En kiosques : décembre 2024
Abonnement Faire un don
Accéder au menu

Sous la jupe des musulmanes

Jaurès et Briand, réveillez-vous ! Ils sont devenus fous

par Alain Gresh, 14 avril 2015

On se frotte les yeux. On relit, une fois, deux fois, trois fois. On se dit que c’est un pastiche, une plaisanterie, une facétie, une blague, un faux, une bouffonnerie, je ne sais quoi encore. On se dit que c’est peut-être un membre du Front national qui se laisse aller à ses fantasmes. Ou un petit garçon qui n’a pas réglé ses problèmes avec les petites filles et qui regrette de ne pas pouvoir regarder sous leurs jupes. Et puis, accablé, il faut se rendre à l’évidence. Le texte se veut sérieux, écrit par un homme « de gauche », qui fut responsable d’Attac et du MRAP, et qui sévit aujourd’hui à la Fondation Copernic.

Son article s’intitule « Les intégristes religieux imposent la jupe sexoséparatiste à l’école » (blogs de Médiapart, 5 avril 2015) :

« Les intégristes religieux juifs haredim et musulmans imposent aux croyantes et autres femmes la jupe très très longue et très large — celle cachant les chevilles donc ras-du-bitume — et pas que le seul voile. Le sexoséparatisme intégriste ne se limite évidemment pas qu’au voile. Qui croyait à ça !

Et le plus dur ce n’est pas que tout cm2 de peau doit être caché des mâles concupiscents, c’est que ce doit être constant, permanent, tout le jour, tous les jours, quasiment toute la vie (sauf première jeunesse). Ce totalitarisme sexiste exige une personnalité psychorigide, intolérante, irrespectueuse d’autrui. Il faut la tolérer elle telle qu’elle est car elle ne bougera pas. »

Vous n’avez pas tout compris ? Moi non plus, la maîtrise de la langue française ne semble pas être le fort de notre inquisiteur. Mais il a quand même des remèdes pour lutter contre le sexoséparatime, qui devrait faire sursauter plus d’une féministe des années 1970.

« Le fait d’avoir des mini-jupes au lycée est un moyen d’un double combat pour la dignité et le respect des jeunes-filles :

1) contre les intégristes sexoséparatistes d’une part ;

2) pour l’éducation des jeunes garçons d’autre part.

Tous les profs savent qu’il y a un besoin d’éducation à cet âge là.

Je sais aussi que souvent ce sont les jeunes-filles en jupes courtes qui sont stigmatisées et renvoyées chez elles à la plus grande satisfaction des garçons, qui savourent un machisme “en herbe”, ce qui est anti-pédagogique mais hélas courant. »

Si vous avez compris la construction de cette dernière phrase, mes félicitations. Ces propos relèveraient du simple délire s’ils n’avaient des conséquences concrètes sur la vie de milliers de jeunes filles stigmatisées, montrées du doigt, attaquées dans la rue sans que personne ne s’en offusque. Qui a entendu cette histoire d’une femme enceinte, frappée devant ses enfants ? Quel média a enquêté sur cet incident ?

Notre ancien dirigeant d’Attac et du MRAP n’est pas hostile à des mesures contre ces filles voilées qui cachent le corps des femmes qui devrait toujours être offert aux garçons. Et il met en valeur l’expérience faite à Montpellier (lire « Laïcité à Montpellier : des jupes longues font débat au collège des Garrigues », Midi libre, 1er avril 2015 — et ce n’est pas un poisson d’avril) (1).

Que s’est-il passé à Montpellier ? Deux élèves qui portaient des robes longues ont été interdites d’entrée par la principale du collège. Une vingtaine de camarades ont mené une action de solidarité en adoptant la même tenue. Il paraît qu’après, tout est rentré dans l’ordre. Qu’est-ce à dire ? La directrice a signalé l’affaire à la préfecture : en termes clairs, elle a dénoncé des élèves à la police et elle s’en vante ! La police fera-t-elle bientôt son entrée dans les écoles pour surveiller la longueur des jupes de nos enfants ? Faudra-t-il que ces jupes soient au-dessus du genoux car sinon elles seraient signe d’une pudeur socialement inacceptable ?

La mère d’une des deux élèves a été convoquée par cette directrice, qui lui a déclaré, à propos du refus des robes longues : « ceci est mon règlement », tout en menaçant d’exclure l’élève en question. Une nouvelle fois, contre leur gré, ce sont les filles qui sont victimes de la volonté de certains de les « libérer » — et si cela doit passer par l’exclusion, tant pis.

J’avais déjà signalé un incident de ce genre en 2011 sur ce blog (lire « Jupe et string obligatoires »). L’incident du collège des Garrigues est d’autant plus inquiétant qu’il s’inscrit dans un délire islamophobe qui va du refus des menus sans porc dans les cantines scolaires aux nouvelles lois en préparation. Le 13 mai, le Parlement examinera en effet une loi interdisant le port du foulard dans les structures de la petite enfance, laquelle a été proposée par les radicaux de gauche et soutenue par le Parti socialiste et l’ensemble de la droite (seuls le Parti communiste et les Verts sont contre). Son adoption marquerait une étape supplémentaire dans la stigmatisation des musulmanes et des musulmans.

Les fondateurs de la laïcité, Aristide Briand et Jean Jaurès doivent se retourner dans leurs tombes et maudire leurs successeurs qui osent se réclamer de leur héritage pour stigmatiser, condamner, agresser une partie de la population française (lire, sur ce blog, « Oui à Briand et à Jaurès, non à Guéant et à Valls (I) »).

Alain Gresh

(1Lire aussi l’excellent article « NPA34 : les débats nécessaires ».

Partager cet article