Dans les états-majors otaniens, on espère bien que l’annexion de la Crimée et le rôle prêté à la Russie dans l’agitation à l’est de l’Ukraine ramèneront le parrain américain à la raison, lui qui rêvait de parfaire son désengagement du continent européen, soixante ans après la fin de la seconde guerre mondiale, vingt-cinq ans après la fin de la guerre froide.
Suite au passage à Washington du ministre polonais de la défense, Tomasz Suemoniak, la semaine dernière, l’envoi de plusieurs centaines de « GI’s » a été annoncé pour participer prochainement à des manœuvres militaires en Pologne et en Estonie. Il s’agit donc de troupes américaines au sol, même à titre provisoire, et non plus seulement d’une couverture aérienne plus ou moins lointaine et virtuelle : c’est un signal politique à l’intention du partenaire-adversaire russe.
Lire Olivier Zajec, « L’obsession antirusse », Le Monde diplomatique, avril 2014.
La tonalité a été donnée la semaine dernière par le porte-parole du ministère américain de la défense : il s’agit bien de « renforcer la réactivité sur terre, en l’air ou sur mer en Europe », certaines des mesures envisagées étant « prises de manière bilatérale avec des pays membres de l’OTAN », d’autres devant être « mises en œuvre à travers l’Alliance elle-même » (1).
Parapluie aérien
Le Pentagone – qui avait déjà détaché en Pologne vingt-quatre chasseurs F-16 et F-15, ainsi que trois C-130 — vient de transférer en Roumanie six autres F-16. Le commandement américain a également décidé (selon la lettre d’informations TTU du 16 avril) de reprendre les missions aériennes stratégiques à long rayon (8 000 miles, 20 heures de vol) de bombardiers B-52 et B-2 à partir de leurs bases en Louisiane et dans le Missouri.
La même lettre TTU détaille le projet de loi n° 4561 déposé par le président ukrainien par intérim, qui prévoit la tenue en Ukraine en juin et septembre de l’exercice « Rapid-Trident 2014 », à dominante terrestre, avec participation de troupes des Etats-Unis et de l’OTAN ; et des manœuvres navales « Sea Breeze 2014 » entre juillet et octobre, aux parages d’Odessa, avec une dizaine de bâtiments américains et de l’OTAN, ainsi qu’une douzaine d’aéronefs, deux sous-marins, etc.
Déjà, l’USS-Donald Cook, un destroyer américain, croise en mer Noire (où il avait été approché, le 12 avril, par un chasseur russe). Des avions-radars Awacs américains ou relevant de l’OTAN (2) survolent régulièrement plusieurs pays d’Europe de l’est. Depuis le 1er avril, à la demande de l’OTAN, des Awacs français participent à ces missions de surveillance. La France a également été sollicitée pour assurer à nouveau une mission traditionnelle de l’Alliance, la « Baltic Air Policy », qui va être renforcée, compte tenu de la conjoncture : une escadrille de chasseurs tricolores sera transférée sur la base de Malbork, en Pologne, à partir de la fin du mois.
Maître-mot
Lors d’un séminaire organisé récemment à Paris sur la « transformation » de l’OTAN, le ministre français de la défense Jean-Yves Le Drian a plaidé pour « une répartition plus équitable des efforts entre les alliés », un « développement de notre capacité à agir, appuyé sur une volonté politique forte », gageant que « l’insécurité de s’arrêtera pas au sud et à l’est de l’Europe ». Pour lui, « le cycle de vingt années d’opérations intenses qui est en train de se clore » avec l’évacuation de l’Afghanistan est « une richesse qu’il convient de conserver sans la pression des opérations ».
Lire aussi Anne-Cécile Robert, « Plus atlantiste que moi... », Le Monde diplomatique, avril 2014.
Le ministre s’est félicité de ce que les Français, pour leur part, « suivent tous les standards définis par l’OTAN », concourant ainsi à « l’interopérabilité » qui est le maître-mot et la préoccupation traditionnelle des stratèges de l’Alliance. Pour ces derniers, le concept a fait ses preuves au sein de la force d’assistance à la sécurité en Afghanistan (ISAF), et a permis la réalisation de l’opération Harmattan en Libye.
