Les fresques (murales) de Diego Rivera (1) (1886-1957) sont autant d’œuvres qui conjuguent l’esprit révolutionnaire et l’invention de formes unissant la tradition populaire et la modernité. Dans le sillage de la Révolution mexicaine, Rivera et quelques-uns de ses amis ont pratiqué la fresque, pour magnifier l’esprit des luttes libératrices, chanter le peuple, lui rendre son histoire et saluer l’avenir à inventer.
Lire Laurent Courtens, « Que Viva Mexico ! », Le Monde diplomatique, février 2014.
En 1932-33, Rivera est à Detroit, où, à l’invitation de la Fondation Ford, il peint vingt-sept panneaux bordant la cour intérieure de ce qui sera le Detroit Institute of Arts. Quand l’une de ses compositions, L’Homme et la Machine, montre les étapes de la construction du moteur de la Ford modèle 32, ce sont à la fois la puissance collective de la création humaine et le déploiement de l’aliénation qui sont saisis, avec une simplicité porteuse de visions épiques. L’œuvre de Rivera, marxiste, ami de Léon Trotski et d’André Breton, tenant d’une modernité engagée et dans la recherche formelle et dans l’action politique, suscitera des commentaires affolés, en particulier dans l’Amérique du maccarthysme. Mais c’est aujourd’hui qu’elle est véritablement menacée : le procès pour faillite de la ville de Detroit commence le 14 août (2). Il va falloir trouver de l’argent, afin de payer les créanciers, alléger les compressions imposées aux retraites, etc.
Le musée, le Detroit Institute of Arts, est merveilleusement riche : les œuvres qu’il abrite représenteraient plus de 4,6 milliards de dollars. Leur vente est donc envisagée, avec la prudence qui s’impose pour ne pas faire baisser le marché, et les Picasso, Van Gogh, Cézanne… font l’objet d’une certaine protection, probablement liée à leur statut de stars, et au retentissement déplorable qu’aurait leur mise à l’encan. Il ne semble pas que les fresques de Rivera suscitent le même embarras. Adressé à Madame la directrice générale de l’Unesco et Monsieur l’ambassadeur délégué permanent du Mexique auprès de l’Unesco, et destiné à M. Jonathan Putnam, le directeur de l’US National Park Service Office of International Affairs, un appel international circule, demandant l’inscription de ces murales au patrimoine mondial de l’humanité, pour les protéger de cette entreprise de privatisation, qui montre admirablement, quels que soient les pudeurs et freins destinés à atténuer le choc, la logique d’un système : il n’est de valeur que marchande.