partis étaient en lice et certains, n’ayant pas la base sociale suffisante pour avoir un représentant dans chaque bureau de vote, ont donné ou vendu leurs accréditations au Parti national, lui permettant d’accroître son poids dans la gestion locale du scrutin.

(4NDLR : de fait, un gouvernement illégitime est déjà au pouvoir depuis le coup d’Etat de 2009. Lire à ce sujet, « Honduras : retour à l’OEA, retour à la normale ? », La valise diplomatique, juin 2011.

(5Misión de Observación Electoral de la Unión Europea, « Declaración preliminar — Una votación y recuento transparentes tras une campaña opaca y desigual » (PDF), Tegucigalpa, 26 novembre 2013.

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