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Le Festival de caves

Faire du théâtre partout

par Marina Da Silva, 14 mai 2014

C’est une histoire insolite qui démarre comme une simple idée d’artiste et se fait emporter par une dynamique qui bouscule des codes et des conventions, réveille des attentes et des désirs. Une nouvelle déclinaison, réinventée, de la « décentralisation théâtrale ».

A l’origine, la Compagnie Mala Noche, que dirige Guillaume Dujardin, créée à Besançon, en 2005, dans la cave d’un particulier, Le Journal de Klemperer, adapté du journal tenu entre 1933 et 1945 par le philologue allemand Victor Klemperer. Le choix de la cave comme espace de jeu déterminant fait partie prenante de la scénographie. Selon le metteur en scène, il s’agit de « rappeler les conditions de survie et la nécessité de se cacher pour un intellectuel comme Klemperer sous un régime dictatorial ». Le résultat va au-delà de toutes les attentes et se révèle un formidable lieu de création, dans un dispositif de proximité qui change la relation au spectacle et aux spectateurs.

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Maxime Kerzanet dans « Orages d’acier » et Léopoldine Hummel dans « Du Domaine des murmures »
Photos Patrice Forsans, Atelier Contrast

En 2006, naît le concept de « Festival de caves ». Un projet de créations multiples et légères où les textes et les formes résonneraient avec ces lieux d’accueil singuliers qui invitent à de nouveaux modes de représentation et créent des formes artistiques particulières. Cette année-là, le festival se déplie exclusivement sur Besançon, avec six spectacles joués sur trois semaines. La ville est un écrin, recelant de nombreuses caves patrimoniales, de particuliers ou d’institutions. Devant l’engouement qu’il suscite, le festival va se déployer sur les communes proches, puis dans toute la Franche-Comté. Des projets simples mais exigeants, qui passionnent autant les artistes que les spectateurs – une trentaine tout au plus, souvent moins, par représentation –, se montent en quelques semaines et se font connaître comme la rumeur d’une bonne nouvelle.

Au fil du temps, la compagnie va être dépassée par son idée. D’autres villes appellent, veulent rejoindre le dispositif. Les lieux se multiplient. Des aides logistiques et financières se mettent en place. Des passeurs de relais se font connaître, prêts à accueillir spectacles et spectateurs. Il faut appeler pour réserver et se rendre à un rendez-vous de rassemblement, avant d’être conduit par un hôte-organisateur sur le lieu de la représentation, tenu secret, comme dans une traversée initiatique.

Aujourd’hui les spectacles s’étalent de Strasbourg à Lyon, de Nantes à Besançon, en passant par Paris, Lille, Bordeaux, Toulouse, Montpellier… et même Genève et Karlsruhe.

La participation de certaines villes a donné lieu à des questionnements métaphysiques. Comme Saint-Nazaire. La capitale des chantiers navals et du débarquement américain, où la guerre s’inscrit encore avec force dans son architecture, se devait de rejoindre cette nouvelle carte théâtrale. Mais elle n’a pas de caves ! Ni de petites ni de grandes. S’il y en avait, elles seraient toutes inondées… Difficile cependant d’exclure du jeu une cité dont l’histoire résonne si fort avec la démarche des spectacles. Le concept a été un tout petit peu tordu. Et les spectateurs ont été conduits dans des sites relevant plus du hangar mais préservant l’intimité et la proximité du dispositif.

Assignée à un périmètre d’à peine un mètre carré, Léopoldine Hummel a ainsi interprété Du Domaine des murmures, le récit adapté et mis en scène par José Pliya du roman de Caroline Martinez autour de la figure d’Esclarmonde. L’insoumission et la révolte de cette princesse qui pose un acte de femme libre en 1187 en refusant un mariage forcé, pour lequel elle sera condamnée à être emmurée vivante, passe en majesté par le corps de la comédienne. La mise en espace qui met le spectateur dans le cercle du jeu fait effectivement recevoir le spectacle tout autrement que dans une scène conventionnelle.

La même efficacité se vérifie pour Orages d’Acier, une création de Guillaume Dujardin. L’adaptation des journaux de guerre d’Ernst Jünger trouve toute sa force dans le jeu dépouillé et juste de Maxime Kerzanet qui atterrit dans... le dépôt-vente du Secours Populaire. Le comédien a su tirer profit de l’espace reconverti en appartement où il s’adresse aux spectateurs comme s’ils étaient ses convives. Les yeux dans les yeux, il leur raconte comment dans la guerre « L’effroi est très différent de la peur, de l’angoisse, de la terreur ». Comment ces jeunes gens ont pu partir, en 1914, comme un seul homme, avec une unité patriotique qui nous semble totalement aberrante aujourd’hui et qui allait se fendiller sur le terrain : « On sentait que l’esprit dans lequel on était monté au front ne suffisait plus ». « Le ciel semblait une marmite de géant en train de bouillir ». Le texte interroge aussi l’absence de rébellion : « Il existe donc une responsabilité dont le gouvernement ne peut nous décharger. C’est un compte à régler avec nous-mêmes. Elle pénètre jusque dans nos rêves ». Et là encore la forme de la représentation amplifie la réception de ce texte qui fut l’un des premiers témoignages littéraires de la Grande Guerre.

Une invitation à faire du théâtre partout et à faire du théâtre de tout.

On peut encore voir ces spectacles et bien d’autres jusqu’au 27 juin. Il y en a une trentaine joués dans une soixantaine de villes.

Infos et réservations au 03.63.35.71.04 ou festivaldecaves@gmail.com. Voir aussi le site Internet.

Marina Da Silva

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