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Un film contre l’excision

Reconstruire l’intime

par Marina Da Silva, 21 février 2014

Philippe Baqué connaît bien le Burkina Faso. Il y a réalisé son précédent film Le beurre et l’argent du beurre (de karité), en 2007, où il montrait comment les femmes du pays des hommes intègres ne profitaient pas du commerce équitable qui prétendait les aider à sortir de la pauvreté.

Lorsqu’il se lance avec Dani Kouyaté, réalisateur, metteur en scène et conteur issu d’une famille de griots de Bobo-Dioulasso, dans une enquête sur l’excision, il s’attend à ce que le sujet soit difficile et tabou. Aborder avec des femmes la problématique de cette mutilation intime lorsqu’on est un homme, blanc de surcroît, c’est d’emblée s’exposer à des refus de parole.

Ce qui ne fut pas le cas. Il faut dire que l’angle qui intéresse l’auteur et réalisateur est celui de la reconstruction du clitoris. Et que les femmes, trop peu nombreuses, qui ont eu recours à cette opération sont aussi celles qui ont envie de porter un combat pour devenir « entièrement femmes » au grand jour.

L’excision, qui consiste en l’ablation du clitoris et parfois des petites lèvres est une pratique vieille de plus de vingt-six siècles et ante-religieuse. Cette mutilation sexuelle peut entraîner la mort ou de très graves complications et produit des traumatismes physiques et psychologiques difficilement réparables. Bien qu’interdite dans beaucoup de pays, elle se perpétue et toucherait près de 140 millions de femmes et fillettes à travers le monde selon l’Unicef. Il a fallu attendre le 20 décembre 2012 pour que les mutilations génitales féminines soient condamnées par l’assemblée générale de l’ONU.

L’enquête politique et sociologique pour le film a été faite à gros traits, un peu trop peut-être, notamment en ce qui concerne le contexte historique du Burkina qui fut le premier pays à interdire et criminaliser (en vain) l’excision à l’initiative de Thomas Sankara, sur lequel on aurait aimé en savoir plus, et elle privilégie le témoignage. Même si certaines ont pu reculer devant la perspective de voir ensuite ces témoignages rendus publics, avec la mise en jeu de leur vie personnelle et familiale, Hawa, Djéli, Honorine, Fatou, Kessen, Hada, Maïmouna..., celles qui restent à l’image sont toutes plus impressionnantes les unes que les autres et assument ce face à face avec la caméra, devenu l’angle et la ligne de force du documentaire.

« Nous donnons la parole à des femmes africaines — au Burkina Faso et en France – touchées dans leur chair par l’excision et qui souffraient en silence. Elles avaient besoin de parler. Mutilées par leur famille au nom d’une tradition désormais controversée, elles recherchent leur identité dans un monde bouleversé. »

Toutes racontent le traumatisme infligé lorsqu’elles étaient enfant ou adolescente, et interrogent le statut des femmes dans une société où elles « ne doivent pas avoir le même plaisir que l’homme ». Certaines ont accepté de transgresser ces règles qui ne mutilent pas seulement leur sexualité mais aussi leur confiance en elles et le sentiment de leur propre valeur, et ont placé leurs espoirs dans une technique chirurgicale de restauration du clitoris qui a été mise au point en France par Pierre Foldès, et commence à être pratiquée en Afrique.

Foldès est le premier urologue français à restaurer le clitoris et à former des médecins pour pratiquer l’opération au Burkina. Lui-même n’a pas voulu y travailler, ayant reçu des menaces de mort et s’y sentant en danger. Il a en revanche opéré en France plus d’un millier de femmes. Bien qu’efficace et reconnue – elle est même prise en charge par la Sécurité sociale –, la restauration du clitoris demeure peu pratiquée. En vingt ans, moins de six mille femmes en auraient bénéficié alors qu’elles seraient 63 000, selon des chiffres de l’Unicef, à vivre en France en ayant subi une excision.

Au Burkina, l’opération reste encore très peu pratiquée. Son coût est un obstacle pour des femmes pauvres, sauf durant des campagnes de sensibilisation menées à trop petite échelle. Elle réveille la peur de la douleur et la crainte d’une intervention qui se déroulerait mal. L’Etat est très peu engagé sur ces questions, se défaussant de ses responsabilités et laissant la place aux initiatives individuelles et privées comme celle de la secte Rael qui ouvrira en mars à Bobo Dioulasso le premier hôpital au mondé dédié à la réparation des victimes de mutilations génitales.

Parmi les femmes, de tous âges, qui témoignent à l’écran, certaines ont aussi accepté d’être filmées à l’hôpital, pour dédramatiser l’opération et la rendre envisageable pour d’autres. Les histoires singulières de chacune sur leurs blessures et le pari qu’elles font de la réappropriation de leur corps relève d’une démarche personnelle mais aussi collective pour lutter contre ces mutilations.

Des comédiennes, mises en scène par Dani Kouyaté, incarnent celles qui ont voulu témoigner – dans l’anonymat – et racontent l’histoire d’un réseau de femmes qui se sont organisées pour communiquer autour d’un blog dédié à l’excision. Elles sont de diverses origines, comme pour élargir la carte géographique des pays et femmes concernées. Un dialogue s’établit entre elles. La parole se libère : « L’excision vise à assurer la domination sexuelle des femmes et à la confiner à un rôle de procréatrice. » Elles veulent en finir avec ce déterminisme. Faire en sorte que l’opération soit reconnue comme un droit universel.

Un combat qui n’est pas seulement contre l’excision mais pour la place des femmes dans la société.

Femmes entièrement femmes a été réalisé avec la collaboration de Arlette Girardot, Philippe Dorelli et Alidou Bodini à l’image, Mahomed Lazé Zerbo, Ivan Broussegoutte et Sam Lallé Isidore au son.

Projection à la SCAM (Société civile des auteurs multimédia), 5 avenue Velasquez, 75008 Paris, le 24 février à 18 h et à 20 h 15 sur inscription auprès de : alterravia@orange.fr

Le film sera diffusé par le 1er mars à 21 h sur Lyon Capitale TV.

Puis par TV5 Monde le 14 mars à 19 h, le 16 mars à 7 h et le 18 mars à 16h 30.

Achat DVD (18 €) et contact auteurs via l’association Alterravia.

Philippe Baqué a encore réalisé Eldorado de plastique, 2001 et Melilla, l’Europe au pied du mur, 1998. Il est aussi journaliste, auteur d’Un nouvel or noir. Pillage des œuvres d’art en Afrique, Paris Méditerranée, 1999 et coordinateur de La Bio entre business et projet de société, Agone, 2012.

Marina Da Silva

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