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L’hydre libyenne, hantise du Sahel

Cinq pays du « G5 Sahel » – Burkina Faso, Mauritanie, Mali, Niger et Tchad – ont tenu vendredi 19 décembre à Nouakchott un sommet portant notamment sur la situation en Libye, considérée comme un sanctuaire djihadiste de plus en plus menaçant. Ils ont appelé l’ONU à mettre en place une force internationale pour "neutraliser les groupes armés" en Libye, en accord avec l’Union africaine. Lors du Forum international sur la paix et la sécurité en Afrique qui s’est tenu récemment à Dakar, les présidents tchadien, malien et sénégalais avaient exhorté les Etats occidentaux à « finir le travail » en Libye, devenue source de menaces pour tout le Sahel.

par Philippe Leymarie, 19 décembre 2014
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Tanks aux abords de Misrata (Libye)

«Pour » le malien Ibrahim Boubacar Keita, qui s’exprimait en clôture de ce forum de Dakar, la Libye est un « guêpier » et un « arsenal à ciel ouvert ». Macky Sall, le président sénégalais, considère que « le travail est inachevé ». Mais c’est Idriss Deby, le numéro un tchadien, qui y a été le plus fort :

« Les conflits actuels ont pris naissance en 2011, quand nos amis européens et occidentaux ont attaqué la Libye : ils ne nous ont pas demandé notre avis, pas plus que lorsqu’ils ont divisé le Soudan en deux ».

« Mais ce n’était pas autre chose que la destruction de la Libye, que l’assassinat de Kadhafi ! Le travail a été achevé, c’est le service après-vente qui a manqué », a lancé le Tchadien devant quelques chefs d’Etat, et une assistance en grande partie conquise.

« Aucune armée africaine ne peut aller tuer les terroristes. La solution est entre les mains de l’OTAN, qui a créé le désordre. Elle n’a qu’à aller éliminer les terroristes. La Libye est devenue le repaire de tous les brigands. Si on veut résoudre les problèmes du Sahara, il faut résoudre la question de la Libye. Et c’est à nos amis occidentaux de trouver la solution ».

Feuille de route

Pour Idriss Deby, tous les maux actuels de la région saharo-sahélienne sont donc dus à l’intervention de la France, et du Royaume-Uni en Libye, en 2011, sous les couleurs de l’OTAN, non pour protéger les populations, comme le préconisait la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU, mais en fait pour abattre le régime du colonel Kadhafi.

Lire « Fallait-il tuer Kadhafi ? », Le Monde diplomatique, août 2014.Pour faire bonne mesure, le numéro un tchadien s’est est pris aux Nations unies, « qui sont responsables aussi, puisqu’elles ont donné quitus » à cette intervention de 2011. Et s’est payé le luxe de plaider pour la refonte des armées nationales, et la création d’une force panafricaine, faisant la leçon à l’Afrique entière : « On ne peut en permanence, soixante ans après les indépendances, continuer à appeler : venez nous aider, nous sommes menacés ».

La France ayant été mise en cause, mais sans être explicitement nommée, par Idriss Deby au cours de cet échange, le ministre français de la défense Jean-Yves Le Drian se devait de répondre. Pour ne pas clore sur une note trop négative ce forum plutôt réussi de Dakar, il a choisi le registre de l’humour plutôt que celui de la polémique : « Ne pas toujours sous-traiter la sécurité à la France ? Le président Deby vient de tracer la feuille de route pour plusieurs années. Il le peut d’autant plus que c’est le Tchad qui assure en ce moment la présidence du Conseil de sécurité : alors, “il n’y a plus qu’à faire !”, comme dit ma grand-mère ».

Russie flouée

Reste que, même si Idriss Deby n’était pas le mieux placé pour lancer cette diatribe apparemment improvisée — lui qui ne serait plus à son poste si la France ne lui avait pas sauvé la mise à deux ou trois reprises — tout n’est pas faux dans ses remarques : on a souvent eu l’occasion sur ce blog, en 2011, pendant l’opération occidentale menée avec rouerie par le président Nicolas Sarkozy et le premier ministre britannique James Cameron (1), d’évoquer les glissements et pour finir le détournement de la résolution du Conseil de sécurité. Avec ses conséquences dans la communauté internationale, par exemple en Russie et en Chine, qui se sont senties flouées, tout comme l’Union africaine (lire à ce sujet l’article de Jean Ping paru dans le Monde diplomatique d’août dernier) ; et plus tard au Mali, au Niger et dans tout le Sahel.

Sous l’impulsion notamment de Paris, avec les opérations Serval au Mali (2013-14) et désormais Barkhane à l’échelle du Sahel tout entier, ainsi qu’avec un soutien américain et de plus en plus européen, les pays de la région se mobilisent dans le cadre notamment du « G5 » : partage accru de renseignements, début de coopération dans la planification des opérations, projets de « droit de suite », perspectives de patrouilles conjointes ou d’unités mixtes, etc.

Ligue dissoute

Côté français, où le dispositif de sécurité a été redéployé sur l’ensemble du Sahel, on se dit non seulement « décidé à préserver les acquis de Serval, en ne laissant personne se réinstaller au nord-Mali », mais aussi convaincu que le sud-ouest libyen est devenu une terre de non-droit, où — à l’abri de la guerre des clans qui sévit dans toute la Libye — il est possible de se ravitailler, s’armer, installer sa famille (2).

Cette zone est sous surveillance étroite, grâce à une conjonction de renseignements humains, électroniques ou satellitaires. Dans le milieu français de la défense, on assure vouloir empêcher toute « reconstitution de ligue dissoute ». Mais on avoue une relative impuissance, ne pouvant envisager d’action sans un large consensus, et n’étant pas le mieux placé pour prendre l’initiative en premier : « On ne va pas refaire le coup précédent sur la Libye, qui nous est reproché par le monde entier », admet un haut responsable.

On se contente donc pour le moment, comme le ministre Jean-Yves Le Drian le fait avec constance depuis septembre dernier, d’attirer l’attention de la communauté internationale sur la constitution de ce nouveau sanctuaire djihadiste, et de dialoguer avec Le Caire — partisan d’une intervention rapide —, et Alger — hostile à toute forme d’opération étrangère, qui aurait sans doute pour conséquence de faire du Sahara algérien la « zone de fuite » des rebelles.

Philippe Leymarie

(1Encouragés par l’inénarrable histrion Bernard Henry-Levy.

(2Ce serait le cas, entre autres, de Mokhtar Benmokhtar, un des principaux chefs djihadistes, qui viendrait – selon les renseignements français - d’y avoir un fils.

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