Il y a quelques mois, un dimanche du mois d’août, malgré un temps splendide propice à la flânerie, une trentaine de personnes avait trouvé place dans l’arrière-salle d’un café non loin de la Basilique de Saint-Denis, en banlieue parisienne, pour assister à un « Open Mic » — tout un chacun pouvait venir proposer un sketch, un poème, un slam ou une chanson : Pascal Tessaud n’est pas sur les planches mais il est le véritable animateur de cette scène ouverte, séquence de son film, Brooklyn.
Après son très beau projet, 20 000 lieues loin de la mer, récit des illusions brisées au sein d’une famille ouvrière dans les premières années Mitterrand, Pascal Tessaud a réalisé des courts métrages, un documentaire sur le slam qui a fait le tour du monde (1), des émissions de radio, mais s’est heurté à une censure économique pour monter ce premier long métrage qui lui tenait à cœur. « J’ai cru à la méritocratie française, fait mes preuves à travers les “courts”, me suis rapproché du centre, mais rien à faire : quand on est issu d’un milieu ouvrier, nos sujets n’intéressent personne. »
Pour La ville lumière, son dernier film court, Pascal Tessaud a écrit, réécrit durant quatre ans, fourni des dizaines de versions du scénario pour espérer persuader le Centre national du cinéma (CNC) de lui octroyer une contribution financière à la production. En vain. « Ils ne veulent pas de cinéastes, ils veulent des écrivains. » Des études internes du CNC, non rendues publiques, ont montré qu’en raison notamment de son fonctionnement basé sur des dossiers écrits, le système de financement du cinéma d’auteur se révèle effectivement très élitiste. « Le système est tel qu’on finit par se sous-estimer si l’on ne correspond pas au modèle de réussite prôné », dit Pascal Tessaud. Présenté à « City of Lights, City of Angels », le festival de cinéma français de Los Angeles, La ville lumière y a obtenu le Prix du public et l’éloge de nombreux professionnels… hollywoodiens.
Lire « Cinéma français, la question qui fâche », Le Monde diplomatique, février 2013.
L’apparition, ces dernières années, de films « sauvages », tournés en dehors de l’industrie avec les moyens du bord (Donoma, Rengaine, La cité rose, Rue des cités ou encore les polars de Jean-Pascal Zadi (2)), a fini par le convaincre de renouer avec ses origines, de se rapprocher de ses modèles (Shadows, de John Cassavetes ou Le rendez-vous des quais, de Paul Carpita) et de se lancer dans un long métrage autoproduit. « J’ai suivi le conseil que m’avait donné Mehdi Charef : pars à l’aile (parallèle). Quand je jouais au foot, j’étais assez bon pour les débordements sur l’aile… » Après avoir expérimenté la direction d’acteurs à travers l’improvisation au cours d’un atelier, le réalisateur a franchi le pas. « J’ai écrit la trame du film il y a un an, monté une association et investi dans la production les économies que j’ai pu faire durant une dizaine d’années de vie professionnelle ». D’une énergie sans relâche, il a su mobiliser autour de lui lors d’un tournage de six semaines une quarantaine de personnes : équipe technique et comédiens.
Brooklyn met en scène Coralie, jeune rappeuse suisse métisse qui, traumatisée par une attaque raciste au cours d’un spectacle, quitte le domicile familial et se rend à Paris, où elle est hébergée par une amie. Après quelques semaines de galère et de petites magouilles, elle se fait embaucher comme cuisinière par une association de Saint-Denis. Elle y fait la rencontre d’Issa, une étoile montante du rap, désireux de devenir une star.
Rapidement, Coralie montre ses dons en matière de rap, dans une approche plus politique, et devient la nouvelle curiosité du quartier. « Pour la plupart des comédiens, c’est la première expérience de cinéma. Le film les mettra en valeur. Libérés d’un texte à apprendre, ils amènent leur personnalité, un langage populaire, un réalisme, que l’on ne trouvera jamais dans un scénario aidé par le CNC… », précise Pascal Tessaud. Pour incarner Coralie, le réalisateur a fait confiance à KT Gorique, une rappeuse italo-ivoirienne, effectivement résidente suisse, et première femme ayant remporté le Concours international de Free Style, « End of the weak », créé à New York en 2000.
Le rap occupe une place importante dans la vie du cinéaste. « Je suis old school, formé par un rap social qui m’a poussé à l’écriture, défendu en France par NTM ou IAM et aux Etats-Unis par des groupes comme Public Enemy. Je ne suis pas nostalgique de cette époque mais je n’adhère pas du tout au rap bling-bling d’aujourd’hui qui met en avant les grosses voitures, les flingues, les drogues et les filles faciles… Mon film se veut une déclaration d’amour à la banlieue où je réside encore, trop souvent stigmatisée par les médias. J’essaie quand même de ne pas faire d’angélisme : je montre aussi bien les dérives qui ont gangrené les cités que la résistance qui s’organise à travers la création. »
Une fois le montage du film effectué, Pascal Tessaud espère que Brooklyn se fera remarquer dans un festival et trouvera un producteur capable de payer les salaires, condition sine qua non pour l’obtention de l’agrément du CNC et une sortie en salles.
Aujourd’hui, le film est en fin de montage, aucun distributeur ne s’est manifesté. Le combat n’est pas terminé…