Voir aussi la sélection d’archives du Monde diplomatique :
« Après les tueries à Paris ».
En 1914, l’ensemble des parlementaires, toutes tendances confondues, chantaient « La Marseillaise » debout et à l’unisson. L’union nationale avait alors vu les dirigeants socialistes trahir tous leurs engagements en faveur de la paix, voter les crédits de guerre et avaliser une boucherie qui devait durer jusqu’en 1918. La scène s’est reproduite le 13 janvier à l’Assemblée nationale et l’union sacrée est à nouveau à l’ordre du jour. Mais elle signifie cette fois-ci l’exclusion de la communauté nationale de tous les mauvais Français, et d’abord des jeunes issus des quartiers populaires, désignés par les médias et les politiques comme « ces pelés, ces galeux, dont (viendrait) tout le mal » (La Fontaine). Ils sont responsables, et surtout ne nous interrogeons pas sur les politiques économiques et sociales qui ont abouti à toujours plus d’inégalités, à toujours plus d’exclusion des classes populaires ; et ne remettons pas en question nos engagements à l’étranger. « Nous sommes en guerre », a déclaré le premier ministre Manuel Valls (1). Et, comme en 1914, ceux qui doutent du bien-fondé de ces stratégies sont des traîtres.
Répondant à une question du député Claude Goasguen, la ministre de l’éducation Najat Vallaud-Belkacem a déclaré le 14 janvier :
« Je leur ai en effet adressé [aux chefs d’établissement] une lettre leur demandant non seulement de faire respecter la minute de silence le lendemain, mais aussi de créer des espaces d’échanges et de dialogue. Ils l’ont fait, je les en remercie. Ca ne s’est pas toujours bien passé. Des incidents ont eu lieu, ils sont même nombreux et ils sont graves et aucun d’entre eux ne doit être traité à la légère. Et aucun d’entre eux ne sera traité à la légère. Vous me demandez combien nous sont remontés ? Je vais vous répondre. S’agissant de la minute de silence elle-même c’est une centaine d’incidents qui nous ont été remontés. Les jours qui ont suivi nous avons demandé la même vigilance, et c’est une nouvelle centaine d’évènements et d’incidents qui nous ont été remontés. Parmi eux une quarantaine ont d’ailleurs été transmis aux services de police, de gendarmerie, de justice, parce que pour certains il s’agissait même d’apologie du terrorisme. Nous ne pouvons pas laisser passer cela. »
Interrogeons-nous sur plusieurs éléments de ce discours :
• la minute de silence était « facultative » dans les maternelles (certaines l’ont quand même observée, avec des enfants de trois à six ans !) mais obligatoire dans tous les autres établissements scolaires. Est-il normal de demander, souvent sans discussion, à des enfants de 12 ans de respecter impérativement une minute de silence ? La ministre n’a comptabilisé que deux cents d’incidents, mais elle oublie de dire que nombre d’établissements n’ont rien demandé à leurs élèves tellement ils avaient peur des réactions ;
• est-il normal de transmettre aux services de police les coordonnées de ceux qui s’y sont refusés ? La délation relève-t-elle des enseignants ? Ces jeunes de 15 ou 16 ans qui posent des questions, parfois provocatrices, sont-ils des criminels ?
• un certain nombre de personnalités et d’intellectuels ont clairement affirmé que, tout en condamnant les attentats, ils ne défileraient pas le 11 janvier, qu’ils n’observeraient pas une minute de silence. D’autres, qui ont défilé, posent de vraies questions. Va-t-on les inculper à leur tour ? Il est pour le moins paradoxal, au moment où l’on se gargarise de la liberté d’expression, de refuser toute voix dissidente — bien que nous sachions depuis longtemps que Patrick Cohen, sur France Inter, et la « matinale » de France Culture refusent d’inviter « les cerveaux malades ». Un sondage du Journal du dimanche du 18 décembre indiquait pourtant que 42 % des Français n’étaient pas favorables à la publication de caricatures du Prophète. Faut-il les rayer de la communauté nationale ?
Rappelons que ce ne sont pas ces intellectuels « blancs » qui risquent le plus, mais tous ces jeunes des quartiers populaires déjà stigmatisés, renvoyés à leur ghetto, et que l’on met en prison. On parle beaucoup, et on a raison de le faire, des juifs qui ont peur. Mais qui a interrogé ces femmes portant foulard qui ne veulent plus sortir de chez elles ?
Mme Vallaud-Belkacem poursuit :
« Oui, l’école est en première ligne. L’école est en première ligne, elle sera ferme pour sanctionner, pour créer du dialogue éducatif, y compris avec les parents car les parents sont des acteurs de la coéducation. L’école est en première ligne aussi pour répondre à une autre question car même là où il n’y a pas eu d’incidents il y a eu de trop nombreux questionnements de la part des élèves, et nous avons tous entendu les “oui je soutiens Charlie, mais…”, les “deux poids deux mesures”. “Pourquoi défendre la liberté d’expression ici et pas là ?” Ces questions nous sont insupportables, surtout lorsqu’on les entend à l’école qui est chargée de transmettre des valeurs. Et il nous faut nous interroger sur notre capacité à le faire, c’est ce que le premier ministre a fait devant les recteurs hier, c’est la raison pour laquelle je mobilise l’ensemble de la communauté éducative pour que nous ne répondions pas que par des discours mais par des actes forts. »
Une ministre de l’éducation nationale qui parle du rôle de l’école et qui évoque « de trop nombreux questionnements » ? On pensait, naïvement, que l’école devait ouvrir à l’esprit critique, instiller le doute. Voltaire est sans cesse convoqué pour cela. Mais Mme Vallaud-Belkacem a une tout autre vision… Les « mais » sont interdits, elle ne veut voir dépasser aucune tête.
