Lire aussi « Aux origines des controverses sur la laïcité », Le Monde diplomatique, août 2003.
Décidément, la laïcité est mise à toutes les sauces. Quel est le rapport entre la laïcité et les attentats contre Charlie Hebdo ? En quoi un renforcement de l’enseignement de la laïcité, qui n’est synonyme ni de tolérance ni d’égalité hommes-femmes, mais qui régit les rapport des Eglises et de l’Etat (selon la formulation de la loi de 1905), résoudra-t-il le problème des quartiers populaires ? Les mêmes qui piétinent allègrement les principes de la République, particulièrement celui d’égalité, voudraient faire de la laïcité un concept fondateur, mais dans le seul but de justifier leur islamophobie. Répétons-le, la laïcité concerne la place de la religion et garantit le droit de tous les fidèles à exercer leur foi en toute liberté (y compris dans l’espace public : la loi de 1905 n’a jamais aboli les processions religieuses, par exemple).
Je publie ci-dessous de courts extraits édités de mon livre La République, l’islam et le monde (Pluriel, Fayard), qui a été réédité en 2014.
Il existe en France une « mentalité laïque », selon la formulation de Jean Boussinesq, vieil adhérent de l’Union rationaliste et auteur d’une indispensable présentation des textes officiels qui régissent la laïcité : « Mentalité vague mais prégnante chez la grande majorité des Français, qui se disent sincèrement attachés à la laïcité, mais qui donnent à ce mot des significations parfois assez différentes des textes institutionnels ou de la pratique politique, parce qu’en fait très peu de gens ont lu les textes. » Et de conclure ironiquement : « Autrefois, dans les examens pour rire qu’on faisait passer aux bizuths dans certaines classes, il y avait un sujet de dissertation qui revenait souvent : “Métaphysique et bicyclette”. On sourit. Pourtant, est-ce plus farfelu que “Piscine et laïcité” ? » Et que Charlie et laïcité ?
Comment s’étonner que le concept de laïcité soit si souvent utilisé à mauvais escient ? Quand le ministre de l’intérieur français de l’époque, Nicolas Sarkozy, proclame que les femmes doivent paraître sur les photos d’identité tête nue, il pose un problème d’ordre public, pas de laïcité… Quand on évoque la mixité à l’école, il s’agit d’égalité entre garçons et filles, pas de laïcité — l’école laïque s’est bien accommodée, jusqu’à la fin des années 1960, de la séparation des sexes, et la République laïque, pendant des décennies, du refus du droit de vote aux femmes… Et que penser d’un quotidien du soir qui titre sur toute une page « Le principe de laïcité subit de multiples entorses sur les terrains » (de sport) ; quel rapport entre le football ou la course à pied et les religions ?
« En le votant [le projet de loi de séparation des Eglises et de l’Etat], vous ramènerez l’Etat à une juste appréciation de son rôle et de sa fonction : vous rendrez la République à la véritable tradition révolutionnaire et vous aurez accordé à l’Eglise ce qu’elle a seulement le droit d’exiger, à savoir la pleine liberté de s’organiser, de vivre, de se développer selon ses règles et par ses propres moyens, sans autre restriction que le respect des lois et de l’ordre public. » (Aristide Briand, Rapport sur le projet de loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat, 4 mars 1905). Un siècle et quelque plus tard, il vaut mieux être avec Aristide Briand et son mentor de l’époque Jean Jaurès, qu’avec Manuel Valls et Guéant (lire « Oui à Briand et à Jaurès, non à Guéant et à Valls (I) »)