Depuis le début du mois de février, des manifestations violentes ont fait « dix-sept morts et deux cent soixante et un blessés » au Venezuela, selon la procureure générale du pays, Mme Luisa Ortega Diaz. Mercredi 26 février, le président Nicolas Maduro – qui dénonce une tentative de coup d’Etat soutenue par Washington et des groupes paramilitaires proches de l’ancien président colombien Álvaro Uribe – a convié les différents secteurs de la société à une « conférence sur la paix ». Cette rencontre entre syndicats, patronat, partis et intellectuels devait participer au retour au calme.
Deux enseignements principaux se dégagent de cette crise. Tout d’abord, l’exaspération d’une grande partie de la population face aux difficultés économiques alimente un climat de défiance vis-à-vis du pouvoir. « Files d’attente interminables à l’entrée des magasins pour s’approvisionner en produits de base tels que lait, farine, huile ou papier toilette ; essor d’une économie parallèle où des vendeurs de rue proposent les mêmes biens à des prix prohibitifs. Si les Vénézuéliens souffrent de pénuries ponctuelles depuis déjà fort longtemps, l’aggravation du mal depuis le début de l’année a pris chacun au dépourvu », analysait le sociologue Gregory Wilpert dans notre édition de novembre 2013. A ces difficultés s’additionne celle de la corruption, endémique, ne serait-ce que parce qu’un système de double taux de change permet, par exemple aux « privilégiés qui ont accès au marché des changes officiel [d’]empoche[r] des bénéfices exorbitants en acquérant des marchandises au taux légal pour les revendre aux prix vertigineux du marché noir ».
Lire « Le Venezuela se noie dans son pétrole », Le Monde diplomatique, novembre 2013.
Mais, plutôt que de se contenter de capitaliser sur ces difficultés, l’opposition a décidé de jouer la carte de la déstabilisation. A nouveau : elle s’y était déjà essayée avec une tentative de coup d’Etat en avril 2002 et un lock-out (grève patronale) en 2003. M. Henrique Capriles Radonski, qui avait réussi à unir la droite vénézuélienne au sein de la Table d’unité démocratique (MUD) pour la dernière présidentielle, semble avoir perdu son rôle central, au profit d’une frange au discours beaucoup plus radical. Dans un entretien accordé à The Real News Network, Wilpert avance ainsi l’idée d’un « coup d’Etat, mais au sein de l’opposition ». A l’origine des manifestations, M. Leopoldo López, dont le Centre pour la recherche économique et politique (CEPR) rappelle les liens avec Washington, a donc choisi d’exiger « la salida » (le départ) de M. Maduro : l’Union des nations sud-américaines dénonce une « tentative de déstabiliser l’ordre démocratique constitué légitimement par le vote populaire ». L’opération de M. López, que le pouvoir a maladroitement décidé d’arrêter, s’accompagne d’une campagne nourrie dans une presse internationale toujours prompte à dénoncer les « dérives dictatoriales » du pouvoir bolivarien (dont les observateurs internationaux relèvent toutefois la nature démocratique), quitte à prendre certaines libertés avec les faits, cependant que Twitter annonce, par exemple, que des étudiants vénézuéliens auraient été tabassés par des policiers égyptiens ou transforme des pèlerinages religieux en rassemblements monstres de l’opposition…
Successeur d’Hugo Chávez, décédé en mars 2013, M. Maduro pouvait-il rêver d’une opposition plus pataude ? Sans doute pas. Mais le ridicule dont elle se couvre ne règlera aucun des problèmes qui, légitimement, pourrait conduire d’autres Vénézuéliens dans la rue.