S’il fallait mettre en exergue une réaction qui montre la confusion qui règne parfois dans les esprits, on ne saurait trop conseiller de lire le communique du 12 janvier de la fédération de Paris du Syndicat national de l’enseignement secondaire (SNES).
Il minimise d’abord la présence des chefs d’Etat étrangers :
« Peu importe la présence de chefs d’Etat plus ou moins respectueux des libertés dans leurs propres pays. Hier nous avons marché pour le respect de la vie humaine, de la sécurité publique et des libertés fondamentales. Nous étions très nombreux, divers, calmes et déterminés. Nous avons porté une exigence de paix — aucun message de haine, aucune déclaration de guerre — et de Liberté : liberté d’expression et liberté d’être tout simplement ce que l’on a décidé d’être ! »
Côtoyer des représentants de régimes tortionnaires ne pose donc aucun problème ? Là aussi, il n’y a pas de doute possible.
« Nous savons que la minute de silence dans nos établissements a fait l’objet de diverses réceptions de la part de nos élèves qui n’adhèrent pas tous à ce projet égalitaire et républicain. Nous disons que l’Institution ne peut accepter certains propos et un rappel à l’ordre sévère doit être signifié aux quelques élèves, peu nombreux, qui ont tenu des propos inacceptables ou ont eu des postures déplacées. L’Ecole ne peut pas donner de signes de faiblesse et doit rester ferme sur la ligne de la laïcité en signifiant clairement à ces élèves qu’elle ne transigera pas sur la liberté d’expression, y compris celle de blasphémer. »
« Le Rectorat n’a transmis aucune consigne de modération vis-à-vis de ces élèves, nous en avons eu confirmation. Nous devons faire comprendre à nos élèves que la loi de la République est au-dessus des règles communautaires. En refusant ce principe laïque élémentaire, ils s’excluent de la République garante des libertés y compris la liberté de culte. »
Ils s’excluent de la République ? Qu’est-ce à dire ? N’est-ce pas plutôt la République qui les a exclus depuis longtemps ? Et si cette exclusion n’excuse ni le complotisme ni l’antisémitisme, elle permet de comprendre les raisons de certaines réactions et de définir une ligne d’action pour les combattre.
Interrogé, un responsable du SNES-Paris soulignait que ce texte avait été adopté le 12 janvier, avant que l’on assiste à des condamnations pour « apologie du terrorisme », condamnations qu’il juge très négativement et dont il tient à se démarquer.
Celles-ci se sont multipliées, de l’inculpation de jeunes pour des dessins (oui !) à la condamnation à Grenoble à six mois de prison ferme d’un déficient mental. La ministre de la justice Christine Taubira se discrédite en prônant la fermeté dans ces affaires, elle qui ne poursuit pas Eric Zemmour, par exemple, pour ses propos racistes (lire Pascale Robert-Diard, « Des peines très sévères pour apologie du terrorisme », lemonde.fr, 19 janvier 2015). Deux poids, deux mesures ? Oui, il faut le dire, la République française est tout sauf égalitaire. Faut-il s’étonner que les jeunes des quartiers populaires en aient conscience ? Et, sans les excuser en aucune manière, ne peut-on pas comprendre certaines de leurs réactions ?
Note : Je reviendrai sur le concept d’« apologie du terrorisme », mais il est à noter dès maintenant qu’il peut être utilisé contre ceux qui défendent les Palestiniens et le droit à résister à l’occupation israélienne.
Histoire comparée des indépendances au Maghreb
Université populaire d’Orient XXI et de l’iremmo Samedi 24 janvier
Programme :
Séance 1 (10h30-12h30) : Algérie en 1962 : une indépendance à multiples enjeux avec Amar Mohand Amer,chercheur au Centre national d’anthropologie sociale et culturelle (CRASC) d’Oran.
Séance 2 (14h-16h) : Maroc : une indépendance inachevée ?, avec Raymond Benhaim, économiste et membre fondateur du Cedetim.
Séance 3 (16h15-18h) : Tunisie, d’une société coloniale à un État indépendant : questions autour d’une transition, avec Kmar Bendana, professeure d’histoire contemporaine à l’Université de La Manouba.
L’Université populaire 2014/2015 est organisée en partenariat avec le magazine en ligne Orient XXI.
Journée organisée avec le soutien de la Fondation René Seydoux.
Prochaines sessions d’Université populaire :
Samedi 7 février : Le nationalisme arabe : des origines à nos jours
Samedi 7 mars : L’Égypte de 1952 à nos jours
Samedi 11 avril : Le sionisme : des origines à nos jours
Samedi 16 mai : Histoire du chiisme
Samedi 13 juin : Histoire de la Péninsule arabique
Informations pratiques :
• Contact et inscription : universite-populaire@iremmo.org
• Participation : La journée : 20/12€* / Le cycle annuel : 120/80€*
*Tarif réduit : étudiants et demandeurs d’emploi• Lieu : iReMMO 5, rue Basse des Carmes, 75005 Paris (M° : Maubert Mutualité)