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Les exportations au secours de l’industrie de defense (III)

Cocorico, M. Le Drian

A quelques jours du Salon aéronautique international du Bourget, qui mettra en vedette notamment le Rafale français, enfin sorti des limbes exclusivement nationales, la parution du rapport au Parlement sur les exportations d’armement pour 2014 se veut éclairante, dans le genre auto-justification bien sûr. Ces extraits choisis du rapport sont à lire en regard des deux premiers volets de la série sur « les exportations au secours de l’industrie de défense » (1).

par Philippe Leymarie, 5 juin 2015

Cocorico « Je suis heureux et fier, écrit le ministre Jean-Yves Le Drian en introduction, de pouvoir saluer le niveau déjà exceptionnel des résultats que nous avons obtenus à l’exportation en 2014. Avec 8,2 milliards d’euros, les prises de commandes de l’industrie française progressent de près de 18 % par rapport à 2013… »

Historique – Cocorico prolongé le jeudi 4 juin, lors de la présentation à l’Assemblée nationale de l’actualisation de la Loi de programmation militaire (LPM) : décidé dans la foulée des attentats de janvier, l’accroissement des moyens (nouveau contrat de protection sur le territoire, onze mille postes dans l’armée de terre et le renseignement, etc.) et ressources (3,8 milliards d’euros supplémentaires sur trois ans) va, entre autres, « favoriser notre industrie de défense ». C’est, selon le ministre, « un effort considérable… sans précédent dans notre histoire militaire récente », tout comme « le droit accordé aux soldats d’adhérer librement à des associations professionnelles nationales de militaires (APNM) – et seulement à elles ».

A prouver « Le rapport français sur les exportations de défense est unique en Europe, ne serait-ce que par les éléments très concrets qu’il apporte. Il est ainsi, par exemple, le seul instrument de ce type à fournir des informations complètes sur les exportations réelles effectuées par notre pays. (2) »

Besoin légitime

Le document du ministère de la défense développe les arguments qui justifient, à ses yeux, la posture entreprenante de la France dans ce domaine (et que nous avions évoqués et parfois critiqué dans des notes précédentes).

Toujours l’exception française« Disposant d’une industrie de pointe présente sur tous les segments du marché de l’armement, la France est l’un des rares fournisseurs du marché mondial à pouvoir participer à la plupart des grands appels d’offres internationaux. »

Autojustification« Les exportations d’armement répondent au besoin légitime de certains Etats désireux de renforcer leur sécurité et d’affirmer leur souveraineté dans un contexte international lourd de menaces. »

Outil politique« En fournissant des matériels de défense à un nombre choisi de clients, la France traduit ainsi de façon concrète sa politique de partenariat dans le domaine militaire qui est un volet important de sa politique étrangère. »

Tous azimuts« La conclusion de contrats d’exportation contribue à la consolidation de l’industrie française de défense, au développement économique de la France et au renforcement de la sécurité nationale. »

Sur la durée« Consciente de ses responsabilités en tant que fournisseur d’équipements militaires, la France s’attache à ne pas réduire les exportations d’armement à leur seule dimension commerciale et les envisage dans le cadre d’un partenariat structurant qui entraîne des relations denses et durables, tant sur un plan politique et militaire qu’en matière économique et industrielle. C’est à ce titre que la France est disposée à procéder à des transferts de production ou de technologie négociés dans le cadre de contrats de long terme… »

D’Etat à Etat« Il paraît nécessaire que la France explore les modalités de mise en place d’un système permettant de répondre aux attentes de nos partenaires stratégiques qui souhaitent voir l’Etat français s’impliquer directement dans les opérations de fourniture de matériel de défense. »

Comme l’Amérique« Les Etats-Unis utilisent largement les contrats d’Etat à Etat (Foreign Military Sales ou contrats FMS) pour leurs propres exportations de défense. Cette vente à des Etats de matériels militaires achetés par le gouvernement américain représenterait plus du tiers du total des exportations de défense américaines. »

Nouveaux acteurs« La concurrence entre pays exportateurs est de plus en plus vive sur le marché mondial de l’armement. Outre la concurrence des acteurs dominants (Etats-Unis et Russie), la France doit ainsi tenir compte de celle des autres exportateurs européens (qui doivent s’adapter à la réduction des dépenses militaires et cherchent en conséquence de nouveaux débouchés à l’export) et, de plus en plus, de celle des exportateurs émergents, comme le Brésil, la Corée du Sud, Israël, la Chine ou la Turquie, capables de répondre dans plusieurs secteurs aux appels d’offres internationaux, et ainsi concurrencer les grands fournisseurs occidentaux. »

En route pour la gloire

Bon rang« L’ensemble des segments du secteur industriel de l’armement ont contribué à la bonne performance enregistrée en 2014 : terrestre, spatial, naval, aéronautique et munitions. Solidement établie dans la durée au quatrième rang des exportateurs mondiaux d’armement, la France est inscrite depuis deux ans dans une dynamique d’augmentation de ses parts de marché, ce qui lui permet d’envisager un renforcement de sa position à moyen terme.