Afin d’éviter les « ruptures capacitaires » consécutives à la fin, en Afghanistan, d’une opération qui était devenue l’alpha et l’omega de l’OTAN, le commandement pour la « transformation » avait prévu un programme ambitieux d’exercices pour 2014 et 2015, ainsi qu’un renforcement des moyens alliés de renseignement, d’observation et de reconnaissance (Joint Intelligence, Surveillance and Reconnaissance, JISR). C’était avant que ne surgisse la « divine surprise » ukrainienne…
Bon élève
En marge de cette réunion à Paris, Anders Fogh Rasmussen n’a pas manqué de féliciter ses amis français, considérés désormais comme un des piliers de l’Alliance : de la Centrafrique à l’est de l’Europe, a-t-il dit en substance, les forces françaises contribuent à la sécurité occidentale, sous la bannière nationale ou sous couvert de l’OTAN ; la France a démontré sa disponibilité, elle est un exemple pour l’Alliance ; son budget de défense, maintenu à un haut niveau en dépit des difficultés financières du moment, approche « les 2 % du PIB qui sont notre cible » (3).
Une lise — non exhaustive — de faits témoigne de ce que la France fait effectivement figure de bon élève de l’OTAN, après en avoir été longtemps — 1966-2009 — le fils indigne :
• Depuis 2009, après la décision du président Nicolas Sarkozy de réintégrer le commandement militaire de l’organisation, des centaines d’officiers français ont été affectés dans les hautes strates de l’Alliance : un des deux « commandements suprêmes » — celui dit de la « transformation », créé en 2002 dans le cadre de la réorganisation des structures de l’Alliance et installé à Norfolk (Etats-Unis) — revient désormais à un Français (le poste a été occupé jusqu’ici par d’anciens chefs d’état-major de l’armée de l’air, le général Stéphane Abrial de 2009 à 2012, actuellement le général Jean-Paul Palomeros). Ce n’est pas le commandement le plus important (qui est celui des forces alliées en Europe, le SHAPE, lequel revient traditionnellement à un général ou amiral américain), mais c’est celui de l’entraînement, de la doctrine, du futur : les Français considèrent que, grâce à eux, « la doctrine européenne en matière d’opérations est désormais bien présente au sein de l’OTAN » (4).
• L’armée de l’air française est fortement impliquée dans ce qui est le « bijou » du commandement « transformation » de l’OTAN : le futur Air Command and Control System (ACCS), qui pilotera le système de défense aérienne et antimissile de l’OTAN, une fois reliés les systèmes nationaux actuellement peu interopérables. Côté français, la mise en service opérationnelle est programmée à la mi-2016 pour le Centre national des opérations aériennes et le centre de détection et de contrôle de Lyon, et fin 2016 pour le Centre de détection et contrôle de Cinq-Mars-La-Pile.
• Du 1er janvier au 31 décembre 2015, la composante Air de la NATO Response Force — la force de réaction de l’OTAN (5) – sera placée sous commandement de l’armée de l’air française : dans le but de valider ses capacités, le Joint Force Air Component Command (JFACC), sous commandement français, participe cette année à trois exercices majeurs.
• On relèvera aussi, par exemple, que le Centre d’analyse et de simulation pour la préparation d’opérations aériennes (CASPOA) de la base aérienne 942 de Lyon-Mont Verdun, unique en son genre à l’échelle des vingt-huit pays membres, a été labellisé « centre d’excellence de l’OTAN ».
Feu est-ouest
A noter, pendant ce temps, la quasi-absence de « l’Europe de la défense » : ce devait être, lorsque le président Nicolas Sarkozy avait décidé la réintégration française au sein du commandement militaire intégré, la compensation ou le pendant de cet engagement atlantiste. Mais le fameux second « pilier européen de défense » est resté embryonnaire, que ce soit au sein des instances de l’Union européenne, ou au sein de l’OTAN, toutes deux logées d’ailleurs à Bruxelles ce qui est, en soi, tout un programme.
A l’exception de la France et de quelques nations, les budgets européens de défense continuent à être réduits. Les divisions politiques européennes, manifestes par exemple en ce qui concerne l’attitude à tenir vis-à-vis de la Russie, paralysent toute action collective, notamment en matière d’usage de la force.
Appelés à l’aide par les Européens de l’Est et les pays baltes, qui multiplient les professions de foi atlantistes et attisent l’antique feu « Est-Ouest », les « parrains » américains donnent donc le « la »… le plus souvent désormais, avec l’ami français !