Ils furent des millions de personnes à travers la France à défiler, samedi 10 et dimanche 11 janvier, après l’attentat contre Charlie Hebdo. Ils exprimaient leur immense émotion devant tous ces morts, mais aussi leur attachement à la liberté de la presse. Or cette célébration a été ternie — c’est le moins que l’on puisse dire — par la présence, en tête du cortège parisien, dimanche, de responsables politiques du monde entier dont le rapport avec la liberté de la presse est pour le moins ambigu. Nous n’évoquerons pas ici le fait que ces dirigeants, notamment occidentaux, ont une responsabilité directe dans la guerre contre le terrorisme lancée depuis une vingtaine d’années et dont le résultat essentiel a signifié plus de terrorisme et plus de chaos pour le monde arabo-musulman.
Lire « “Guerre contre le terrorisme”, acte III », Le Monde diplomatique, octobre 2014.
Nous n’en citerons que quelques-uns, parmi les plus emblématiques. Partons du communiqué de Reporters sans frontières (RSF) qui « s’indigne de la présence à la “marche républicaine” à Paris de dirigeants de pays dans lesquels les journalistes et les blogueurs sont systématiquement brimés, tels l’Egypte, la Russie, la Turquie, l’Algérie et les Emirats arabes unis. Au classement mondial de la liberté de la presse publié par RSF, ces pays sont respectivement 159e, 148e, 154e, 121e et 118e sur 180 ».
En Egypte, en plus des trois journalistes de la chaîne de télévision Al-Jazira emprisonnés depuis plus d’un an, des dizaines d’autres restent en détention (Lire Warda Mohammed, « Egypte, guerre ouverte contre le journalisme », Orient XXI, 3 juillet 2014. J’ai reçu moi-même un message de quatre d’entre eux (dont Abdallah Fakhrani) attendant, depuis plus d’un an, dans les geôles du régime, un éventuel procès (sur leur cas, lire ici, en arabe). Ce même jour où le ministre des affaires étrangères égyptien défile place de la République, une cour condamne à trois ans de prison un Egyptien pour athéisme.
Le site de 20 minutes écrit : « Symbole de l’aberration, le communiqué du ministère des affaires étrangères du Maroc annonçant sa présence à la manifestation, mais précisant “au cas où des caricatures du Prophète — prière et salut sur Lui —, seraient représentées pendant cette marche, le ministre des affaires étrangères et de la coopération ou tout autre officiel marocain ne pourraient y participer”. »
Quant à la Turquie, elle a, ces derniers mois, intensifié la répression contre la presse (1). Le président Recep Tayyip Erdogan a ainsi fustigé le bilan 2014 des violences contre les journalistes publié par Reporters sans frontières (RSF). A quoi l’organisation a répondu : « Reporters sans frontières tient à la disposition de M. Erdogan les précisions sur les 117 cas d’agressions et menaces de journalistes recensées cette année en Turquie, relève Christophe Deloire, secrétaire général de l’organisation. Faut-il rappeler que RSF est une organisation indépendante et impartiale, dont les conclusions s’appuient sur une méthodologie précise et des faits dont nous pouvons rendre compte ? (…) Les accusations contre RSF participent de la même hostilité contre le pluralisme que celle dont fait preuve le chef de l’Etat contre des journalistes turcs qui n’ont pas l’heur de lui plaire. »
Nous n’évoquerons pas ici les autres pays où la liberté de la presse est bafouée mais qui ne sont pas situés dans la zone couverte par ce blog. Un dernier mot concerne la venue de Benyamin Nétanyahou, le premier ministre israélien, criminel de guerre « présumé », et de quelques-uns des ses ministre encore plus à l’extrême droite que lui, si c’est possible. Un texte publié dans Haaretz d’Ido Amin, ce 12 janvier (« In Israel, “Charlie Hebdo” would not have even had the right to exist »), faisait remarquer qu’un journal comme Charlie Hebdo ne pourrait pas exister en Israël. Et les journalistes palestiniens emprisonnés, sans parler de ceux qui ont été tués à Gaza par exemple, témoignent de la liberté de la presse « made in Israel ». Au demeurant, la présence de ces ministres est une insulte à toutes les valeurs dont prétendent se parer les organisateurs de la manifestation, un hold-up qu’il est important de dénoncer.