Nicolas Sarkozy nous condamne encore une fois à la farce. S’il se rêve en Napoléon de retour de l’île d’Elbe, son entreprise rappelle plutôt cet autre « vol de l’aigle » que fut le coup d’Etat du 2 décembre 1851 par Louis Bonaparte, pour échapper à ses créanciers (1). Cette fois, il s’agit ni plus ni moins d’échapper aux juges. S’il n’y a jamais eu de suspense sur le retour de Nicolas Sarkozy, ce n’est pas à cause de la psychologie du personnage, comme des commentateurs l’ont soutenu à longueur de colonnes, mais bien parce qu’il y est obligé.
Lire Jean Ping, « Fallait-il tuer Kadhafi ? », Le Monde diplomatique, août 2014.
De l’affaire des sondages de l’Elysée (commandés pour un montant de 9 millions d’euros) à l’affaire Bygmalion (entre 10 et 11 millions de fausses factures pour la campagne de 2012), pour ne retenir que les plus incontestables, Nicolas Sarkozy (ou son parti) a besoin de beaucoup d’argent. Inspirée par le modèle américain, son entreprise politique est très dispendieuse. Selon cette conception, le succès va à celui qui mise le plus et l’opinion se fabrique avec des spin doctors. Il faut donc y mettre le prix et cela coûte cher : conseillers en communication, sondages, voyages, réunions politiques, etc. La facture peut être allégée quand on est au pouvoir, en payant avec l’argent public des sondages de l’Elysée, distillés dans la presse avec de faux commanditaires, ou des meetings électoraux, en mêlant les rôles de président et de candidat. Une situation commode, si l’on ne se fait pas prendre comme ce fut le cas, par la Cour des comptes sur les sondages (2) puis par la Commission nationale des comptes de campagnes et financements publics (CNCCFP, lire « Le fiasco légal du financement politique »).
Comment prétendre diriger un pays si on ne dirige pas sa campagne ? On sait que les partisans gobent tous les mensonges en prétendant que tout le monde fait pareil. C’est évidemment faux mais on n’empêchera pas les croyants de croire. Si la CNCCFP et le Conseil constitutionnel avaient validé les comptes du candidat, ils se seraient définitivement compromis. C’est pourtant ce qu’espéraient Nicolas Sarkozy et son entourage dans un jeu de banco où il fallait gagner pour se sauver. Pour rattraper le retard qu’indiquaient les sondages dans les derniers mois de campagne, il fallut donc improviser des réunions électorales à grand spectacle, à des prix faramineux. Ca passe ou ça casse. Elu, tout était gagné. On n’imagine pas en effet le Conseil constitutionnel invalider l’élection du Président de la République au suffrage universel. L’argument avait été déjà employé en 1995 par Roland Dumas, son président, pour la validation des comptes d’Edouard Balladur, dont le directeur de campagne était Nicolas Sarkozy. Il avait fait valoir que les comptes du président élu, Jacques Chirac, pourraient être invalidés pour les mêmes raisons. En 2002, ce dernier, menacé par les affaires de la ville de Paris, se sauva en étant réélu. L’immunité présidentielle lui donnait un sursis de cinq ans. Les juges d’instruction chargés des enquêtes avaient immédiatement demandé une nouvelle affectation. Un jugement intervint seulement en 2011 alors que l’ancien président était fortement diminué physiquement. Il écopa d’une peine symbolique à propos de deux emplois fictifs, une sanction symptomatique en matière de délinquance des élites (3). Après l’immunité, l’impunité.
En 2012, Nicolas Sarkozy a perdu et le danger est devenu pressant. Avec l’affaire Bygmalion, où les faits sont déjà reconnus, pas d’échappatoire visible. Et il semble que la loi du silence risque fort d’être brisée entre les anciens associés (4). Contrairement à l’affaire Bettencourt où Patrick de Maistre, gestionnaire des fonds de la milliardaire, n’a pas « craqué » malgré un mois de prison. Pas d’échappatoire sauf l’immunité présidentielle. L’élection de 2017 constitue donc une sorte de session de rattrapage. Le désordre dans son propre parti et les difficultés de François Hollande constituent de parfaits prétextes pour se lancer dans la course présidentielle. Un peu tôt sans doute mais il n’avait pas le choix, à la fois parce qu’il n’était que très peu informé des agendas judiciaires — il a d’ailleurs été mis en examen pour s’être enquis auprès d’un juge de la Cour de cassation, ce qui dénote au moins une curiosité très poussée en la matière — et parce que les sondages annonçaient un recul. Un d’entre eux, confidentiel, qui le présentait comme le candidat le mieux placé pour l’emporter contre Marine Le Pen, a été publié par L’Opinion et Valeurs Actuelles, presse de ses amis politiques. Toutefois, saisie par le PS, la commission des sondages n’a pas obtenu le nom du sondeur et a donc rendu son verdict : le sondage « ne peut être considéré comme fiable » (sic). Trahi par son conseiller Patrick Buisson (lire « Eloge du scandale »), Nicolas Sarkozy n’en a pas abandonné les procédés.