Les minuscules rochers des îles Spratleys, au milieu de la mer de Chine orientale, vont-ils déclencher une guerre entre les Etats-Unis et le Chine ? Nous n’en sommes pas encore là. Mais la guerre des mots et des symboles est lancée. En pleine session plénière du comité central du Parti communiste chinois (qui se réunit une fois par an), les Etats-Unis ont envoyé le 26 octobre un destroyer dans les eaux revendiquées par la Chine (12 milles marins du rocher Subi). Pékin a immédiatement réagi en menaçant de dépêcher un navire militaire sur zone et a convoqué l’ambassadeur des Etats-Unis.
Chacun accuse l’autre de provocations et d’aventurisme. La presse américaine salue l’acte de courage de M. Barack Obama (qui reçoit l’approbation des Républicains) tandis que les médias chinois dénoncent l’arrogance américaine. La blogosphère chinoise se mobilise et réclame des mesures de rétorsion ; certains blogueurs jugent même la réaction de M. Xi Jinping beaucoup trop molle.
Voir aussi « Le président chinois le plus puissant depuis Mao Zedong », Le Monde diplomatique, octobre 2015.
En fait, Chinois et Américains essaient d’imposer leur propre « interprétation de la loi maritime internationale » bien que ni les uns ni les autres ne puissent prétendre à une telle légitimité (1). Washington ne peut s’arroger en shérif du Pacifique, sans aucun mandat international, pour garantir la « libre circulation maritime », menacée par personne. Rappelons que ces routes maritimes (qui voient transiter 80 % du commerce chinois et un tiers du commerce mondial) sont entièrement sous le contrôle des Etats-Unis ou de leurs alliés (Japon, Taiwan, Corée du Sud) ou des compétiteurs de la Chine comme l’Inde. Il est pour le moins curieux de voir les Etats-Unis se transformer en garants armés de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer qu’ils n’ont pas signée.
De l’autre côté, la Chine n’a aucunement le droit de s’étendre sur la mer en construisant des polders et en refusant de se conformer à la Convention des Nations unies qu’elle a signée. Les dirigeants chinois, qui aiment à rappeler que tout conflit international doit se régler dans le cadre de l’ONU (ils l’ont une fois de plus répété au sujet de la Syrie), seraient bien inspirés d’accorder leur politique à leurs principes. D’autant que la pratique du rapport de forces et du fait accompli a pour principale conséquence de faire peur aux voisins et à les pousser dans les bras américains. C’est le cas des Philippines mais aussi du Vietnam qui voit dans l’ennemi d’hier le protecteur d’aujourd’hui. Un comble.
Voir aussi « Guerre des nationalismes en mer de Chine », Le Monde diplomatique, novembre 2012.
Bien sûr, contrairement à ce que l’on entend souvent, la Chine n’est pas la seule à s’approprier ces rochers et à y construire des équipements. Cette « course à l’occupation » des îles contestées a commencé dans les années 1970. En l’espèce, elle avait plutôt un avion de retard, au point que, jusqu’à l’an dernier, elle était « le seul pays à ne pas avoir de piste d’atterrissage ou d’aérodrome dans l’archipel des Spratleys. Le Vietnam a au cours de cette dernière décennie construit un port sur Southwest Cay, un récif qu’il contrôle depuis 1975 (2) ». Ajoutons que la Malaisie a construit une piste d’atterrissage sur l’un de « ses » récifs et que les Philippines veulent moderniser l’aérodrome et le port d’une des îles.
La géographie et l’histoire rendent le règlement de ces conflits très délicat, car chacun des acteurs brandit la preuve formelle de son antériorité sur ces bouts de rochers. Des revendications qui se sont renforcées avec l’espoir de réserves énergétiques gigantesques et de ressources halieutiques très riches. Pour Pékin, s’y ajoute la volonté de ne pas laisser les Etats-Unis contrôler les routes maritimes.