Avec Rouge, une commande d’écriture passée à Emmanuel Darley, Maïanne Barthès, metteure en scène de trente ans et co-fondatrice de la Compagnie United Megaphone, voulait interroger les ruptures politiques qui poussent des hommes et des femmes à passer par la violence armée pour faire changer l’ordre des choses.
En créant ce spectacle au Théâtre Studio d’Alfortville en janvier 2015, elle ne pensait sans doute pas être rattrapée par l’actualité qui déplace le curseur de ses interrogations et risque de venir brouiller la lecture d’un spectacle original, osé, qui créée le trouble et bouscule nos représentations.
Ils sont six, trois garçons et trois filles, tout juste sortis de l’adolescence, qui vont organiser la vie de leur groupe autour d’un squat, Quartier libre, point de ralliement et de contestation ouvert aux clandestins, sans emploi et travailleurs pauvres. Ils se sont rencontrés à la fac, dans la rue, ont fait des manifestations ensemble. Ils ont en commun le refus d’un monde où la finance et le capitalisme dictent des lois iniques. Où une jeune caissière va se faire virer d’un supermarché pour avoir tenté de récupérer pour elle des fruits périmés destinés aux poubelles. Tandis qu’un cadre énumère la longue litanie de ses privilèges et de ses passe-droits. Télescopages.
« Tu regardes oui dans les rues ces gens tous ces gens là qui tendent la main qui te demandent si tu n’aurais pas non une pièce quelque chose minimum pour tenir qui dans les poubelles fouillent et puis qui se protègent qui s’emmitouflent dans des cartons et puis sur les bouches de métro pour tenir et puis dormir comment ça enfle comment ça se multiplie et les gens aussi qui vivent dans leur bagnole ou dans des caravanes ou bien dans ces tentes là minuscules mais aussi pas seulement ceux-là si comment visibles les autres aussi ceux qui se nourrissent et le reste discount pas cher de chez pas cher la viande oui au rabais qu’on sait pas trop d’où ni quoi ou même non pas de viande bien trop cher et puis aussi ceux-là qui font oui l’impasse sur eux je ne sais pas sur les lunettes ou sur les dents tant pis pas possible impossible on verra peut-être un jour quand d’autres se la coulent douce profitent de tout au chaud et à l’abri. »
L’écriture d’Emmanuel Darley est nerveuse. Des phrases courtes. Ou de longs paragraphes. Avec ou sans ponctuation. Qui laisse aux comédiens une liberté totale pour jouer avec le texte, avec son souffle, ses blancs, ses images. Un texte écrit sur mesure pour leur jeunesse et leur aspiration à la révolte.
Alors ça ne peut plus durer. Il faut « passer outre le système » et se lancer dans l’action. Cela commence de manière sympathique par le saccage à la peinture rouge de tous les DAB (Distributeurs Automatiques de Billets) de cette ville imaginaire qui pourrait être celle où l’on vit. Rouge comme un pied de nez et un défi. Rouge comme une couleur de lutte. « Se faire voir rouge. Signer rouge. Ecrire rouge. Voir rouge. » pour s’en prendre symboliquement aux banques, là où s’amasse l’argent tandis que les pauvres n’en finissent plus de payer la crise économique et sociale.
Mais très vite ça vrille et Rouge va basculer des bombes de peinture aux bombes et aux attaques armées. Les objectifs ne sont plus très clairs. Il y a des bavures. On ne sait plus s’ils luttent politiquement ou s’ils risquent leur vie seulement pour avoir des armes et de l’argent. Ils jouent avec celle des autres et finissent par reproduire, même entre eux, les rapports de brutalité inhumaine qu’ils exécraient dans le système capitaliste qu’ils voulaient combattre.
La pièce s’inspire explicitement de multiples références aux groupes armés des années 70 et 80 : Fraction Armée Rouge en Allemagne, Brigades rouges en Italie, Action directe en France..., sans chercher une quelconque reconstitution historique. Elle transpose ce matériau dans une réalité contemporaine qui pourrait resurgir à tout moment. C’est à la fois sa réussite et sa limite. La crédibilité de la fabrication d’un groupe de révoltés est ici totale. Elle passe par une mise en scène et une scénographie sans faille. Utilisation du plateau dans toutes ses dimensions, horizontales et verticales, manipulation inventive de simples cageots pour créer un espace mental et configurer un espace alternatif, jeux de lumières, musique et chansons amassées par Alain Féral et interprétation formidable des comédiens : Hugues Chabalier, Fanny Chiressi — scotchante dans un rap anticapitaliste en allemand —, Charlotte Ligneau, Matthieu Lemenir, Marc Menahem et Anne-Juliette Vassort. On aime la technique du récit choral et la composition des personnages, le rythme, le jeu et le plein engagement de ces jeunes acteurs.
On est moins convaincu par le déroulement du texte qui après avoir finement autopsié les mécanismes de la révolte semble perdre un peu sa route et emprunter une conclusion plus paresseuse et convenue où les révoltés deviennent des terroristes, tuent et sont tués. Cela fait l’impasse sur les enjeux existentiels et les questionnements politiques qui forcément traversent ces jeunes gens et nous traversent aussi.
Jusqu’au 31 janvier 2015 au Théâtre Studio d’Alfortville
Du 2 au 4 février 2015 au Nouveau Théâtre du Huitième à Lyon
Du 31 mars au 2 avril 2015 à la Comédie de Saint-Etienne-CDN
Du 9 au 11 avril 2015 au Théâtre de la Minoterie à Marseille
Le 23 mai au Centre Culturel Charlie Chaplin à Vaulx-en-Velin.