Effets induits « Cette évolution positive favorise la consolidation et la modernisation de la base industrielle et technologique de défense de la France. Dans un contexte marqué par un engagement opérationnel important des forces armées françaises, la bonne tenue des exportations d’armement de la France est un atout essentiel pour la mise en œuvre de sa politique de défense et de sécurité et le renforcement de son influence sur la scène internationale. »

Ethique« La France pratique une politique d’exportation responsable qui s’exerce dans le strict respect de ses engagements internationaux, en particulier en matière de lutte contre la prolifération des armes de destruction massive et de prévention de la dissémination des armements conventionnels. »

Cohérence« Volet indissociable de notre stratégie d’exportation, la politique de contrôle en garantit la cohérence avec notre politique étrangère, de défense et de sécurité. Elle est un instrument essentiel de lutte contre les trafics et les flux déstabilisants qui alimentent les crises et les conflits à travers le monde. Elle prend tout autant en compte l’existence d’alliances et de partenariats avec certains pays qui traduisent les grandes orientations stratégiques de la France au niveau international. »

Rigueur« Le dispositif de contrôle de la France est particulièrement rigoureux. Les exportations d’armement sont interdites sauf autorisation de l’Etat et sous son contrôle. La délivrance des autorisations d’exportation est donc avant tout un acte de souveraineté qui s’inscrit dans le cadre de la politique étrangère de défense et de sécurité de la France. Elle fait l’objet d’une procédure interministérielle au cours de laquelle les demandes d’exportation sont évaluées sur la base de critères – dont ceux définis au niveau européen par la position commune 2008/944/PESC – prenant notamment en compte la paix et la stabilité internationales, la sécurité de nos forces et celles de nos alliés ainsi que le respect des droits de l’Homme. (3) »

Simplification« De nouvelles dispositions ont été introduites telles que le principe de “licence unique” (couvrant l’intégralité d’une opération d’exportation ou de transfert, de la négociation du contrat jusqu’à la sortie physique des équipements du territoire national), la création des licences générales ou encore la mise en place d’un contrôle a posteriori. » Une réforme qui, soutient le rapport du ministère, « n’affecte en rien la portée et la rigueur du contrôle exercé par l’Etat sur l’ensemble du secteur de la défense (4) ».

Paradis saoudien

Toutes ces restrictions n’ont pas empêché la France de se tailler en 2014 une part enviable sur le marché international des ventes d’armes, avec une progression de près d’un cinquième des prises de commandes, par rapport à 2013.

Good vibes« Solidement établie dans la durée au quatrième rang des exportateurs mondiaux d’armement, la France est inscrite depuis deux ans dans une dynamique d’augmentation de ses parts de marché, ce qui lui permet d’envisager un renforcement de sa position à moyen terme. »

Notre ami le Roi« La région du Proche-Orient et du Moyen-Orient représente la majeure partie des prises de commandes (5 735 millions d’euros). Ce résultat est essentiellement dû aux accords conclus avec l’Arabie Saoudite (deux grands contrats d’équipement dans le domaine terrestre, auxquels il convient d’ajouter le financement du contrat d’armement en faveur de l’armée libanaise) (5) ».

Futur engageant« La zone Asie-Pacifique – qui était la première destination des exportations françaises en 2012 – enregistre 25 % du total des prises de commandes (981,2 millions d’euros, grâce notamment à l’Inde), suivie de l’Amérique latine, de l’Asie centrale-Russie, et de l’Europe. » L’année 2015 devrait être encore plus florissante, grâce notamment aux trois contrats sur le Rafale conclus en début d’année avec l’Egypte, le Qatar, et l’Inde.

Sans rapport – A propos d’export, et sans rapport direct avec ce qui précède, la France serait par ailleurs le « premier fournisseur européen de djihadistes » selon la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur la surveillance des filières et des individus djihadistes, qui vient de remettre son rapport.

Un bilan en date du 26 mai, établit que quatre cent cinquante-sept Français seraient actuellement en Syrie (dont cent trente-sept femmes et quatre-vingts mineurs), trois cent vingt personnes seraient en transit vers les zones de combat, cent cinq individus y ont déjà perdu la vie (dont huit dans des opérations-suicides), et deux y seraient détenus. Deux cent treize personnes seraient déjà rentrées en France tandis que cinq cent vingt et une auraient des projets de départ.

En agrégeant ces données, « la France apparaît actuellement comme le principal pays européen de départ [avec huit cent quatre-vingt-quatre personnes au total], suivie par le Royaume-Uni (sept cents départs), l’Allemagne (six cents) et la Belgique (deux cent cinquante environ) », souligne le rapport.

Et si, finalement, cela avait un rapport, au moins indirect, avec tout ce qui précède ?

Les exportations au secours de l’industrie de défense

Première partie : « Le pis-aller des ventes d’armes ».

Deuxième partie : « Et si les citoyens prenaient le contrôle des ventes d’armes ? ».

Philippe Leymarie

(2Plusieurs ONG spécialisées estiment qu’il manque toujours une ventilation par catégorie de matériels et par client, ce qui rend impossible un véritable contrôle.

(3Sont concernés, outre le ministère de la défense, les ministères des affaires étrangères et de l’économie. Les services de renseignement et les postes diplomatiques sont également sollicités. Des directives générales, tenant compte de l’ensemble des critères précités, sont élaborées chaque année par pays ainsi que par catégorie d’équipements, pour « assurer la cohérence et l’efficacité » du dispositif.

(4Le contrôle à posteriori de trente-sept entreprises en 2014 a donné lieu, pour un tiers d’entre elles, à un complément d’information, la transmission au procureur de la République, une lettre de rappel à la loi, une mise sous surveillance ou un nouveau contrôle.

(5Entre 2010 et 2014, l’Arabie Saoudite s’est positionnée comme étant le client majeur de la france, avec 12 milliards d’euros de commande. Elle est suivie par l’Inde et le Brésil (6 milliards), les Emirats Arabes Unis (4 milliards), les Etats-Unis et le Maroc (3 milliards) et enfin le Royaume-Uni, la Malaisie, Singapour et la Russie (2 milliards).

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